Un noir vaut pas mal de blancs.


Il paraît (c'est l'encyclopédie-patchwork Wikipedia qui l'affirme) qu'en russe, on dit "белая ворона", "corneille blanche". "Mouton noir", dans ma langue natale, moi, ça me plaît. Ce côté différent du troupeau, pas dans le rang, un peu anar sur les bords.
Malheureusement, des moutons noirs, il semble qu'on en trouve de moins en moins, surtout sous nos latitudes. Panurge triomphe dans toutes les langues, y compris celles qui ne veulent rien dire. Même ceux qui se revendiquent "alternatifs" sont souvent d'un conformisme, d'une bien-pensance benoîte à faire se gondoler une dame patronnesse. La communication de masse aidant, on pense en masse, de peur de se blesser, pour éviter les risque inutiles. Bref, la pensée occidentale moderne, française notamment, fait rarement rêver, quitte à contredire Antoine Blondin qui, candide parmi les candides, se persuada que "l'homme descend(ait) du songe"…


Revenons à nos moutons, à ce qui se mange ou se boit, et qui n'échappe pas au marasme. D'où le plaisir de saluer un Mouton noir, en français dans le texte bien que né aux Amériques. Pour son énergie, pour sa fraîcheur, pour ne pas tomber le discours moralisto-politique dans lequel une partie du Mondovino est en train de s'ensabler.
Mouton noir, c'est le projet d'André Hueston Mack (ci-dessus), un touche-à-tout passé par la finance et devenu ensuite, à trente ans, sommelier de restaurants à la mode, The French Laundry et Per Se de Thomas Keller. Au début, il a eu l'idée de griffer des cuvées de vin d'Oregon destinées à alimenter les tables new-yorkaises, d'où cette marque, Mouton noir, qui réunit désormais une winery et une ligne de T-shirts*.


Quoi? De la fringue et du pinard? Le Sentier envahit les Chartrons? 
Rien de tout ça, je crois. C'est bien sûr du business, du business à l'américaine, mais il n'y a qu'en France qu'on a honte de ça, non? En tout cas, ça ne sonne pas faux quand André Hueston Mack évoque ça, quand il explique qu'il veut exprimer une espèce de subculture du vin, cousine de celle du skate et du punk-rock américain (dont est issu le graphisme de ses T-shirts**) et de ses étiquettes.
Et ça, ça me parle, car on est loin, avec Mouton noir, de la vieille odeur de renfermé qui se dégage trop souvent de l'univers confiné du vin. On est loin des chapelles, des sectes, des coteries, aux antipodes de la consanguinité pinardière, de ses nobliaux en plâtre et de ses révolutionnaires préfabriqués. On sent au contraire de l'allant chez ce type, le désir d'aller vers l'autre, et surtout si l'autre ne sait pas ce qu'il y a dans la bouteille. Bref, il se comporte comme le vrai sommelier qu'il a décidé un jour de devenir, pas comme ces petits trou-du-culs hautains qu'on croise ici et là, qui vous expliquent la vie du haut de leurs vingt-trois bouteilles d'expérience et de leurs certitudes mal acquises.
Cette sensation est bien sûr renforcée par le graphisme des étiquettes, leurs messages même qui tranchent avec les codes du secteur. Bon, sur le napperon en macramé de tatie Germaine, ça peut déchirer grave, mais, l'essentiel, c'est qu'on voit vraiment que le type, même s'il multiplie les clins d'œil au Mondovino (et même les gentilles moqueries***) ne se prend pas trop au sérieux. Ça repose…


Alors, bien sûr, il y a la fringue, les étiquettes (remarquables, je parlais de l'une d'elles, O.P.P., ici), restent les vins produit par Mouton noir. Ils sont produits sur plusieurs beaux terroirs de l'Oregon, certains cultivés en bio. 
Ce que j'ai goûté et bu "ne faisait pas américain", O.P.P. pinot noir, par exemple: pas une énorme matière, du fruit, aucune sensation d'élevage-bois, on est plutôt à l'opposé de la caricature; l'idée, c'est d'en ouvrir une bouteille, de la boire et d'en déboucher une seconde. Tout ça ne me semble pas une mauvaise politique, je trouve même ça rafraîchissant dans cet univers que rend souvent ennuyeux la sur-abondance de moutons blancs.




*André Hueston Mack projette maintenant d'ouvrir une galerie d'art, liée au vin, évidemment.
** Je vous conseille notamment, ça fera un tabac en France, le modèle I ♥︎ SO2 (ci-dessous).
*** Rien que ce nom, Mouton noir, qui pourrait faire tousser du côté de Pauillac. Mais finalement, n'est-ce pas aussi un hommage à cette époque où le château du Pouyalet fut, sous la houlette de Philippe de Rothschild, un monument de créativité?

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