À quoi ça sert un Masterchef ?


Pour être honnête, moi qui ne suis pas très au fait de la formidable actualité de la boîte à cons, quand j'ai entendu pour la première fois ce terme de MasterChef, j'ai cru que c'était encore une nouvelle marque de robot de cuisine. Afin que je ne passe pas pour un homme des cavernes, on m'a tuyauté, il a même fallu que je me tape un quart d'heure de télé-réalité, pardon de gastro-réalité pour comprendre ce que je savais déjà, qu'il s'agissait d'une énième déclinaison de ces émissions débiles qu'on regarde en rentrant de chez Leclerc ou Lidl, en mangeant une pizza surgelée sur le canapé.
Depuis, cette franchise planétaire est même arrivée en Espagne avec un animateur habillé en Casimir (pas en Barbapapa, merci Will Vinolentus!). Enfin lui, Casimir, c'est peut-être la franchise concurrente, Top Chef, je ne sais plus, ça n'a pas grande importance.


Le décor est planté, il n'a d'ailleurs aucun intérêt, tout comme le scénario et les acteurs (ne devrait-on pas dire les figurants?). La seule question que pose ce théâtre surjoué, c'est pourquoi TF1, M6, c'est-à-dire les chaînes les plus populistes (ce n'est pas une coquille) de France perdent de l'argent à montrer en prime-time des types en train de massacrer des produits qui ne méritaient pas mieux?
Eh bien, évidemment, (pour reprendre l'expression consacrée) afin de vendre du temps de cerveau humain disponible à leurs annonceurs. Ça tombe bien, l'industrie de la malbouffe est un annonceur essentiel, qui en plus n'encaisse pas trop mal la crise: dans un monde où, timidement, une conscience environnementale se fait jour, ces petites séances grand public de légitimation gastronomique de la tomate en hiver et de toutes les saloperies de grandes surfaces tombent à pic.
Les acteurs, les figurants de ces shows de télé-réalité se font donc les complices de cette entreprise. Vu le niveau, difficile de dire si ces chevaux de Troie gominés de la malbouffe en ont conscience ou pas, tout éblouis qu'ils sont de leur nouveau statut de vedette, de cette soudaine célébrité dans les loges de concierges, qui n'est pas sans rappeler celle des Miss(es) France de madame de Fontenay.

J'ai mangé une ou deux fois, par obligation, dans le sud, au restaurant d'un de ces types qui "ont fait MasterChef", ou TopChef, comme d'autres le Vietnam ou les Dardanelles. C'était moyen, très moyen. En bouche, ça sentait un peu la cantine, le frigo, le sous-vide, les cuissons plates et le fond Métro, mais avec dans l'assiette, dans l'apparence, une pointe de maniérisme, du chichi, de la déco qui se voulait branchée mais qui faisait pavillon de banlieue. On a avalé nos plats, puis le MasterTopChef est venu discuter avec nous. Pas pour parler du repas, de sa cuisine, de ce que nous en avions pensé. Juste (le pauvre pensait sûrement épater la tablée) pour parler de la télé, des coulisses, de tout un tas de gens qu'il appelait par leurs prénoms et que je ne connaissait ni d'Ève ni d'Adam. Et dont je me fous éperdument.


Et l'après MasterChef, l'après TopChef ? Ça aussi, c'est important pour répondre à la question de "l'utilité", de la "destination", du "mobile" de ces émissions de télé-réalité. La plupart de ceux qui sortent de là songent bien sûr à ouvrir un ou des restaurants, à l'image de ce jeune dont je parlais plus haut. Avec plus ou moins de succès. D'autres tentent de monnayer autrement leur gloire médiatique, en donnant des cours de cuisine, en écrivant, en participant à des émissions. Beaucoup, surtout, tissent des liens étroits avec les enseignes de grande distribution (on en a même vu vendre du vin aux dernières foires), les fabricants d'électroménager ou l'industrie agro-alimentaire.
Ainsi Marc Boissieux, vainqueur de MasterChef 4. Il est devenu ambassadeur de Charal, le n°1 français de la viande, filiale du groupe Bigard. Il organise des repas, des ateliers, médiatise la marque, élabore des recettes. Car la stratégie de Charal n'est plus vraiment de vendre de la viande brute. cette entreprise a été une première à mettre un nom, un marque sur la viande: l'objectif est qu'on n'aille plus acheter une entrecôte mais tel ou ou tel produit de Charal, dissocié du produit de base, préparé, bidouillé diront certains*.
Il se raconte même qu'un autre ancien de MasterChef, le Toulousain Simon Carlier, vendrait à son tour son nom à l'industriel de la viande : il aiderait à lancer, dans les jours à venir, une espèce de truc concocté dans les laboratoires des usines de Cholet, le Tendre de bœuf®. Ce n'est pas un steak, pas un hamburger, on ne sait pas trop de quel morceau il s'agit, ce sont des tranches façon carpaccio, agglomérées. "Une innovation sans précédent" claironne-t-on chez Charal, une "innovation" qui permettra, j'imagine, d'apporter pas mal de la valeur ajoutée.


Comme beaucoup de ses collègues de la gastro-réalité, Simon Carlier conserve visiblement des liens avec l'industrie agro-alimentaire. Tout en dirigeant deux restaurants dans la Ville rose (très orientés terroir, très "nature" me dit son fan-club), il écrit des livres de recettes et n'hésite pas à s'afficher (cf. image ci-dessous) avec des marques hautement symboliques de l'univers de la malbouffe. À l'image de Philadelphia, cette "crème de fromage" américaine qui a envahi les linéaires des hypermarchés depuis quatre ou cinq ans et compte bien devenir leader sur le marché français. Je ne sais pas si vous avez goûté cette merde (il n'y a pas d'autre mot!), mais il faut le faire comme on va voir un film d'horreur.
Banalisé (notamment) par la gastro-réalité, de Philadelphia est effectivement désormais partout. Un site spécialisé consulté hier après-midi relevait, rien que dans les blogs foodistes français 945 recettes contenant cette saloperie! On se demande vraiment comment on a pu vivre sans, avant, quand on s'empoisonnait encore avec ces sales fromages artisanaux au lait cru…


Alors, pour en revenir à nos moutons, on me dit dans le fond de la salle que la gastro-réalité incite les gens à cuisiner. Ah bon? Vous me permettrez d'être un rien dubitatif. Inciter à cuisiner grâce à des modèles nés du jus des couilles de la boîtes à cons qui aiment tellement la cuisine, la gastronomie qu'à la première occasion, au premier chèque, ils filent les trahir en copulant avec les tenants de la malbouffe. Si le but est de pousser les gens à cuisiner, il y a sûrement mieux à faire que ces concours de singes savants! Et on devrait le faire, ne serait-ce que pour des raisons de Santé publique.
Car au delà de la rigolade, des arrangements moraux des uns et des autres, ce n'est plus de petites bouffes entre copains dont on parle, de dressages d'assiettes pseudo-artistiques, ni même de l'égo démesuré de cuistots qui se prennent pour des artistes. On parle de la survie de de notre patrimoine gastronomique, d'une agriculture et d'un artisanat qui y sont liés, des paysages qui vont avec, d'un art de vivre, d'une culture, d'une richesse touristique, et, éventuellement d'écologie. C'est tout cela que ce genre de shows de télé-réalité contribuent à détruire. Plus que d'audimat, c'est de politique dont il est question.



* Une démarche finalement "cousine" de ce que nous ont inventé récemment les pouvoirs publics, pour aider la grande distribution qui avait bien besoin qu'on l'aide pour nous vendre n'importe quoi, en matière de viande…

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