Rouge de Galice: du vin, pas de la viande!

 

Surprise, hier matin, au marché de Poblenou, mon petit boucher avait une jolie entrecôte. Un peu fraîche, certes, mais ce genre de viande à Barcelone, c'est comme une piscine au milieu du désert! Je lui en fais couper deux tranches pour le déjeuner dominical, on discute un peu, et il me raconte que c'est de la vache de Galice. Vingt quatre euros le kilo, facture à l'appui. Rien à redire. Une fois grillée, elle était correcte.


Sauf que moi, ça m'interpelle. De la vache de Galice, à Barcelone? Décidément, la mode fait des ravages pour qu'on arrive à trouver ce genre de choses jusque dans un petit marché de quartier catalan! Mais elle vient d'où cette viande? C'est de la génération spontanée? Parce qu'au delà de mon petit boucher, on ne peut plus faire un pas, surtout dans le monde foodiste, sans tomber sur un carré de côtes qui n'ait pas fait les Chemins de Saint-Jacques à l'envers. On en trouve même chez Métro qui agite le drapeau galicien, et donc dans les restaurants étoilés.


Alors, moi, toujours un peu benêt mais me souvenant que j'ai été journaliste, je me renseigne. Au plus court, au plus simple. Je consulte les chiffres pour tenter de trouver l'explication de cette hausse aussi exponentielle que rapide de la production de bœuf de Galice. Oui, rapide, parce qu'à mon dernier séjour dans cette sublime région, on m'expliquait que la vraie viande galicienne, on avait du mal à en trouver, qu'il fallait bien chercher. Et là, seconde surprise de la journée, Los datos económicos de los sectores de las carne de vacuno, ovino, caprino y aves correspondientes al año 2013 del Ministerio de Agricultura, Alimentación y Medio Ambiente m'apprennent qu'au contraire, la production de viande bovine est tombée de 5,24% depuis un an dans cette communauté autonome, et que cette baisse est constante depuis neuf ans. Bizarre…


Inquiet, je songe à l'épais brouillard qui enveloppe le monde opaque de la viande, compulse les chiffres, voit ces importations de bovins qui en Espagne font jeu égal avec les importations. Pour me rassurer, vous me dites, qu'on ne peut pas tricher sur les races. Les races galiciennes sont spécifiques, identitaires, c'est marqué dans les magazines, même les blogueurs le confirment, c'est ce qui fait la réputation de cette région.
Alors, parlons de race, car effectivement voici un bel élément de traçabilité. La grosse majorité des bêtes élevées en Galice appartient à une race dite autochtone, la rubia gallega.  Elle arrive en France sous le nom de "rouge de Galice"; même sur le site d'un des "bouchers stars" de Paris, Yves-Marie Le Bourdonnec, pourtant un grand professionnel, on trouve cette drôle d'appellation*. Drôle parce que, erreur ou brouillage de piste, en espagnol, rubia, ça ne se traduit pas par "rouge", mais par "blonde", il s'agit donc d'une blonde et non d'une "rouge" de Galice. Et cette blonde de Galice n'est autre que la bonne vieille blonde d'Aquitaine, arrivée là-bas on ne sait pas trop quand: à la préhistoire selon la légende commerciale locale, beaucoup plus tard selon d'autres sources; ce qui est sûr, c'est que, comme le montre ce site spécialisé, les blondes d'Aquitaine continuent de voyager de France en Espagne. Elle est parfois croisée, pour améliorer sa viande, avec de la simmental ou de la brown swiss.


Parce que la blonde d'Aquitaine, c'est une gentille bestiole, polyvalente, mais qui n'est pas vraiment considérée comme une grande race à viande, en termes organoleptiques. Créée en 1961 (ce qui invalide la légende commerciale sus-citée) à partir de plusieurs vaches du Sud-Ouest, on la qualifie de race "moderne", comprenez à très haute productivité. Personnellement, je l'ai toujours trouvée un peu molle, aussi bien en goût qu'en texture. Je ne lui ai en revanche rien trouvé qui justifie que je paye son entrecôte jusqu'à cent euros le kilo, comme c'est le cas quand elle est estampillé du sceau galicien! Pour ne rien vous cacher, je préfère le bœuf de Chalosse (en limousine ou bazadaise) de la Maison Aymé à Dax, la brune parthenaise ou sa cousine d'Aubrac, de la montbéliarde d'une demi-tonne au moins, ou pour son inégalable persillé, la simmental de mon boucher toulousain favori. Voire le toro de combat andalou, maigre mais goûteux, que nous avons sacrifié cet été.
Tout ça pour dire… qu'on n'en saura pas plus sur le mystère de la multiplication de la vache qui joue de la gaïta (cornemuse galicienne). Qu'on peut même y trouver de jolis chuletons, mais qu'on ne saura jamais s'il s'agit de bétail élevé en Galice, passé par la Galice, "fini" en Galice, abattu en Galice, ou même à quelques centaines de kilomètres de la Galice**. La viande bovine, c'est un sport aux règles encore plus compliquées que le rugby quand le Board cherche à les simplifier.


