Grand cru du Languedoc?


Je ne vais pas réouvrir le malheureux dossier des grands crus du Languedoc. Un vrai beau raté de la part des institutions pinardières de cette région qui mérite mieux que ça. Je n'ai pas été le seul à le dire, nous étions nombreux à exprimer notre désapprobation* face à une opération bâclée qui tenait plus de la com' à deux balles que de la réflexion de fond sur le terroir. Vite fait mal fait, on a voulu calquer au Languedoc le système médoquin, vieux de cent cinquante et mettant en avant des marques, plutôt que de chercher à poursuivre un travail d'identification des terroirs, "à la bourguignonne", enclenché depuis longtemps par de vrais professionnels. Pour aboutir comme prévu, avec si peu de connaissance et d'amour bacchiques, à un gros flop.
Pourtant, oui, la réalité du vin, c'est-à-dire, ce que raconte le fond du verre nous montre bien qu'il existe en Languedoc des "climats" identifiables, où année après année, le vin montre sa "grandeur" si tant est que l'on puisse se mettre d'accord sur une définition de ce concept. Faut-il d'ailleurs, à l'ancienne, les qualifier de grands crus? C'est commode, apparemment intéressant du point de vue d'un marketing un peu vieillot lui aussi, mais cela va-t-il correspondre aux attentes des consommateurs de demain? Et cela correspond-il à l'esprit du vieux "Midi rouge"? J'en doute.


Un de ces terroirs facilement identifiables, c'est celui de Roquetaillade et de ses environs. Roquetaillade, je vous en ai reparlé récemment depuis un autre de ces "grands crus", La Livinière**. Face à une époustouflante collection de vins "du troisième âge" (la faculté de vieillir avec grâce est un bon marqueur du grand cru…), je m'émerveillais devant un vin-de-table-de-limoux, un crémant produit en 95 par Jean-Louis Denois dans ce village et qui aurait fait honte à beaucoup de coûteux champagnes fabriqués en grande série et qu'on boit autant qu'on sniffe dans des escarpins de putes russes.


Roquetaillade et ses environs, Magrie en particulier, je vous en reparle car j'en ai bu quelques vins ces derniers jours. De l'effervescent, du tranquille, dans des styles très distincts, et je me suis éclaté. Une Joséphine de Gilles Azam,, pleine d'entrain, joyeuse comme un panier de pique-nique avec lequel on va aller fêter le printemps dans des merveilleux itinéraires de la Haute-Vallée de l'Aude. Et puis cette Bulles d'argiles de Jean-Louis Denois qui continue de tracer son sillon à hauteur d'homme, après avoir vendu son Domaine de l'Aigle. Ce n'est d'ailleurs pas pour rien que Gérard Bertrand lui a racheté cette propriété; on pense ce que l'on veut du tycoon languedocien, il est n'est que rarement à côté des bons coups. "Un beau champagne me dit-on à table à propos de cette Bulles d'argiles, tranchant. Un type qui travaille en bio, non?" En bio, oui, mais c'est crémant-de-limoux, chardonnay-pinot noir sous bois, viens papy, apporte-le-moi ton Dom Pé industrialo-moléculaire*** qu'on se marre deux minutes. Toute plaisanterie mise à part, j'insiste sur cette analogie avec la bulle du Nord, pourtant je crois que ce n'est pas le but de ces vignerons que de se comparer avec des champagnes, ils sont trop occupés à produire du vin de terroir.


Tiens, puisqu'on parle de terroir, de "climats", jetez un œil à cette contre-étiquette de La Métairie d'Alon, le domaine de Jean-Louis Denoix, à cheval sur Roquetaillade et Magrie: on parle de parcelle, focus! C'est un pinot noir. Pas un pinot noir de Limoux, malheureusement. De façon incompréhensible, les pères de l'appellation limoux rouge n'ont pas jugé bon de laisser la possibilité aux vignerons intelligents de faire ainsi des 100% pinot noir sur ces superbes climats. Quel dommage! Ce qui coule dans le verre a du jus, un pinot bien plus que variétal, qui prend ses accents à lui, nous rappelant vaguement son cousin de Tasmanie évoqué ici; quelques notes de fraise au vin, un poil de violette à la façon du côt, une mâche incroyable, mûr et frais à la fois. Un vin de terroir, j'y reviens. Alors que l'on fête l'anniversaire, les quatre-vingts ans de l'INAO, je me dis que cette vieille institution, prise en otage par les notables et le kolkhoze, a de plus en plus tendance, sous prétexte de tradition, à se retrouver à côté de la plaque.


