Le blanc de l'île déserte…
C'est une question que l'on vous pose souvent quand on croit que vous vous y connaissez un peu en vin, une question-bateau*, quoi: "quel vin emporteriez-vous sur une île déserte?" Évidemment, à chaque fois, on se creuse la tête poliment, on rame un peu, parce que, franchement, ça revient souvent (dans la tête de votre de votre interlocuteur) à répondre à une autre question: "quel est pour vous le meilleur vin du Monde?" Bref, ça n'a pas beaucoup de sens…
Il n'empêche que, sous réserves de modifications ultérieures (et peut-être aussi en fonction de la localisation géographique de l'île, de son climat, et donc de ce que l'on y trouve à manger), une bouteille me vient à l'esprit. Pour au moins quelque temps, je crois qu'il répondrait bien à la question "quel vin blanc sec emporteriez-vous sur une île déserte?"
Ce blanc sec est un grand cru discret, sans tambour ni trompette, ni carillon télécommandé. Pas de chardonnay, ni même de palomino, de riesling, de vermentinu, de chenin, de savagnin ou de maccabeu. Juste du gros manseng escorté de petit manseng et relevé "d'un zeste" de petit courbu. Des raisins propres nés de deux parcelles de grès et de schistes.
Mais, laissons tomber la fiche technique, vous ne voulez pas non plus les pourcentages et l'âge du capitaine? Ça va finir par faire marchand de vin qui n'a rien à dire! Allez, buvons!
L'essentiel, comme toujours, est dans le verre, ces notes beurrées, briochées au nez, puis le souvenir du cédrat du Cap corse. La bouche, malgré la jeunesse (c'est un 2010!) peut sembler presque trop gourmande avec ses nuances d'abricot, mais très vite, grâce à un jeu incessant entre l'amer et l'acide, elle s'allonge sur une pointe de mélisse, de verveine citronnée. Tout cela est riche et subtil. Luxueux. Droit. Altier.
Thérèse et Michel Riouspeyrous, désormais épaulés par leur fils, sont de grands vignerons. Pas de la catégorie que vénère la claque assermentée du Mondovino, juste de consciencieux, de méticuleux paysans de la vigne. Leurs jus, cristallins, concentré de la généreuse sobriété de la Basse-Navarre, d'une pureté sans faille, sont à leur image. Et racontent, au travers de leurs irouléguys, les Pyrénées.
Ce vin profond, sur l'Isla Más Atierra (désormais Isla Robinsón Crusoe en hommage au naufragé Alexandre Selkirk et au romancier Daniel Defoe), je le boirais, rafraîchi dans les Aguas Buenas réputées chez les navigateurs, sur la sucrosité marine d'une langouste. Évidemment, car je serais contraint à une alimentation "kilomètre zéro", une langouste de l'espèce Jasus frontalis, endémique à l'archipel Juan Fernández où se situe mon île, en plein Océan Pacifique, à six cents kilomètres au large des côtes chiliennes.
Pour égayer ce festin, j'aurais sûrement un vieux Teppaz, ou plutôt un vieux gramophone à manivelle (parce que l'électricité…) sur lequel vibrerait, comme dans une fête de village espagnol, l'accordéon et la clarinette de l'Orquesta Pinha.
Là, je sais que, pour me réconforter et meubler ma solitude**, le blanc de grès et de schistes d'Arretxea me prendrait tendrement mais fermement dans ses bras. Et que dans mes beaux rêves de Robinson, il me ferait voyager jusqu'au bout de la Terre.
* Bateau / île, facile !…
** N'oublions pas Vendredi même si nous sommes plutôt face à un vin du dimanche. Un vin assez coûteux, donc (dans les 30-40€), mais d'un formidable rapport qualité/prix. Un vin rare aussi. Merci à Philippe Catusse et à son précieux Chameau Ivre biterrois d'en avoir embarqué quelques bouteilles dans sa camionnette de bougnat.
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