Délice d'initié.


Julien Ilbert est un vigneron dont j'aurais voulu vous parler bien plus tôt. Il m'a été présenté l'an dernier par un de ses condisciples, mon pote Olivier Rivière, le petit prince de la Rioja, qui lui même m'avait été introduit par Élian da Ros, etc, etc… Mais la cooptation, même si ce principe ne me déplaît pas, au contraire, ne fait pas tout. J'ai goûté les vins de Julien que j'ai adorés. Ils respirent la franchise, le beau travail aussi, et l'amour d'un terroir que je considère depuis longtemps* comme un des plus intéressants de France: le causse calcaire de Cahors. Je suis d'ailleurs loin d'être le seul à le penser puisque deux immenses connaisseurs de la pédologie et de l'édaphologie, Lydia et Claude Bourguignon sont venus planter leurs vignes à quelques kilomètres de celles dont je vais enfin vous faire le coming-out aujourd'hui.


C'est un article qui m'a aidé à me décoincer. Celui d'Alexis Goujard, un de ces journalistes qui rafraîchissent la Presse pinardière tricolore, un de ceux qui savent déguster (à l'aveugle évidemment) sans esprit de chapelle ni de parti. C'est dans la Revue du Vin de France qu'est paru cet article, dans le numéro "spécial millésime 2014" qui s'attache à donner un nouveau ton à ce vieux magazine, un nouvel élan symbolisé par l'éditorial de son directeur de la rédaction. Denis Saverot y célèbre les "vins d’auteur issus de cet esprit naturel qui souffle sur le vignoble français", des "vins envoûtants, profonds et tellement digestes". Sans ironie aucune, ça me fait très plaisir de lire ça dans la RVF, et de constater que peu à peu le monde change.
Pour en revenir à Alexis Goujard, fin dégustateur et franc buveur, amoureux comme moi du Sud-Ouest, il célèbre dans ce papier le renouveau du vignoble lotois. Et utilise comme symbole de ce renouveau Julien Ilbert dont je vous parlais plus haut.


Si j'avais quelque pudeur à vous parler des jus "joyeux" de Julien Ilbert, c'est simplement parce qu'il y a quelques mois, je lui ai donné un petit coup de main professionnel. Il voulait relooker ses étiquettes, ce que j'ai fait avec plaisir eu égard à ses parrainages et à ce que je savais de ses vins. Oui, parce qu'il faut dire aussi que c'est dans ses vignes que sont nés Les Laquets d'un autre de mes copains du Sud-Ouest, Mathieu Cosse. Ses raisins ne m'étaient donc pas complètement inconnus, j'en avais déjà bu tout mon soûl avec l'autre grand escogriffe agenais; ils sont d'ailleurs encore plus accomplis aujourd'hui que Julien achève un travail de fond de dix ans sur son vignoble (qui avait connu pour partie les affres de la coopération).


Victime d'une vieille éducation journalistique qui considérait le mélange des genres comme un péché capital, je me suis donc longtemps abstenu de vous dire ce que j'avais découvert en grimpant à Cournou. Et puis, on m'a expliqué, le monde autour de moi m'a expliqué que ce genre de pudeurs était totalement démodé. Nous vivons à une époque où cela frise presque l'anormalité. On s'y vend sans vergogne.
Le vigneron, le caviste, l'importateur, le négociant, qui a tel ou tel truc à "placer" ponctue ses interventions sur les réseaux sociaux d'un très spontané "sa c'est bon, sa!!!" (façon Mère Denis en souffrance avec l'autograf), "super glouglou", "grand vin" qui ne sont là que promouvoir, maladroitement parfois, la référence qu'il veut mettre en avant. L'attachée de Presse** se sent une âme de grand-(publi)-reporter et, enterrant le lèche-cul d'antan, réinvente le sujet-verbe-compliment qui, en mode 2.0, s'écrit aussi sur Instagram. De leur côté, le journaliste, le blogueur, en toute "transparence", confondent les sujets de leurs articles avec les exposants des salons qu'ils organisent parallèlement. Le conflit de quoi? D'intérêts? Qu'est-ce que c'est que ce truc***?…


"Il faut vivre avec son temps" comme disaient les mémères à cabas. Voici donc, entre délit et délice d'initié, les cahors de Julien Ilbert, un jeune vigneron que j'ai découvert par hasard, blablabla…
Enfin, les cahors, pas que puisque dès la première étiquette que nous avons faite ensemble, il a fallu changer son fusil d'épaule, à quelque jours de la mise: Julien avait sorti un rosé d'auxerrois, de côt (ou de malbec pour faire argentin), un jus de raisin frais que je bois à grosses gorgées mais qui a malheureusement dérouté les palais éventuellement anisés du jury qui accorde ou pas l'agrément en Côtes du Lot. Merci le Vin de France, en plus, c'est vrai que c'est un super vin-de-table, donc…