Délicieux IGP Haute-Vallée de l'Aude, donc, comme celui de Marie-Claire Fort à Mouscaillo, à Roquetaillade. Un pinot ferme, dense, tendu, encore un peu fermé mais d'un superbe classicisme. Nul doute que le temps va là encore nous aider à parler de terroir.
Et puis, il y a ce cabernet-sauvignon (vous avez vu qu'on ne parle que de rouges dans ce pays de blanc?). Encore Denois. C'est sur le fil du rasoir. Au début, on a un peu peur que ça glisse, qu'une pointe de volatile… Puis tout rentre dans l'ordre, la bouteille est descendue sans qu'on ne s'en rende compte. 
Un détail, mais qui n'en est pas un, ces vins sont en bio. Ça aussi ça pourrait, ça devrait être un critère distinct, nécessaire mais pas suffisant, d'éventuels "grands crus du Languedoc" (une affaire qui me semble d'ailleurs un peu moribonde), un mode de culture propre, qui ne se défonce pas au glyphosate, qui fasse la différence. L'inscrire au cahier des charges serait formidablement novateur, et constituerait un exemple pour toute une région, et même au delà.


Alors, tout est bon à Roquetaillade? C'est un peu crétin d'écrire ce genre de choses, les mondes parfaits n'existent pas. Mais assurément, ça vole haut. Au niveau qui devrait être celui des "grands crus".
Pour conclure sur cette affaire, je crois aussi qu'une des caractéristiques des "grands crus" tels que je me les imagine,  c'est d'y trouver une certaine "ambiance vigneronne". Avec des amitiés, des inimitiés aussi, de la concurrence, une émulation, et la mise en place d'une culture. Le contraire par exemple de ce que j'ai vu en Corbières où l'on venait au vin par la force des choses, rarement par amour, de son plein gré. Ça aussi, cet allant, il me semble, comme à La Livinière d'ailleurs, le trouver sur ces terroirs de la Haute-Vallée de l'Aude. 






* Des gens aussi différents que Michel Smith, Jancis Robinson et moi-même. Quoiqu'il y ait bien moins de différence entre Michel et moi qu'avec la Mistress of Wine (que je respecte par ailleurs).
** La Livinière, dont la qualité des meilleurs vins est assez incontestable mais dont l'aire d'appellation est très discutable, écartant les beaux terroirs de Trausse et ceux qui grimpent sur la montagne vers Ferrals et Fauzan.
*** Certains d'entre vous le savent peut-être mais le roi de la cuisine moléculaire, Ferran Adrià vient d'associer son image à celle de Dom Pé, le champagne de masse le plus cher du Monde. LVMH décide ainsi d'une certaine façon en choisissant le petit chimiste de Rosas comme porte-drapeau de son vin d'usine de tourner complètement le dos au terroir. Adrià confirme lui sa vocation d'homme sandwich de la bulle industrielle: Caca-Cola, la bière bas-de-gamme Estrella Damm et maintenant  le "champánDom Pérignon. Dom Pérignon (ça nous ramène à notre sujet jour, autrement plus intéressant!) dont la légende dit qu'il aurait appris à l'abbaye de Saint-Hilaire, dans l'appellation Limoux, la méthode pour faire du vin effervescent.


Commentaires

  1. Un grand vin,c'est un terroir+un climat+un homme(ou une femme!)...palais commerciaux:s'abstenir...

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    1. Je crois qu'à Roquetaillade, tous les ingrédients sont réunis.

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  2. Je reprends - en insistant - un passage sur ce qui me semble être le plus évident dans ce que tu écris concernant le Languedoc comme le Roussillon : "Pourtant je crois que ce n'est pas le but de ces vignerons que de se comparer avec des champagnes, ils sont trop occupés à produire du vin de terroir". Je pense comme toi : on pourrait reprendre cette affirmation à propos de nombre de vignerons que nous connaissons toi et moi et qui, en rouge comme en blanc, s'impliquent dans la reconnaissance et la mise en pratique de vrais vins de terroirs faisant fi des leçons données çà et là par des gens bien intentionnés.

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    1. C'est "le marché" qui les compare, à dessein, évidemment, souvent pour les rabaisser. Parce que dans le Mondovino, on évite de bousculer l'ordre (commercial) établi.

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  3. La demande cru Roquetaillade est déposée auprès des instances concernées
    Je vous tiens au courant de l évolution
    Gilles

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    1. C'est une belle et grande nouvelle! Ça me semble pleinement justifié, Gilles.

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