Bu dans l'après-midi


À Las Ventas, le jeune matador de Málaga, Saúl Jiménez Fortes est passé à quelques millimètres de la mort. La corne de son second toro, un Salvador Domecq de Vejer de la Frontera, a traversé sa gorge de part en part, évitant par miracle la carotide et la jugulaire. Pour le tranquilliser (car il souhaitait retourner combattre), les médecins lui ont fait croire qu'il ne s'agissait que d'une simple coupure, puis l'ont opéré immédiatement dans l'infirmerie des arènes. Pas de fièvre, selon La Opinión de Málaga, Jiménez Fortes a dormi, il récupère au mieux de sa blessure.
Les croyants ont prié pour lui, les superstitieux ont brûlé des cierges à la Virgen de La Carmen, d'autres ont du rejoindre le temple andalou de Madrid, La Venencia, au numéro 7 de la calle de Echegaray, juste à côté de la Puerta del Sol. Le vin de Jerez, Montilla-Moriles ou Sanlucar de Barrameda équivaut de toute façon à un dialogue direct avec l'esprit et le sacré.


Nous reparlerons bientôt des finos, palos cortados, des manzanillas, j'ai en effet la chance de participer au Sherry Festival, le festival de Cannes de ces vins que le profane trouve étranges. Là, en lisant le bulletin médical du torero malagueño, j'ai bu un vin qui m'a interpelé, une sorte d'OVNI, de truc qui n'existe pas mais qui du haut de sa bizarrerie m'a rappelé la beauté presqu'africaine de Sanlúcar de Barrameda, et surtout cette façon qu'ont certaines femmes de claquer la langue (sans que je ne sache s'il s'agit d'un signe de satisfaction ou de désapprobation) quand elles ont avalé un verre de blanc muy seco.
Car, il y a une dimension "physique" à la dégustation de ce vin, du tactile qui vient heurter la langue, quelque chose comme le souvenir granuleux des lies (des lies, il doit en rester de toute façon, vue la turbidité du jus), souvenir qui se transforme ensuite en une sensation acide, un peu similaire à celle de cette poudre que je trouvais gamin dans des bonbons en pâte d'hostie, héritiers du Mistral gagnant. Mais est-ce réellement une sensation acide, ou n'est pas plutôt ce "goût de craie" auquel on peut penser parfois, en Champagne notamment.


Pour compléter la palette des sensations offertes parce vin, outre le citrique, utilisons un mot qu'il est utile de connaître désormais, en France, pour jouer à l'œnophile, ce vin bizarre est profondément salin. Là, ce n'est pas une figure de style, un mot à la con pour briller en société: pendant que l'olivier filtre la lumière de la Méditerranée et me fait penser à celle de l'Océan sur la craie, je songe en le buvant à cette dernière vague blanche (la première quand on arrive de Séville), crayeuse justement, sur laquelle est posée Sanlúcar.


Alba, c'est le nom de ce vin sur lequel je ne sais pas grand chose* si ce n'est qu'il a été élevé, initié, sept mois dans de vieilles botas, de vieux demi-muids de manzanilla, lesquels laissent l'empreinte de la crianza biológica. L'étiquette est par ailleurs mutique, un brin illégale. Sûrement s'agit-il d'un vin d'Espagne (l'ex-vin de table), on apprend qu'il est né de ce terroir si particulier, de cette dernière vague blanche, ultra-calcaire, composée de poussière de craie, de kaolin, d'argile, de chaux. C'est un 2013, un "sobre tabla", qui sont à la manzanilla ce que le vin clair est au champagne, un vin de l'année. Il exprime sans la violence de l'alcool, avec 11,2%.vol seulement, toute la grâce, el duende de ce grand cépage finalement méconnu en tant que tel qu'est le palomino fino, le listán**. Là, il parle librement, se livre dans cet OVNI que je verrais bien nous accompagner dans une virée par les bars et les bistrots de Sanlúcar de Barrameda. Je crois d'ailleurs que pour le comprendre, il faut une fois dans sa vie avoir croqué dans une tortillita de camarones*** brûlante. Il faut avoir regardé mourir avec grâce le Guadalquivir. Et s'en souvenir en regardant pousser un vieil olivier, comme ce gamin de vingt-cinq ans se souviendra de cette fin d'après-midi sanglante sur le sable de Las Ventas.




* On m'a donné une fourchette de prix, il coûterait entre dix et quinze euros prix public. ne me demandez pas où en acheter, seule ma femme le sait.
** On connaît mal le palomino en dehors des vins fortifiés, c'est dommage. J'ai ainsi un souvenir en Languedoc, d'un domaine du Minervois, le Château Tourril à Roubia, qui en produisait un blanc, il faudrait que j'y retrempe les lèvres s'ils le font toujours.
*** Il s'agit d'une petite crêpe/omelette frite incrustée des minuscules crevettes de l'embouchure du Guadalquivir, cousines des esquires de Gironde.





Commentaires

  1. La Venencia de Madrid est un endroit à connaître absolument ...
    Crépitements de Smartphones peu appréciés.

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    1. Ce serait de surcroît ridicule, inutile, il y a une cabine téléphonique…

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