Vive le Brexit ?


C'est incontestablement la victoire, l'immense victoire des "damnés de la Terre". Les racornis, les frustrés, les aigris jubilent. Les c'étaitmieuxavantistes sabrent le mousseux (quoique je les imagine plutôt le sabler…), fiers de constater le triomphe de leurs arguments, souvent si petits qu'au lieu de puer de la gueule, ils sentent des pieds. Dans le Devon, si l'on en croit la BBC, un boucher a même déjà décidé de jeter aux orties le système métrique, ses sausages (probablement industrielles et cosmopolites) seront pesées selon la mesure impériale. Et tant pis pour les importantes subventions européennes qui ont tiré de l'isolement la Cornouailles voisine…
Vous me direz qu'elle l'a bien cherché, l'Europe. Et vous n'aurez pas vraiment tort. Cette Europe en tout cas, son gouvernement opaque, la toute-puissance de ses ronds-de-cuir, de ses technocrates, le cancer des lobbies*, ce parlement fantoche, cette manie surtout de venir foutre son nez dans ce qui fonde l'identité des pays, au quotidien. Elle a donc le mauvais rôle, celui de ces types, ou de ces bonnes femmes, qui se laissaient aller, ne baisaient plus, ne riaient plus, et un beau matin s'étonnent de voir l'autre faire ses valises. Dans cette drôle de rupture, les Anglais n'étaient sûrement pas les plus à plaindre, mais ce ne sont pas toujours les plus à plaindre qui divorcent en premier. Reste une question: sur le dos de qui va-t-on mettre tous les problèmes qui ne vont pas manquer de continuer à se poser au Royaume un peu désuni maintenant que la coupable idéale n'est plus là, celle qui permet aux politicards veules (pas qu'Anglais!) de se dédouaner à bon compte?


Je veux croire, j'espère que la sordide famille des nationalistes de tous poils, fachos, cocos & Cie ne pourra pas stopper la grande marche convergente des peuples d'Europe. Difficile de faire revenir en arrière ceux qui sont nés sans frontières**, sans guerres (Verdun, Oradour-sur-Glane, Waterloo, c'est déjà oublié?), ceux, jeunes et moins jeunes, qui réellement sont allés voir si l'herbe était plus verte ailleurs. Rien n'est perdu, il suffit de pousser dans le bon sens, pas de travers comme ces dernières années rongées par la Crise.
Et j'ai une pensée pour tous mes amis anglais qui aujourd'hui pleurent, qui ont honte aussi d'un pays qu'ils aiment mais ne reconnaissent plus. Mes frères, nous déboucherons encore des milliers de bouteilles de ce vin français que vous aimez tant et qu'il sera  un peu plus difficile qu'avant de vendre à Londres. Je lisais à cet égard la note confidentielle envoyée le week-end dernier par un des principaux importateurs britanniques, il va falloir se battre, les vignerons français eux aussi vont devoir se battre, faire des sacrifices, pour continuer à étancher la soif de ceux dont le palais connaît autre chose que la bière industrielle du nord de l'Angleterre.


En fait, à tout ça, en essayant de penser étriqué, de regarder, comme le veut l'air du temps, les choses par le petit bout de la lorgnette, je ne vois qu'une bonne nouvelle (on se console comme on peut, même si on ne se console jamais vraiment des histoires ratées). La bonne nouvelle, pour moi, Barcelonais, c'est que ceux qui, dans le nord de l'Angleterre, ont massivement voté pour le Brexit vont l'avoir dure dans les années à venir. Normal, c'est toujours le Peuple qui souffre, de ses propres erreurs aussi***. Il faudra donc se serrer la ceinture, subir la baisse de la livre ainsi que les "réajustements" d'ores et déjà promis par le Chancelier de l'Échiquier.
Finis donc les extras, les enterrements de vie de garçon (ou de jeune fille) dans la capitale catalane, la pisse de bière au petit matin sur les murs de la vieille ville, le délicieux accent de Birmingham, Manchester, Sheffield sur les ramblas. Le robinet à touristes risque de quelque peu se tarir, celui, low-cost, de RyanAir, populaire, pas cher, qui rime avec cette Angleterre-là.


