En avoir ou pas.


Au fond d'eux mêmes, les vignerons de métier, la majeure partie d'entre eux en tout cas, le savent, la grande distribution est une machine infernale qui ne peut, à terme, que les hacher menu, eux et leur réputation. Le savoir est une chose, mais oser s'exprimer publiquement sur ce sujet, dénoncer les méthodes de La Pieuvre, en est une autre. Voilà pourquoi je voulais relayer ici, le nouveau coup de gueule de ce fier Alsacien qu'est Étienne Hugel.
Le patron de l'ancestrale maison de Riquewihr (tout comme sa famille) ne veut pas voir ses célèbres étiquettes jaunes* au pousse-caddie. Et il le fait savoir. Avec force, et courage. Par le menu, il raconte ainsi comment il s'est fait piéger, détourner, trahir par le biais d'un intermédiaire véreux. Lisez, c'est édifiant, c'est ici, sur le blog du domaine


On y apprend notamment qu'après s'être indigné publiquement de nouveau coup de force de la grande distribution, Étienne Hugel a été menacé de poursuites "pour diffamation" par le complice présumé de Leclerc, celui-là même qui aurait détourné les bouteilles, à savoir la société Cyladis. Et sommé d'effacer sous huitaine le contenu de son blog!
On y apprend également que pour brouiller les pistes, "les gens de chez Leclerc […] pas très fiers de certains de leurs fournisseurs" ont "découpé au cutter" le marquage qui permettait de tracer le parcours des colis en provenance de chez Hugel. "Par contre, le marquage discret au jet d'encre du numéro de commande […] sur le verre des bouteilles ne laisse planer aucun doute sur l'origine des vins".
On y apprend enfin, comme c'est la règle, que les vins (comme à chaque qu'il sont détournés) ne sont pas moins chers au pousse-caddie, bien au contraire. Mais, ça, je vous l'avais déjà expliqué ici.


Beaucoup, dans le Mondovino, me diront: "la grande distribution n'est pas le Diable!" Je ne sais pas ce qu'est le Diable, mais je sais ce que c'est qu'un système qui, vénérant le veau d'or, réussit à la fois à étrangler, parfois même à ruiner notre industrie, notre agriculture, à humilier les êtres humains, à les pousser toujours vers le chemin du bas, à détruire notre culture et notre art de vivre, à massacrer les abords de nos villes. Pourtant, je vais vous étonner, dans le cas qui nous occupe aujourd'hui, le problème n'est pas là. Pas seulement là en tout cas.
Il me semble que pour des vignerons qui ont une vision "haute-couture" du vin, au delà de l'éthique, c'est aussi une simple question de cohérence commerciale. On peut raconter partout comme par exemple le propriétaire tant décrié d'Angélus que le vin est un produit de prestige, le comparer à un foulard de luxe. Nous sommes beaucoup à ne pas partager cette idée, peu importe. Admettons, comme le dit ce monsieur, que son saint-&-millions soit un un carré Hermès. Admettons. Eh bien, franchement, vous avez déjà un vu beaucoup, vous, des carrés Hermès chez Auchan? Moi non. Alors que des bouteilles d'Angélus, sous les néons, oui, ça se trouve.
Au delà des valeurs qu'il a héritées, Étienne Hugel rappelle, sans en rajouter, ce principe tout bête à ceux qui l'ont oublié. Pour forcer le trait, soit on se la joue milord sapé Savile Row sur le Connolly d'une limousine anglaise, soit on fait de la retape pour son rouquin entre le papier-cul et le nettoyant pour sol dans un hangar de banlieue. Quitte à s'asseoir sur de l'argent facile (à court terme), il faut choisir son camp, camarade! Ce qu'a très bien fait le vigneron de Riquewhir. C'est tout à son honneur. Son franc-parler et sa claivoyance entretiennent chez moi, plus vivace que jamais, le souvenir lointain mais ému de ses vieilles étiquettes jaunes, qui furent parmi les premiers caps que je franchis, avec mon père, dans ma navigation sur les océans du vin.



* Connaissez-vous au fait l'origine de ce jaune qui peut sembler flashy pour des étiquettes anciennes? Cela remonte à Jean Hugel (père et grand-père des générations actuelles). Il avait obtenu un stage dans les services commerciaux Maggi, alors dirigée par Jules Zoll, un ami de la famille. A cette époque la célèbre maison suisse avait fait une étude de marché pour la présentation de ses produits. Jaune, rouge et or étaient les couleurs préconisées pour les nouveaux habillages Maggi, et bientôt employées pour le Bouillon Kub. De retour au Domaine, Jean Hugel repris à son compte ce bon conseil.
Cela étant, au delà de cette anecdote, n'oublions jamais que le passé que nous voyons en noir & blanc, vaguement sépia, n'a souvent pas manqué de couleurs, en témoignent les peintures et les fresques qui ornaient les façades et l'intérieur des églises médiévales ou des temples antiques.


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