La piquette, cette boisson branchée?
En voilà un mot pratique: "piquette". Quand on ne sait pas trop quoi dire d'un vin, qu'on a envie d'en dire du mal surtout* et qu'on n'est pas trop savant, eh bien, c'est une piquette. La même que celle que l'on prend au rugby, ultime étape avant le pétanqueur baiser aux jolies fesses de Fanny**. D'une certaine façon, son usage incertain, fourre-tout, a été acté par un ministre de l'Agriculture, Christian Bonnet, qui avec une grande délicatesse, en pleine crise viticole, avait qualifié les crus du Midi de "piquette". Certes, à l'époque, en 1976, beaucoup n'étaient pas terribles, marqué du sceau paresseux de la coopération, de l'industrialisation, aussi bien à la vigne qu'en cave, mais aucun pratiquement ne répondait à la définition de ce qu'est réellement une piquette.
Car, si l'on parle technique, une piquette, c'est quelque chose de bien précis. Dans un bistrot, avec le café, on appellerait ça une repasse. Vous savez, quand un bistrotier pingre oublie de jeter le marc du petit noir précédent et en tire le suivant qui vire au jus de chaussettes. En matière œnologique, il s'agit, une fois que l'on a pressé le vin normal, de verser de l'eau, éventuellement sucrée, sur le gâteau de marc formé par le pressoir. En coule, après un nouveau pressurage, un jus clairet, faiblement alcoolisé, un peu rêche (surtout en cas de vendange entière). Ce jus a longtemps été la boisson de référence des campagnes, compte tenu de son faible titre, les travailleurs de force pouvaient aisément en ingurgiter quatre ou cinq litres par jour.
Pratiquement inconnue des buveurs citadins, la piquette authentique est évidemment une boisson rurale, de pays de vignes. Peu de ceux qui ne connaissent pas profondément, intimement le monde viticole y ont déjà mis le nez. J'ai envie de dire qu'il faut être né à la vigne pour immédiatement la repérer. Elle n'est pas non plus chose ancienne. Récemment encore, il m'est arrivé d'en boire, en essayant de ne pas faire la grimace.
Pourtant, l'idée m'est venue que la piquette avait pas mal d'atouts pour devenir une boisson tendance** (pour peu que l'on lève quelques légers obstacles légaux). D'abord son faible titre alcoométrique volumique, son degré très bas pour parler profane. Le consommateur branché d'aujourd'hui s'est remis à ce regarder ce détail de l'étiquette. Et alors qu'avant un degré plus élevé signifiait une qualité supérieure, aujourd'hui un plus faible implique automatiquement un grand "glouglou". Vous imaginez du coup le succès d'un pinard à six ou sept degrés!
Pour ce qui est du côté rustique de la boisson concernée, ses notes végétales fortement marquées, je pense également que ça ne devrait pas poser de gros problèmes. Ajoutons-y une étiquette très colorée, et pourquoi pas un ou deux slogans révolutionnaires, et la même cible trouvera ça furieusement "frais".
Et puis, il y a le point fort du produit: sa couleur. Fondamental, la couleur! Aujourd'hui, quand on est à la page, on boit clair, voir délavé. Conséquence évidente de la mode précédente (éternel balancier…), où il fallait des vins bodybuildés, sur-extraits et donc noirs comme de l'encre. La couleur d'un vin est un énorme conditionnement au moment de découvrir un nouveau jus qui fait qu'à l'œil, chez les mondainvineux actuels le trousseau, le cinsault ou le pinot noir l'emportent nécessairement sur le tannat, le cabernet ou le côt.
Reste un léger problème, celui du transport et de la conservation. Compte tenu de sa structure malingre, la piquette est fragile, elle peut d'ailleurs comme son nom l'indique rapidement se piquer. Mais n'est-ce pas là un atout supplémentaire pour la clientèle sus-citée capable d'avaler des trucs comme cet Italien évoqué ici? Un charme fou! Des lots disparates avec des bouteilles toutes différentes, d'autant plus si le transporteur, le caviste ou le bistrotier ont mal fait leur travail et que le vin est monté au-dessus des quatorze degrés fatidiques. Le rêve, quoi. Parce qu'évidemment, cette piquette hype, il est hors de question de la sulfiter à la mise, elle se doit d'être "nature", "vivante"…
Plus sérieusement, si vous n'êtes pas du vin ou d'un pays de vigne et que vous voulez vous initier à ce produit, voici une adresse, celle d'un excellent vigneron du Mâconnais, Julien Guillot, des Vignes du Maynes. Il a fait une piquette qu'il vous fera peut-être goûter. C'est la bouteille qui ouvre en photo cette chronique, fièrement exhibée par Benoît Valée, le premier des Mohicans naturistes de Barcelone, qui en cache quelques flacons dans sa cave de L'Ànima del Vi. Une piquette d'aujourd'hui, caractéristique du procédé (je l'ai détectée à l'aveugle) mais techno, au bon sens du terme, sans déviances ni faux goûts. Allez-y, vous verrez, ça ne pique pas!
* Exemple ci-dessus avec cette photo extraite du blog No Wine is innocent d'Antonin Iommi-Amunategui qui stigmatise ainsi un vin sans sulfites ajoutés du Languedocien Gérard Bertrand.
** La piquette m'indique-t-on est également un dessert normand à base de lait caillé. Peut-être en trouvet-on d'ailleurs chez la cuisinière de mes phantasmes, Virginie Xerri, qui avec son mari Charles (eh oui, elle a un mari…), fait rayonner Le Sillon de Bretagne, à deux pas du Mont-Saint-Michel.
*** Le nom a d'ailleurs été réutilisé il y a quelques années, pour un projet québécois de vin en poudre, à découvrir ici, chez Bourgogne Live.
Commentaires
Enregistrer un commentaire