Je ne vais pas faire le catalaniste, jouer le populiste ronchon, le folkloriste rance (cousin nationaliste, indépendantiste des Brexiteurs…), emboîter le pas du maire de Barcelone qui veut éradiquer ce tourisme de masse, mais je reconnais que retrouver un peu d'air en faisant mon marché, à la Boqueria, ce n'est pas de refus. 
Ce marché que j'adore est en train de crever de son succès factice. En quelques années, les loges authentiques ont été remplacées par des vendeurs de saloperies pour guiris. Le meilleur exemple, ce sont les fruits. Ça a commencé par l'entrée principale, les primeurs se sont peu à peu transformés en pourvoyeurs de salades d'ananas et de fraises en plastique, de jus épais de la pire origine possible (généralement sud-américaine via la multinationale Del Monte), gavés de pesticides à des niveaux impensables en Europe. Les méchantes langues disent qu'au bout de cinq achetés, le cancer est offert en prime…


À la Boqueria, les allées sont encombrés de photographes aux genoux rouillés et, surtout, de mangeurs debout en tongs et short, généralement équipés de cet indispensable sac-à-dos sans lequel on se demande comment se nourriraient les voleurs à la tire. Ce marché, normalement destiné à faire ses courses est ainsi devenu un temple de la merde à ingurgiter sur place****, en marchant de préférence. Chaque jour le mal gagne du terrain, chasse les commerces historiques, sans que les responsables de l'institution et encore moins la municipalité dont elle dépend ne tentent quoi que ce soit pour enrayer la destruction.
Les Britanniques occupent bien évidemment une place de choix dans cette déambulation masticante, ce n'est pas pour rien qu'ils ont inventé le take-away! Sur ce point précis, leur absence ne va pas nous manquer, même s'ils ont de sérieux concurrents, avec les Français et les Américains adeptes aux aussi de la malbouffe colorée, tellement plus naturelle que celle sous blister également de leur pousse-caddie habituel.


Allez, pour se changer les idées, oublier le Brexit et ses funestes conséquences, la grande partouze des démagogues, et l'impuissance aveugle des politiciens, je vous propose une petite promenade, inhabituelle, elle, dans la Boqueria, à des heures vides où les touristes, anglais ou pas, vaquent à d'autres occupations barcelonaises. Un marché désert, silencieux, sur les pas de ce vieux monsieur du quartier, qui, tout comme moi, n'a pas envie de le voir mourir de son succès.




* Récemment encore, cette histoire de RoundUp
** Certes, le Royaume-Uni n'était pas encore entré dans l'Espace Schengen, mais l'absence de frontières, ce sont aussi ces échanges, du type d'Erasmus, qu'ont eu la chance de connaître tant d'étudiants européens, anglais notamment, des jeunes qui malheureusement ont laissé les vieux voter à leur place et regrettent aujourd'hui amèrement de ne pas voir fait leur devoir.
*** Un exemple, juste un, l'automobile: 80% des voitures produites en Grande-Bretagne sont exportées en Europe. Quelque chose me dit que les ouvriers anglais de cette industrie ont du souci à se faire. C'est en tout cas ce que laissent entendre leurs patrons.
**** À l'image justement du fameux Borough Market londonien, où l'on marche moins mais où l'on mange et boit davantage.


Commentaires

  1. Mouais... comme s'il était impossible d'avoir des relations commerciales avec un pays non-membre de l'UE... Comme si ça allait devenir impossible de vendre du vin français au Royaume-Uni... Ben voyons... et au Japon, on n'en boit pas du vin français? Et en France, on n'en trouve pas du vin chilien ou australien?

    Le Brexit, quelle blague! Mais bon, continuons de pousser des cris d'orfraie jusqu'au moment où tout le monde va se rendre compte que cela ne va strictement rien changer à rien...

    Cette UE de "bureaucrates, de juges et de traders" comme l'a dit récemment Henri Guaino, n'est plus rien qu'un artifice, une vaste machinerie sans direction.

    Et quand on voit les Ecossais, mais quelle tartufferie! Alors comme ça ceux qui veulent quitter l'UE sont des salauds, des ploucs, des "beaufs de pousse-caddie/ bôite à cons" mais en revanche ceux qui veulent à leur tour quitter le Royaume-Uni seraient forcément des femmes et des hommes drapés de toutes les "Lumières", de toutes les vertus d'un peuple aspirant à la liberté....

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Les professionnels du secteurs doivent donc s'inquiéter pour rien…
      Pour en revenir la comparaison Royaume-Uni / Japon, quelques chiffres:
      la France exporte 237,98 millions de litres au Royaume-Uni, son premier marché mondial, et seulement 68,11 millions au Japon, qui n'est pourtant pas un petit pays pauvre, avec en particulier sa ribambelle de trois-étoiles.

      Supprimer
  2. On essaie de nous vendre le "Brexit" comme le pire mal et comme Pierre ça me fait doucement rigoler. Les mêmes politiciens, les mêmes pseudos experts etc etc qui beuglent dans la bonne direction, celle d'une europe dirigée par merckel actuellement contre la volonté de beaucoup et pour les intérêts de l'Allemagne. S'adapter ou mourir, c'est l'équation de tous les jours pour les petites et moyennes entreprises brexit ou pas brexit. Les grosses entreprises multinationales elles en sont généralement à l'abri depuis le fameux " To big to fail" et ce qui en découle.

