Un des futurs meilleurs restaurants du Monde?


Rassurez-vous, je ne vais pas encore vous bassiner avec cette pantalonnade que représente à mes yeux (et pas qu'aux miens désormais puisque même la Presse polie le dit) le Top50 du Mondogastro sponsorisé par Nestlé. Mais je n'ai pas pu m'empêcher d'y penser en descendant dans cette crique d'Aiguablava, celle qui est le plus au sud, sous le parador. Pourquoi? À cause de cette fumée de chêne vert qui signe le grilladin "de luxe", une fumée qui m'a évoqué les différentes essences utilisées par Víctor Arguinzoniz, le propriétaire du restaurant Etxebarri, sacré la semaine dernière à Londres "treizième meilleur restaurant du Monde". 
Je ne veux pas dénigrer, Etxebarri, où j'ai fait un repas contrasté, avec du très bon et du moins bon, demeure un excellent asador. Surtout quand il laisse sa belle matière première brute, sans la masquer sous des mariconadas, de superfétatoires espumas. De là à en faire une référence planétaire, "le treizième meilleur restaurant du Monde", il y a un pas que seul le dépaysement de citadins tombés de l'avion, l'ivresse des vacances ou une prise immodérée de stupéfiants peut faire franchir. Mais bon, quand on est amoureux, n'importe quel restaurant peut devenir le meilleur du Monde, surtout si l'hôtel est proche…


Prise dans son contexte, la table qui nous accueille aujourd'hui rassemble de nombreux ingrédients susceptibles d'en faire un des "meilleurs restaurants du monde". Le cadre d'abord, au moins aussi époustouflant pour le Londonien ou le Parisien venant d'atterrir que celui d'Etxebarri. Le cadre, c'est cinquante pour cent minimum de la réussite d'un repas gastronomique contemporain, branché. Vous imaginez, vous, la réaction du foodiste de base si on lui servait les merveilles créatives des cuistots à la mode dans une assiette en plastique au bord de l'autoroute? À goût égal, je prends le pari qu'il avalerait ça avec la même allégresse qu'un sandwich poulet-mayo-pain de mie sous blister. 
Le cadre, donc, puissant exhausteur de goût, et la proximité des étoiles, en l'occurrence, celles du number one, El Celler de can Roca. Le nouveau temple de la molécularité se trouve à cinquante kilomètres seulement, c'est incontestablement un atout. Imaginez le scénario: vous avez déjeuné dans les faubourgs de Gérone, chez Roca, et, le soir, alors que le soleil illumine la Méditerranée de ses derniers rayons, au sortir d'une cuisine doucereuse, chimique, sans colonne vertébrale, vous retrouvez cette jubilatoire sensation de manger, de mâcher, de dévorer la Nature. On a vu le cas, pas loin de là, à Rosas, avec Rafa. Cet honnête restaurant de poissons ravissait la clientèle du lendemain, celle qui la veille au soir s'était forcément extasiée* devant son "expérience" à El Bulli mais se rassurait le corps en renouant avec une nourriture normale, saine.


Pour ceux qui ne connaissent pas la région, nous sommes donc en Espagne, au nord-est du pays, sur la Costa Brava. Aiguablava ("eau bleue" en catalan) est un des sublimes petits ports découpés dans les falaises qui dépendent de la bourgade de Begur. Avec Cadaqués et S'Agaró, il s'agit sans conteste  d'un des plus beaux spots du coin, grâce principalement au relief qui a freiné le bétonnage et l'invasion des campings. Et encore, là, nous sommes en voiture! L'idéal pour découvrir ce rivage reste la barque catalane (pas la voilier à cause de la quille) qui permet, même en août de découvrir des criques désertes ou de visiter d'étonnantes grottes marines. Attention quand même à l'inoffensif Cap Begur quand le vent se lève…


Notre table est donc dressée au paradis, les pieds dans le sable ou presque, sur une des petites plages du coin, bondée en ce premier dimanche de canicule. L'établissement, une ancienne baraque de pêcheur, s'appelle Toc al Mar, "touche-la-mer" pourrait-on traduire un peu maladroitement. Ici, ne vous encombrez pas de détail, vous commandez du poisson local, de petite pêche, des rascasses, dentols, daurades, mérous, besugos ou de modestes sardines (c'est la saison!), des moules ou des crustacés (langoustes du cap et gambas rojas de Palamós). Le point commun de tous ces beaux produits, c'est qu'ils sont grillés et/ou rôtis à la braise de chêne vert, pas au charbon de bois, au carbó comme on le fait un peu partout aux alentours.


Le résultat, d'une simplicité biblique, est excellent, d'autant que les cuissons sont précises, ce qui n'est pas toujours le cas en Espagne. Le service est au diapason, attentif et décontracté, plage et pro. Bref, on est très loin des horreurs balnéaires où, à coup de filets de rougets surgelés et de crevettes d'élevage, de camouflages sauciers et décoratifs, on confond client et pigeon.
Un léger bémol, habituel, comme il se doit, la carte des vins est moyenne-moyenne, (ce qui fait un autre point commun avec Etxebarri où le cidre et le txakoli nous avaient sauvé la mise), on peut se rabattre sur des mousseux catalans, et se consoler au dessert avec un vin de messe de Tarragone, idéal sur le borracho, ce "gâteau ivre", sorte de baba au rhum d'outre-Pyrénées.


Toc al mar n'est évidemment pas le meilleur restaurant du Monde. Ni même le treizième d'ailleurs. Mais il faut quand même être sacrément couillon, à un niveau stratosphérique, bête à manger du foin, pour croire à ce genre de classements. N'empêche que même si vous ne venez pas y faire le détox d'une des cantines chimiques des environs, voilà le genre de lieu qui offre une belle respiration. Face à la mer, dans une crique pour milliardaires mais à des tarifs tout à fait honnêtes eu égard de la matière première, on peut même parler de rareté.





*  Comme devant certaines performances artistiques hermétiques où l'on doit aussi s'extasier, bruyamment de préférence, sauf à vouloir passer pour un gros cocu.


Commentaires

  1. Et Toc ! Bien dit, une fois de plus...

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  2. Mais non mais non Vincent !
    Le futur c'est ici.

    http://foodintelligence.blogspot.fr/2015/05/connaissez-vous-mano-rota-barcelone.html

    Je suis certain que le simple "élément de langage" suivant va vous faire sortir de chez vous fissa : "... C'est drôle comme l'on ressent chez ces jeunes chefs une forme de swing, une gestuelle de barman infusant la cuisine comme une mixologie ..."

    Ouille ouille ouille j'ai mal à ma langue dans tous les sens du terme.

    Paul

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    1. Eh oui, les spécialistes du "suquet thaï", qui évidemment revient moins cher à faire que celui confectionné avec les vives du pêcheur. Mais avec un gin-to et un gramme de coke...

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