Que c'est gai, Venise !

Un peu par la force des choses, j'ai beaucoup mangé au restaurant ces temps-ci. Plutôt mal d'ailleurs, parce que j'ai perdu l'habitude de la nourriture industrielle, de ses adjuvants, colorants, conservateurs, exhausteurs de goût et autres poudres de perlimpinpin. Ça sent l'usine et le frigo, souvent, la bouffe de restaurant. Mais bon, la proverbiale lenteur des bâtisseurs catalans (plus occupés à parler de travail qu'à s'y mettre vraiment) a fait que j'étais privé de fourneaux, alors…

Des tables, on en a donc essayé pas mal. Je vous en raconterai certaines qui m'ont amusées pour telle ou telle raison. Beaucoup d'endroits à touristes, parce que quand on vit dans le Barrio Gótico de Barcelone, il est difficile (euphémisme…) d'y échapper. Et parfois de bonnes surprises, à l'image de cet estaminet coincé dans la carrer de Jerusalem, juste derrière le marché de La Boqueria, Mercat Sant Josep pour les intimes. 

Je vous préviens tout de suite, ne vous attendez pas à un taller de tapas frelaté, à une arroceria aux paellas mollassonnes, à une pulperia surgelée*, nous allons manger italien, vénitien très exactement.

L'endroit s'appelle Bàcaro. Oui, je sais, ce n'est pas très original, des bàcari, il y en a des dizaines qui ont ouvert ces dernières années dans le Monde, Londres, Paris, Toulouse**; pour dire, Google m'en a même signalé un à Roubaix! À ceux qui l'ignoreraient encore malgré cet engouement, le bàcaro est la taverne, le bistrot à vin typique de La Sérénissime, pendant vénitien du bar à tapas sévillan.

L'avantage de celui-ci est qu'il n'a pas été monté ni hier ni par des faussaires mais par un chef italien, vénitien, Vieiri. Ça se sent dès la lecture de la carte.

Modestement, tournant le dos à de belles propositions marines, je me suis contenté de quelques pâtes à la tomate fraîche et à la ricotta, et d'un sublime foie de veau, à la vénitienne bien sûr. Le foie et par-fai-te-ment cuit, très peu donc, c'est même la première fois que j'en mange un de ce niveau en Espagne, fondant et goûteux. Il était classiquement accompagné d'une polenta.

En prime (tant pis pour le chic baltringue), l'assiette était généreuse, on avait su éviter la micro-bouchée de viande perdue dans un coin de l'assiette, les trois giclées artistiques de sauce et l'obligatoire tombée, façon Heidi, de feuilles vertes et de fleurs de pousse-caddie qui font "Nature". Bon prince, je vous évite les deux lamelle de radis à la mandoline (pour la tache de rouge sur les photos Instagram).

Au rayon vin, les amateurs d'étiquettes à la mode vont être déçus, le Bàcaro de Barcelone ne fait pas apparemment dans les bouteilles branchées, il se contente d'en servir des bonnes. Ça me convenait parfaitement: un bardolino et un dolcetto d'Alba (j'ai oublié le nom des vignerons), légèrement rafraîchis pour conjurer la vague de chaleur qui s'est brutalement abattue sur la côte catalane.

Ajoutez à cela une panna cotta excellente, un café correct et un service dont feraient bien de s'inspirer les camareros locaux, j'en avais presque oublié que je déjeunais au restaurant, à deux pas des ramblas.

* Par parenthèse, ce n'est pas pécher que de congeler le poulpe, pour l'attendrir. On trouve d'ailleurs une excellente pulperia dans le quartier, où l'animal est servi normalement, sans les sauces sucrées à la con dont je l'ai vu affublé dans certains restaurants "branchouille".
** La Bàcaro toulousain, près de la place Dupuy, dont les naturistes locaux me disent le plus grand bien. C'est devenu une des stations de leur chemin de Boire (qui en compte beaucoup moins que quatorze).