Beau ou bobo ?
Si on en croit Libération qui s'y connaît en idées démodables, les hipsters, c'est fini. Place aux yuccies, comme "young urban creative", sorte d'hybride du yuppy et du hipster. Souhaitons bonne chance à ce néologisme tout frais, sa définition complète est à lire ici et là, sachez pour votre culture (et les reconnaître de loin) que les yuccies préfèrent la moustache à la barbe et circulent en fixie, ce second point ne les différenciant pas vraiment des hipsters…
Yuccies, hipster, "tout ça, c'est du pareil au même, bonnet-blanc, blanc-bonnet" tranchera imperturbable notre bonne vieille ménagère de moins de cinquante ans qui depuis le temps a facilement dépassé la soixantaine. "Oui, nous expliquera-t-elle, forte des cours de sociologie dispensés en stéréo par TF1 et les prospectus Leclerc, tout ça, c'est des bobos!"
Le bobo demeure effectivement une valeur sûre de classification humaine utilisé par notre chère ménagère. En matière de classement, de rangement, il lui tient lieu de placard à balais. D'un geste négligent, on y jette ce qui dérange et on claque la porte dessus.
"Le bobo, nous explique-t-elle magistralement, c'est à Paris qu'on le pêche. Dans ces quartiers jadis mal fréquentés où, à cause d'eux, l'immobilier a grimpé en flèche. Je le sais, Jean-Pierre Pernaut l'a dit dans le poste".
En revanche, ce que la ménagère de moins de cinquante ans qui a dépassé la soixantaine ne sait pas, c'est que le bobo, qu'il soit yuppy, hipster ou maintenant yuccy, habite d'autres territoires urbains dont elle ne soupçonne pas non plus l'existence. À Londres, par exemple, il aime installer sa tanière dans des quartiers comme Shoreditch, au nord-est de la City. Et sans lui dire, c'est là que je suis allé boire un coup l'autre jour.
Plus bobo, tu meurs! L'endroit s'appelle Sager+Wilde, un ancien pub rénové au goût post-industriel, sur Hackney Road. La ménagère de moins de cinquante ans qui a dépassé la soixantaine trouverait ça très laid, moi, ce lieu me plaît bien, en particulier son bar en anciennes plaques de métro qui ajoute quelque chose à l'ambiance tamisée du soir.
À Sager+Wilde on boit du vin, donc, il y a de quoi se faire plaisir dans plusieurs styles, et on en boit d'autant plus facilement que les propriétaires ont décidé d'appliquer un système de marge fixe (£20) aux bouteilles. À Londres, ça allège considérablement l'addition liquide, qui, on le sait, peut prendre un genre tout à fait désagréable. J'y ai ainsi bu le Domaine des Tours et le Clos du Rouge-Gorge probablement les moins chers de la ville.
Au niveau solide, l'agréable personnel (dont un super barman français, copain du grand Antoine Pétrus) sert de gentils casse-croûtes, à base de charcuteries et de fromages. Scénario habituel.
Le lieu commence d'ailleurs à être connu; j'ai même réussi, la dernière fois, à y rencontrer par hasard des copains du Mondovino londonien avec lesquels nous avons parcouru la carte des vins.
Sager+Wilde est beau. Et donc bobo aux yeux de ceux (dont la ménagère de moins de cinquante ans qui a dépassé la soixantaine) qui n'ont pas encore compris que caricaturer le bobo était en soi devenu une caricature.
Pourtant, en plus d'être agréable, ce beau me semble utile. Trop souvent encore, on le néglige dans le commerce du vin. Combien de caves, combien de bars au look rébarbatif ou même ringard? Combien de lieux qui ont le charme d'un local de la CGT* ou d'une supérette de banlieue? De décos beaufisantes entre bordeaux sale et jaunasse fatigué. Sans parler de la tendance soixante-huitard défraîchi, bab' sur le retour ou, pire, de celles et ceux qui ont encore le culte du total-look IKEA, lequel continue malheureusement de faire führer.
Inexorablement, dans des pays comme la France, le vin perd des parts de marché. À cela de nombreuses raisons, internes et externes à sa filière et à son commerce. Je pense pourtant, qu'en plus d'améliorer sa communication parfois aussi aimable qu'un gardien de prison, il faudrait songer à soigner son apparence, et surtout la mettre au goût du jour, lui donner du chic contemporain. Cet effort, tous les autres secteurs d'activités le font, ceux qui marchent en tout cas. Il n'y a aucune raison que le vin s'en dispense. Conquérir de nouveaux clients passe aussi par là. Quitte, en faisant beau, à passer pour des bobos…
* Parce qu'on pourrait aussi évoquer le discours assorti au look en question. Parfois politique, aussi hors-sol qu'indigeste, pas loin de me faire penser à un revival de Catherine Ribeiro, la chanteuse "engagey" qui braillait devant des MJC vides pendant qu'à Londres, Joe Strummer et les Clash jouaient à guichets fermés.
???donc, les gentils casse-croûtes vous frisent le nase ???
RépondreSupprimerMaudite casse !
analyse pertinente !!
RépondreSupprimerà la santé du picolo de moins de cinquante ans qui va bientôt dépasser la soixantaine...
RépondreSupprimer