SOS vin battu.
Au restaurant, c'est un moment qui agace. Qui peut carrément mettre en colère. Vous connaissez un peu le vin, son prix (parce que ça va avec), et en parcourant la carte des rafraîchissements, vous vous rendez compte que le taulier a ouvertement l'intention de vous faire les poches. Toutes les bouteilles que vous fréquentez, parfois intimement, dont vous connaissez les prétentions tarifaires, parfois même au sortir de la cave, sont affichées à un prix qui n'a plus rien à voir avec la réalité. Ce n'est plus une culbute, mais le saut de l'ange!
Cette impression que le vin sert de prétexte à vous rançonner n'est pas spécifiquement français; à Londres, c'est encore pire, sauf à avoir trafiqué dans la drogue, le pétrole ou les armes, vous passez directement à la bière. J'ai ainsi le souvenir dans un "gastropub" de Marylebone d'un petit corbières parti à 2,60€ de chez lui et vendu, au milieu d'une liste de mets aqueux, £42. Vous voulez que je vous la refasse en couleur? Ça signifie que de trois euros et des poussières TTC, vous arrivez sur table à cinquante-trois euros et cinquante cents. En multipliant par dix-huit, vous avez j'imagine de quoi couvrir les faux frais, le transport, les intermédiaires…
Pas la peine de franchir la Manche, pour s'agacer. On fait ça très bien en France, au pays du vin. Chez les chouchous du Guide des Pneus, bien sûr, où c'est une tradition, quasiment une signature; je me demande toujours pourquoi on ne vous offre pas un tube de vaseline au moment d'apporter la carte des vins*. Mais le tir à vue n'est plus l'apanage des étoilés, un zeste de branchitude, un soupçon de déco, et le buveur de vin se fait défoncer. Notamment avec ces restaurateurs qui ont honte de faire payer leur cuisine au juste prix. Remarquez, pour la plupart d'entre eux, on peut comprendre, puisque ce ne sont pas eux qui la font la cuisine (Davigel, bien sûr!)…
Quand vous posez la question à un restaurateur, quand vous lui demandez pourquoi la France est devenue un bonnet d'âne en la matière, immanquablement, il se plaint des salaires et surtout des innombrables charges, le RSI etc, qui pèsent sur leur profession. C'est loin d'être faux, ce pays en crève, mais ça n'explique pas tout. Alors, on vous parle du stockage des vins, de l'immobilisation. Ça, excusez-moi, j'ai un peu plus de mal à l'avaler alors que la plupart des établissements travaillent à flux tendu. Quand aux surcoûts liés aux bouteilles bouchonnées et aux verres, que je sache, ce n'est pas une spécificité française! Pour la verrerie**, d'ailleurs, l'Hexagone serait là aussi plutôt en queue de peloton.
Alors, est-ce une fatalité? Le vin est-il condamné à servir de vache à lait de la restauration, à payer le 4X4 du patron? Non, bien sûr. De plus en plus d'heureux contre-exemples se font jour. D'abord ces fameuses "caves à manger", ces cavistes qui se sont mis à la cuisine, souvent parce que lassés des professionnels de la profession. Tenez, une adresse bien connue à Toulouse. Parce qu'il n'y a pas que Paris dans la vie.
Il y a aussi cet exemple narbonnais, Les grands Buffets. Je ne suis pas d'accord sur tout avec Louis Privat, mais cet entrepreneur, qui est tout sauf un farfelu, prouve dans son immense restaurant qu'il est viable économiquement, profitable même, de vendre le vin (local qui plus est comme chez nos amis suisses) à un prix honnête. En passant au prix caveau, ses ventes de crus languedociens ont augmenté de 50%!
Enfin, reste les autres pays européens du vin, l'Italie et l'Espagne. Juste trois exemples, outre-Pyrénées, trois belles adresses que je vous rappelle pour vos week-ends ou vos vacances. Villa Más, sur la Costa Brava, à Sant Feliu de Guíxols, là où les vignerons bourguignons vont boire en masse les vins de leur région, parce que chez eux c'est souvent devenu impossible. La Sidreria Martintxo (j'en parle aussi là) à Pampelune, où la carte des initiés tombe comme un cadeau sur la cuisine à la braise. Gresca, chez Rafa Peña, à Barcelone, oublié du Guide des Pneus local qui ne le trouve pas assez chimique à son (mauvais) goût.
Je crois d'ailleurs qu'il faudrait que nous ouvrions une liste, ville par ville, pays par pays, de ces restaurants où l'on ne vous prend pas pour un pigeon en vous tendant la carte des vins. Où cette carte, intelligente, affiche des tarifs qui prouvent un vrai respect du vin et du vigneron. Parce que, pardonnez-moi la comparaison douteuse, mais un restaurateur qui dit aimer le vin et qui vend les bouteilles trois, quatre, cinq fois plus cher que chez le caviste, c'est un peu comme le mari qui dit aimer sa femme et lui fout sur la gueule tous les jours.
* Qui en prime s'avère trop souvent insipide, peu créative.
** puisqu'on est dans le cristal, comment ne pas évoquer la grosse endoffe du vin au verre? Antonin Iommi-Amunategui s'était déjà amusé à faire les calculs de cette "grande arnaque" il y a deux ans.
Le pot d'étain - l'Isle sur Serein
RépondreSupprimerLa Taverne alsacienne - Ingersheim
La promenade - Petit Pressigny
Villa Mas - San Feliu de Guixols
Quelques connaissances, mais merci de les rappeler, Laurent!
SupprimerTout a fait d'accord, il faudrait faire une liste. Mais n'oublions pas les taxes a l'import dans certains pays qui font qu'une fois une bouteille touche le sol, son prix a deja ete multiplié par 5.
RépondreSupprimerCe n'est pas faux, mais puisqu'on parle de taxes à l'import, j'ai déjà dit comme j'étais stupéfait de souvent trouver des vins italiens ou espagnols moins chers en Suisse qu'en France!
SupprimerBien d'accord , même si certains vignerons( très peu) ont des prix très élevés , la bascule des restaurants et bars à vins , tue nos vins , ne les laissant que peu accessibles aux amoureux de nos produits !
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