Malbec, marketing, machines à brasser de l'air.


Comment ne pas en remettre une couche? Dimanche dernier, un peu agacé, j'ai pondu en quelques minutes une chronique sur cette histoire ridicule de cocktails au cahors. Et immédiatement, sans aucune surprise, j'ai constaté que tous ceux qui ont un minimum de sensibilité au vin et à ses valeurs ont partagé cet agacement. Car le problème, ce n'est pas tant qu'on emploie du vin dans un cocktail (l'idée ne me fait pas particulièrement rêver, je l'avoue), mais que ceux qui sont chargés de promouvoir et de défendre une appellation jugent raisonnable d'en faire un axe de promotion.


Cahors, a des concurrents, et aussi des ennemis. Des ennemis de l'intérieur. Ces ennemis, ce sont tous ceux qui, des années durant, ont produit des vins indignes des terroirs exceptionnels de cette belle appellation, singulièrement du causse calcaire. Ceux qui ont collé au cahors une image de vin revêche, sans fruit, que seul des palais rustiques (rustauds?) pouvaient supporter. Dans cette affaire, la coopération, politiquement puissante dans cette partie du Sud-Ouest, porte une lourde responsabilité. Le Carte noire de triste mémoire, que j'évoquais dimanche, a été  pour plusieurs générations un repoussoir, presque un symbole du cahors sans grâce, celui qu'il fallait se baisser pour amasser au ras du sol au pousse-caddie. Le kolkhoze qui a d'ailleurs persévéré ces dernières années, en se renouvelant, à l'image du consortium Vinovalie mélangeant dans ses gammes le fameux Rosé Piscine® et des AOP de terroir comme Cahors.
Va savoir, c'est peut-être de là, de cette "culture de masse", de cette banalisation de la médiocrité pinardière qu'est venue à Jérémy Arnaud, le directeur du marketing de l'Interprofession des Vins de Cahors, la formidable idée des cocktails


Cette énorme connerie (appelons un chat un  chat) a, je le répète, énervé les amoureux du cahors dont je suis, et a fait éclater de rire la planète-vin. Bien au delà du microcosme lotois (qui semble-t-il est entré en ébullition jusque dans ses sphères politiciennes), bien au-delà de la France* et de l'Europe. On en aurait volontiers ri a posteriori si son auteur l'avait reconnue, l'avait assumée, avait eu les mots pour s'amender, et s'excuser aussi auprès de vignerons fous de rage de voir ainsi piétiné leur travail minutieux, précis, patient. De voir celui qui est payé pour les défendre leur donner un coup de poignard dans le dos.
Tout au contraire, Jérémy Arnaud a choisi l'arrogance, l'agressivité face aux cons qui n'avaient rien compris, qui doutaient de son immense génie. Et a ajouté le verbiage au ridicule, tentant au passage de rameuter ses maigres troupes pour l'épauler dans cette mission perdue d'avance, justifier l'injustifiable. Parce qu'enfin, franchement, vous imaginez les responsables marketinge (y'en a-t-il?) de Pommard ou de Pomerol inventer des cocktails afin de rendre leurs crus "buvables"? Vous voyez Aubert de Villaine en train de siroter à la paille une romanée-conti on ice?


Tant qu'a évoquer le marketinge de Cahors, j'en profite pour vous faire part de mes doutes sur cette "stratégie" qui est le cheval de bataille de Jérémy Arnaud (et d'autres avant lui): tout miser sur le malbec. Je ne suis pas franchement convaincu. Un appellation d'origine protégée n'a-t-elle pas d'autre valeurs à mettre en avant? Le cahors n'est-il qu'un vin de cépage? Comparaison n'est pas raison, mais ne trouveriez-vous pas suicidaire que la Bourgogne par exemple ne fonde sa communication que sur le pinot noir?
Parce que du malbec, on peut en planter partout sur Terre, dans la plaine inondable de l'Hérault comme sur des plateaux argentins ou pourquoi pas en Chine où la main d'œuvre ne coûte rien, où les règlements sont inexistants. Alors que du Cahors, on ne peut en produire que dans le Lot. Et que dans le Lot, des belles histoires à raconter, il y en a des tonnes. Ce pays est d'une richesse inouïe, il suffit juste de regarder, d'écouter et de se creuser un peu la tête. C'est guère plus compliqué que de se contenter de surfer sur une mode dont on ne connaît pas la durée de vie.


Au lieu de ça, c'est donc cette "stratégie" vin de cépage qui prévaut. Avec un cliquant qui hésite entre le look 9-3 et le remake de Scarface, à l'image de ce Malbec Lounge cadurcien (ci-dessus) qui a le mérite d'exister mais que je ne sens pas très raccord avec l'extraordinaire patrimoine lotois.
Attention, je ne dis pas que j'ai raison, simplement, je m'interroge. Et, vraiment, j'ai des doutes. Parce qu'il me semble que la vérité est ailleurs, qu'elle est chez les vignerons, chez tous ceux, chacun dans son style, qui sont en train d'inventer les climats de Cahors, de fouiller le terroir, de le remettre en valeur. On a besoin des vins de masse, mais ils n'ont jamais été les locomotives. Dans le langage de leur époque, ce sont Lafite, Latour ou Pétrus qui ont fait Bordeaux plus que bordeaux ne les a faits.
Mais ce que ne voudront jamais comprendre les génies du marketinge, c'est que la réponse vient toujours, immanquablement, des vignerons, de leur avant-garde. Normal d'ailleurs qu'il ne veuillent pas le comprendre, ce serait admettre l'inutilité de leurs artificiels concepts et de leurs épatantes machines à brasser de l'air.



L'image ci-dessus, bien plus poétique que le marketing est une œuvre de Magali Rousseau, à découvrir ici.

* Lire par exemple ici la chronique coup de colère de la caviste-blogueuse belge Sandrine Goeyvaerts.

Commentaires

  1. Tu fais bien de te demander si tu as raison ou tort.
    Pour t'aider à répondre à la question, regardons le travail de Jean-Michel Deiss.
    Tout ce qu'il a mené au bénéfice des grands crus d'Alsace s'articule autour du gommage du cépage, ce riesling international, au profit des terroirs grands crus. Et, peu à peu, les grands vignerons qui l'entourent font valoir le nom du lieu et finissent par comprendre que, oui, du riesling est planté dans le monde entier, amis qu'il n'y a qu'un seul Bollenberg, Mambourg, etc. Même si ils se font légèrement peur en se demandant si le consommateur va suivre, ils y vont.
    C'est Deiss, avec eux, qui a raison.

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  2. Voilà qui est dit, et bien dit. Je m'interrogeais depuis quelques temps sur l'indifférence voire la complicité inconséquente de la ville de Cahors sur la relégation de son nom connu internationalement pour le reléguer à la remorque d'un cépage et vous m'avez rassuré. Je ne suis pas un vieux nostalgique au prétexte que je ne partage pas les dérives prétentieuses de specialistes autoproclames.

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