Plus Baba que Bobo.


La restauration rapide, ça existe. Et ce n'est pas ce clown triste de Ronald McDonald qui l'a inventée. Bien avant qu'on ne la rebaptise "fast-food", en patois, elle avait même des formes parfois agréables qui malheureusement meublent davantage nos souvenirs qu'ils ne nous rassasient. Je me rappelle ainsi, amoureusement (le contexte l'était aussi), d'un jambon-beurre-cornichon parisien, rue de la Chaussée-d'Antin, de croque-madames onctueux, de tous ces plaisirs simples dont les bistrotiers paresseux (visiblement, ils sont légion) nous ont privé.
Parmi ces casse-croûtes qui ne détruisent pas l'honneur d'un gastronome, j'ai été initié assez tôt, à la fin des années quatre-vingts, au kebab. C'était à Berlin, encore emmurée, quand nous nous amusions à aller narguer avec nos revues, nos disques, nos livres interdits, la sordide dictature de l'Est et ses casquettes tristement pointues. "Döner kebab", ce terme que l'on croisait à chaque coin de rue, à chaque ecke, surtout du côté des nuits hantées de Kreuzberg, n'était pas encore familier au jeune Français que j'étais, je l'ai pourtant vite intégré. 


Selon la légende urbaine, c'est Mehmet Aygün, un Turc bien sûr, qui aurait inventé le döner kekab, en 1971, dans son restaurant Hasir, au 10 d'AdalbertStraße, près du métro Kotbusser Tor. On sait, en fait, que le plat existe depuis des siècles en Anatolie. L'idée de Mehmet Aygün aurait été de fourrer la viande et les légumes, dans un morceau de pain, en faisant ainsi un plat complet, populaire, bon marché, aisément transportable et même, éventuellement, mangeable debout, dans le rue.
Ça d'ailleurs, autant le côté restauration rapide ne me dérange pas outre mesure, autant l'idée de bouffer sur un trottoir, au milieu des merdes de chiens et de la pisse d'Anglais (déformation barcelonaise…) me révulse. On mange assis, à table, comme des humains!


Star berlinoise des années quatre-vingts où malgré la punkitude et les petits-déjeuners avec Nina résonne encore le vieux souvenir seventies de Lou et de David, le kebab doit attendre les années quatre-vingt-dix pour se faire vraiment une réputation en France. Bizarrement, je ne lui trouve pas tout à fait le même goût, d'autant que débarquent très vite ces espèces de pâtés industriel de minerai de viande qui remplacent horriblement les amoncellements d'antan. Pour tout vous dire, je lui trouve un côté triste au kebab hexagonal, sale et miséreux. Il triomphe pourtant, devenant un des motifs de haine des cafetiers d'extrême-Droite, ceux-là même qui lui ouvert un boulevard (à lui et au hamburgers) en délaissant honteusement les jambon-beurres et les croque-madames…


En Espagne où je vis, le kebab ne vaut guère mieux que de l'autre côté des Pyrénées. À Barcelone en tout cas où il sert de nourriture aux (nombreux) touristes, et de poubelle à viande aux industriels. Car bien sûr, comme en France, les restaurateurs utilisent de l'aggloméré, taillé au rasoir, bref, tout ça n'est pas très ragoûtant. 
Et puis, il y a des exceptions, comme cette petite adresse sur la rambla del Raval, à deux coups de pédales des célèbres ramblas. Ça s'appelle Baba. Bien Baba, à ne pas confondre avec le Bobo (ci-dessus) qui sévit deux cent mètres plus bas sur cette même artère au charme discutable qu'on doit au talent des architectes des années olympiques.


À l'inverse de ses voisins "aux normes d'aujourd'hui", Baba propose un kebab composé de vrais morceaux d'agneau (mon préféré) ou de poulet, aimablement épicés en millefeuilles, et tranchés au sabre, comme il se doit car nous ne sommes pas chez le barbier. On peut l'emporter ou le consommer sur place, dans un pain ou à l'assiette, en regardant le match de foot turc à la télévision, et en buvant de l'eau plate qui est assurément la meilleure référence de la carte des vins. C'est ce que j'ai fait hier, avant d'aller me faire un clown en ville…





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