Une chose et son contraire ?


J'aime beaucoup cette image. Ça se passe à Barcelone, en début de soirée. À gauche sur la photo, on reconnaît l'œnologue-vigneronne Dany Rolland, à droite, le bistrotier Benoît Valée. Dany Rolland, si j'en crois ce qu'il m'arrive de lire ici et là sur les grands péchés* du vin, c'est le Diable; elle et son mari Michel ont à eux seuls précipité les crus de Bordeaux (et de tant d'autres contrées) dans les flammes de l'Enfer. Benoît Valée, qui avant de vendre des bouteilles a vraiment travaillé à ce qu'on mettait dedans, chez Barral notamment, a éveillé la capitale catalane au naturisme pinardier; on m'a expliqué qu'il était intransigeant, obtus, borné.
J'aime beaucoup cette image, et les autres de cette série, parce qu'elles symbolisent quelques unes des valeurs à mes yeux les plus précieuses de celles véhiculées par la civilisation du vin: la convivialité, le respect et le partage. Il n'est rien de dire que Dany et Benoît n'ont pas exactement la même vision de ce qu'ils ont envie de boire. Et alors?


Ce soir là, je m'étais régalé d'une verticale de Fontenil, le fronsac rollandien, avec une tendresse toute particulière pour certains millésimes que la condescendance des mesureurs de quéquettes se plaît à qualifier de "petits". Vais-je être excommunié pour ça par les inquisiteurs du naturisme intégriste? Dois-je moi aussi brûler dans les flammes de l'Enfer, ou plus précisément être envoyé en camp de rééducation comme le souhaiteraient sûrement les commissaires politiques dont les vociférations tentent depuis quelque temps de confisquer le débat pinardier**, à Paris notamment? Le niveau général de la discussion me rappelle un peu ces AG de mineurs ou de cheminots où la grève se vote à main-levée pour intimider les "jaunes". Ou le grand apport des Staliniens à l'avancée des idées dans les années cinquante. Bref, la violence militante me fait sourire, singulièrement celle des nouveaux convertis qui tentent d'exister en poussant le volume, plus encore celle de petits commerçants vaguement cidunatistes, plus rougeauds que vraiment rouges, dont l'ouverture d'esprit me dit qu'il est urgent de relire Uranus et Le confort intellectuel


Après les Fontenil, il a bien fallu continuer à se désaltérer et faire boire à Dany les vins de Benoît. Je me souviens que c'est d'abord un Clos Cristal qui a fait les frais de notre soif. Bu dans cette rue de décembre, carrer dels Vigatans, sur la barrique, nimbé de la fumée bleue des cigarillos. Ensuite, je ne sais plus si c'était du rouge de Jeff, du Paf la syrah, ou du pineau d'Aunis. C'est vrai que les pineaux d'Aunis, entre Le verre des poètes et Lucky, on en boit pas mal à L'Ànima, et que j'adore ça!
Peu importe ce que nous avons débouché, le vin était là, autour duquel nous étions réunis. Non, pardon, qui nous réunissait au lieu de nous diviser. Qui libérait la parole au lieu de l'enfermer. Au lieu d'exclure.


Libérer, c'est le mot. Libérer les mots des phrases et des idées toutes faites. Libérer et mélanger. Les gens, les vins. Se préserver le droit, essentiel, de boire ce qui nous fait envie et pas ce que l'on doit boire, comme si l'on se retrouvait, en plein cauchemar, acteur d'une nouvelle de Kundera., 
Quelle liberté, quelle chance de pouvoir boire une chose et son contraire. Ce qui ne signifie pas forcément penser une chose et son contraire. Être libre, ça ne signifie pas ne pas avoir de convictions, de principes. Accepter l'autre, avec ses différences, ça n'implique pas de se métamorphoser en mollusque. Au contraire, on confronte des idées, on est d'accord ou pas, on évolue aussi parfois. Et l'on se protège de cette consanguinité qui engendre des tarés, des monstres même parfois.



* "Les grands péchés", c'est une référence à un de mes comiques préférés Mehdi Kabir, l'imam de Villetaneuse en banlieue parisienne. Il nous avait régalé de ses cochonneries, là, je vous offre ce grand moment où il nous explique enfin comment apprendre à nos femmes à mieux nous obéir
** Cette chronique m'a été inspirée par les réactions, souvent insultantes ou condescendantes (d'une condescendance venue d'en bas…), à celle récente de mon ami Michel Smith qui tentait d'exprimer avec clarté et pondération une opinion, la sienne, chose qui a l'air de plus en plus compliquée dans le NeoMondovino.

Commentaires

  1. Eh oui ! Il faudrait presque réapprendre à boire. Redécouvrir l'échange, le partage, goûter la différence, apprécier la liberté. Merci Vincent.

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    1. Oui, se libérer un peu de ces carcans qui deviennent pesants.

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    2. Exactement. Réapprendre à boire, surtout les vins des domaines conseillés par les Rolland. Et une fois qu'on aura "réappris" à boire ces vins là, on passera à l'étape suivante et on pourra réapprendre à boire les vins les mieux notés par Parker.

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    3. Vous les connaissez, Antoine, les vins les mieux notés par Parker? Parce que moi, figurez-vous, dans certaines grosses notes du Wine Advocate, il y a des trucs qui me vont bien au teint. Vous avez vu les derniers 'reports' Espagne et Languedoc-Roussillon?

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    4. Quant aux vins conseillés par les Rolland, oui, il y en dont je me régale, j'en ai déjà parlé ici, Reignac ou Pontet-Canet, par exemple.

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    5. Je ne les connais pas tous non hélas. Guigal, Chapoutier, Mouton Rothschild... Oui pourquoi pas. Puis le système de notation, qui plus est sur 100, c'est vraiment mon idée du vin.
      Quant à Michel Rolland, je me souviens d'un passage de Mondovino où il expliquait que les "vignerons du Languedoc sont encore un peu trop paysans".

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    6. Peut-être que de les connaître, Antoine, vous aiderait à vous faire un avis éclairé. Tiens, en Roussillon puisque j'en parlais récemment, Parker a couronné Gauby, Puig-Parahy, Clos des Fées, Le domaine des enfants… En Espagne, il redécouvre les grands vins de crianza biologique, fait connaître cette Galice que les grands connaisseurs français ignorent, met en avant des jeunes comme Olivier Rivière, meilleur rapport qualité/prix de la Rioja selon le dernier 'report'. Les temps changent doucement, mais ils changent…

      http://ideesliquidesetsolides.blogspot.com.es/2015/05/la-parabole-de-laustin-allegro.html

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    7. Quant aux notes sur cent et tout le toutim, je ne vais pas y revenir, on m'a déjà reproché d'avoir trop écrit sur ce sujet…

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    8. Après avoir vanté l'infusion de parquet en version longue durée, Parker s'entiche de vins plus digestes, plus élégants... Faudrait voir à pas trop se laisser berner par le bonhomme quand même... Il a senti le vent tourner, c'est tout.

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    9. Il faudrait surtout comprendre, au delà du changement d'époque, que Parker a plusieurs têtes, et plusieurs bouches. Comme je l'avais expliqué il y a deux ans en lui recommandant ironiquement de lire le Wine Advocate, certains de ses critiques n'ont pas le même goût que lui.
      http://ideesliquidesetsolides.blogspot.com.es/2013/05/parker-devrait-plus-souvent-lire-le.html

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  2. A gauche sur la Photo, Dany (et pas à droite, même si elle est à droite de Benoit)

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    1. Merci infiniment, mon cher! Je me suis mis dos aux poteaux… Je corrige illico.

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