En revanche, plutôt que de faire la fashion victim (se faire couillonner étant consubstantiel de cette condition), si vous voulez vraiment goûter au mysticisme de ce terroir celte d'Espagne, dans sa pureté, sans coquinerie, précipitez-vous sans plus attendre sur les rouges de Galice: les vrais, les vins! Il y a du blond, pardon du blanc aussi, mais en rouge, comme je vous l'ai déjà raconté à plusieurs reprises***, nous sommes là face à un des terroirs espagnols qui, un peu comme le Priorat il y a dix ans, passionnent le plus les amateurs internationaux. Le très avisé correspondant d'Oncle Bob dans la Péninsule, Luis Gutiérrez, va d'ailleurs leur offrir en décembre un gros coup de projecteur planétaire dans le Wine Advocate (ce qui ne va pas arranger les choses pour en trouver, les quantités n'étant pas énormes!) Pourquoi ce coup de foudre? Tout simplement parce que contrairement à beaucoup de régions espagnoles, on y produit des vins équilibrés, fins, qui parfois, sans un grain de syrah, évoquent le Rhône septentrional ou la Loire, très loin du style lourd, cuit (et en option ultra-boisé) qui triompha à une certaine époque.


Un signe qui ne trompe pas, au delà de l'engouement international dont bénéficient ces vins, l'arrivée en Galice des jeunes loups de la viticulture haut de gamme espagnole qui ont bien compris l'énorme potentiel de ce climat (au sens bourguignon): les deux derniers en date, et pas des moindres, le riojano Olivier Rivière, à  Ronsel do Sil et Fredi Fresquito Torres, connu en Priorat (et en Suisse) mais de sang galicien, à Amandi. Tous les deux se frottent désormais à la mencia, au merenzao, au godello et autres cépages ancestraux dans la très spectaculaire et très qualitative Ribeira Sacra, sorte de Douro sauvage et frais. Leurs premiers tintos gallegos? On ne tardera pas à les goûter, patience! Je vous offre juste, en attendant, quelques images des vendanges 2014 que vient de me faire parvenir Fredi Torres.
Bon voyage au pays du (vrai) rouge de Galice!




* Détail intéressant, d'ailleurs, quand on clique sur la photo de ce qui devrait être de la "rouge de Galice", on tombe sur une page qui nous donne le titre de cette photo: "burgos.png". C'est peut-être une erreur de titre, toujours est-il que Burgos, ce n'est pas la Galice mais la Castilla y León, vaste région voisine, très différente de la Galice et première productrice de viande d'Espagne (21% de la production totale selon les chiffres 2013 du Ministère de l'Agriculture). C'est d'ailleurs vers Burgos, dans de gros élevages très performants, qu'on produit le fameux "wagyū" d'outre Pyrénées (cherchez l'erreur), de l'Angus également, des viandes souvent plus persillées que celles que l'on trouve en Galice. D'une façon plus générale, cette traduction fantaisiste se retrouve même sur le site parfois faux ami Wikipédia, en français, et en anglais, qui confondent les deux les blondes et les rousses…
** Si vous gagnez au loto, une bonne adresse de viande "galicienne". Pour le coup, ce n'est pas très loin, en Castilla y León, mais sur les terres de l'ancien Royaume de Galice, la "Bodega de carne" El Capricho à Jiménez de Jamúz, près d'Astorga; on y vend par correspondance mais à des prix parisiens de la vache, du bœuf rassis ainsi que quelques produits dérivés dont une belle cecina de León.
*** Si vous voulez en savoir plus, rendez-vous ici, ici, ici ou encore .


Commentaires

  1. De beaux rouges en Ribeira Sacra en effet, avec en particulier Dominio do Bibei (le mencia y pousse bien, complété par le brancellao et le mouraton).

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    1. Dominio de Bibei, c'étaient les débuts, on a vraiment affiné depuis, en Ribeira Sacra et ailleurs.
      Tiens, ça me fait penser qu'il faudrait un jour que j'évoque le Torna dos Pasas de Luis Anxo Rodríguez Vázquez, en D.O. Ribeiro.

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  2. On trouve aussi du mencia en Valdeorras ...

    Treixadura (Ribeiro), albarino (Rias Baixas) ... pour la fraîcheur ...

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