Quant à l'autre non-cahors qui me ravit à Combel-La-Serre, c'est La vigne juste derrière chez Carbo, une macération carbonique d'auxerrois, qui à cause de ce procédé de vinification ne peut pas revendiquer l'AOP. Les "carbos", vous savez ce que j'en pense, ce que je pense en tout cas de l'utilisation excessive de cette méthode développée à Fitou par Michel Flanzy pour le carignan et adaptée ensuite au gamays du Beaujolais puis à de nombreux cépages. Ça peut banaliser, lisser, schématiser le jus, surtout avec des cépages tendres. Là, avec la structure de l'auxerrois du causse, évidemment, derrière la rondeur, la gourmandise, il y a du vin. Je m'en suis d'ailleurs (c'est tout le charme du délit d'initié) fait mettre quelques magnums de côté pour mes plaisirs solitaires.
Par parenthèse, dans La vigne juste derrière chez Carbo, il s'agit d'une pure macération carbonique, à grains entiers (petite cuve, raisins ramassés en cagettes de quinze kilos), pas d'une semi-carbonique, la version plus industrielle, plus massive en tout cas de ce procédé.


Pour ce qui est des cahors, je ne peux pas encore tout vous dire, j'ai donné ma parole. Sachez que je me régale des frais arômes de griotte et de violette du petit vin du domaine, Le Pur Jus du Causse. Julien Ilbert persiste à vendre ça sept euros la bouteille, je lui ai dit que c'était une bêtise mais il est têtu comme un type du Causse. Il me tarde qu'il mette son 2013 en bouteille afin de faire grimper un peu mon taux de Gamma GT que, d'instinct, je trouve un peu faiblard ces temps-ci.
Je ne vous parlerai donc pas des futures cuvées parcellaires en cours d'élevage, notamment de ce Dessous le Lac aux Cochons qui, actuellement, est celui qui raconte avec le plus de précision son sol d'argiles rouges, gorgé de fer; on verra quand tout ça sera fini, près à se glisser dans le verre. Pas plus que vous ne me tirerez un mot de ce plantier de vermentino (ci-dessous), sur le sol tantôt lunaire, tantôt martien du Causse, plein nord, un mystère qui me rappelle certaines prophéties sur l'avenir des blancs de cahors entendues il y a bien longtemps.


Voilà, vous savez ce que je pense des vins de Julien Ilbert, ce qui explique aussi pourquoi j'ai pris du plaisir à travailler avec lui. Je suis de toute façon handicapé, je ne peux pas travailler avec des gens auxquels je ne crois pas ou je ne crois plus. Julien est un de ces vignerons qui n'ont pas fini de nous étonner, de ces types qui, par leurs décisions personnelles, leur opiniâtreté changent profondément le cours des choses dans leurs appellations, et dans le vignoble français, comme le souligne La Revue du Vin de France.
Ça me démangeait de vous le raconter, de surpasser cette pudeur, de vous faire partager mon "délice d'initié". Mais il me semblait aussi nécessaire, indispensable de mettre préalablement les choses au point. Car, ce "dire d'où l'on parle", me semble être la moindre des politesses vis-à-vis du lecteur.





* Cahors, les causses du Lot, je sais, je vous rebats les oreilles. Pour ceux qui ont loupé un épisode, il est ici question de Fabien Jouves, là de la famille Oulié et là du Clos Siguier.
** J'en parlais hier à propos du jury hétéroclite du World's 50 Best Restaurant
** Sans aller jusqu'à prononcer le gros mot de déontologie, le minimum syndical consisterait me semble-t-il à signaler l'éventuel conflit d'intérêts. Genre "un vin que je vend ou qui fait de la pub chez moi", "un vigneron pour lequel je travaille", "un domaine qui expose dans mon salon", etc…


Commentaires

  1. Ça donne envie.
    José

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  2. Goûté à Toulouse la cuvée Carbo, disponible chez un caviste de la place Victor Hugo pour lequel je ne travaille pas, je vous rassure. Effectivement pour une carbo, ça ne masque pas trop, même pas du tout le terroir. Curieux de goûter le reste, et notamment les blancs. Du Vermentinu sur le Causse, il me tarde de voir cela.

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    1. Ça ne masque pas trop parce qu'il y a du raisin, du terroir, un cépage structurant, et qu'il s'agit d'une vraie carbo, en grains entiers, en isolant la goutte. La fermentation démarre dans la baie.
      Pour le vermentinu, il faudra patienter un peu, les grandes cuvées arriveront peut-être avant.

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    2. Place Victor-Hugo? Déjà? Ils ne traînent pas les cavistes toulousains!

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    3. Chez Busquets, il y a un mois environ. Pas sûr qu'ils en aient encore.

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    4. Je sais en tout cas qu'au domaine cette cuvée est épuisée, rose, elle n'aura duré que ce que durent les roses…

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  3. Pas de délit d'initié juste honnêteté. S'il y a d'autres délits d'initiés en réserve, je suis preneur. Bel accueil ce mois d'août par M. Ilbert père, joli moment d'échange lors de la dégustation, le coffre était bien plein en repartant.

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