    RépondreSupprimer
  3. Il n'y a pas l'ombre d'une trace de démocratie dans ce Gros Monsanto politique qui vient de perdre quelques banquiers qui ne tarderons pas à déménager de toute façon. C'est sans doute ça le problème de cette étable présomptueuse et menaçante (j'en sais quelque chose, je suis en Helvétie, ce pays de salauds que vos députés rêvaient il n'y a encore pas si longtemps de faire ramper à genoux, nostalgie quand tu nous tiens..) Est-ce que les rosbifs vont arrêter de boire du vin français ? (avec ou sans glaçons), j'imagine bien que non. Vont-ils aller passer leurs vacances à Plouc-sur-Avon ? Pas plus convaincu que pour le raisin..

    RépondreSupprimer
  4. Cher Vincent, non seulement j'abonde dans le sens du commentaire de Pierre, mais je tiens à apporter quelques précisions. Avant toute chose, le distinguo s'impose entre les "nationalistes" fachos et cocos (dont je suis, sans être nationaliste pour la bonne raison que cela relèverait d'une contradiction fondamentale puisque nous sommes ontologiquement internationalistes). Les premiers ne veulent pas de l'Europe, les seconds ne veulent pas de cette Europe là. Oublions l'argument à deux-balles servi par une classe politique tendant à faire croire aux plus naïfs que "c'est grâce à l'Europe que nous n'aurons plus la guerre": il est un postulat selon lequel on ne se fait plus la guerre entre riches. Mais je comprends moins que le pourfendeur de "pousse-caddie" que tu es puisse regretter la disparition de "cette Europe là". Pour avoir été pendant 15 ans journaliste accrédité à la Commission européenne, j'ai eu le privilège d'assister aux manœuvres diverses et variées des lobbies (ils étaient 108 en 1986 lorsque j'ai quitté en 1986, ils sont près de 1500 aujourd'hui). C'est à eux – et anglais en particulier – que l'on doit la directive "chocolat" qui te permet de bouffer de la graisse de palme en lieu et place du beurre de cacao. Certes, il existe d'excellents chocolatiers… Accessibles à 5% (dont toi et moi) de la population consommatrice… C'est à cette "Europe là" que nous devrons un jour ou l'autre l'interdiction des fromages au lait cru. Pour information, la directive a été repoussée à une voix près à la majorité qualifiée du Conseil des ministres. Ils reviendront à la charge comme les Anglais l'ont fait pendant un peu plus de vingt ans pour la directive "chocolat". Comme me l'a dit un jour un administrateur général de la division agriculture: "le paysan qui a cinq vaches en montagne nous emmerde".
    Quant à vendre du vin français en Grande-Bretagne, il s'en vendait autant sinon plus (l'invasion australienne n'était pas ce qu'elle est devenue) avant le 1er janvier 1973 qu'après. Le prix du vin est grevé d'accises strictement nationales (voir la Belgique, le Danemark ou la Suède). C'est donc totalement indépendant de l'appartenance ou non à la Communauté européenne.
    Je suis donc très étonné de te voir défendre un modèle européen dessiné pour le plus grand bonheur des fournisseurs de "pousse-caddies".

    RépondreSupprimer
  5. A Pierre qui nous dit de ne pas nous inquieter. J'importe des vins francais au Royaume-Uni. Je les achete en euros et les revend en livres.
    23 Juin: 1 GBP = 1.30 EUR / 12 Juillet: 1 GBP = 1.18 EUR
    Les memes vins coutent donc plus cher. Quelles consequences sur les prix, selon vous ? Et donc sur les ventes ? Et donc sur les volumes d'importation ici au RU. Et donc sur les exportations des vignerons francais ? Etc...

    Quant au marche de Borough Market, je peux temoigner en effet qu'il est devenu le temple du tourisme, ou il est devenu quasiment impossible de faire ses course 'normalement', c'est a dire sans avoir a attendre que les groupes de touristes finissent de prendre en photo l' etal du poissonier, maraicher etc...

    Il se trouve que je suis present le samedi sur un petit marche de l'est de Londres, Netil Market. Un antiquaire, qui a passe les 30 dernieres annees a vendre sur les marches de Londres m'expliquait le weekend dernier que Netil Market etait son marche prefere mais qu'il en voyait le debut de la fin. Pourquoi ? ''Parce que les touristes commencent a etre plus nombreux que les locaux et les touristes n'achetent pas'' me dit-il. Effectivement, je constate moi aussi que les touristes goutent (les vins que je propose, en l'occurence} mais n'achetent pas. C'est la realite, pas un fantasme.

    RépondreSupprimer

Enregistrer un commentaire

Articles les plus consultés