"Déçu en bien"…


J'adore cette expression suisse: "je suis déçu en bien". Et je trouve qu'elle s'applique admirablement au vin que j'ai dans le verre à l'instant précis. Je suis à Félines-Minervois, à la lisière de l'Hérault et de l'Aude, sur cette appellation communale créée il y a quinze ans autour de La Livinière et donc les parcelles sont désormais convoitées par les gros investisseurs mondovinesques. Loin de cette agitation, en dévorant ma bavette, je regarde le soleil réchauffer, là haut sur la montagne, les ruines médiévales de Ventajou. Le vin, justement, est né là, sur un des terroirs si distincts de Félines. 


"Déçu en bien", pourquoi? D'abord parce que j'avais vu autour de Ventajou, fin août 2013, des vignes dans un état apocalyptique. Je me demandais même (et je n'étais pas le seul!) ce que les nouveaux propriétaires allaient bien pouvoir vendanger. Je ne peux donc qu'être agréablement surpris ("déçu en bien" comme dirait ma chère Clio) d'avoir du vin de Ventajou, millésimé 2013, dans mon verre.


"Déçu en bien", aussi parce qu'on m'avait parlé de ce vin comme d'un nouvel avatar du néo-vigneronnisme verbeux, adepte d'une écologie de discours, d'intentions, politique, dont une partie du secteur s'est fait une spécialité. Sous la houlette d'un maire communiste défroqué, associationnophile, adepte du culturalisme subventionné, à Félines, on se croirait (cf. l'hilarante pancarte ci-dessus*) sur le Larzac en 71. Peace and love and pas trop de travail… 


Erreur sur ce point, Thierry de Marne, malgré sa barbe, n'est pas un pelut comme on dit ici**. Certains d'entre vous ont d'ailleurs par ce nom fait le lien avec ses racines champenoises (DeMarne-Frison, des vins très vifs); on m'a d'ailleurs raconté qu'avant de venir s'installer au pied du souvenir du château de Ventajou, il avait prospecté vers Roquetaillade, autre grand cru languedocien spécialisé dans la bulle et évoqué ici même il y a trois jours.
Et cet Espantant 2013, même si je l'ai trouvé dans une foire de peluts en allant acheter du fromage de chèvres, n'a rien à voir avec les bricolages auxquels on est parfois confronté. Le vin est "précis", professionnel, étranger en tout cas aux déviances collectionnées dans les crus de MJC sus-cités. Difficile, en revanche, en l'état de parler de vin naturel puisque même si de toute évidence la vinification et la mise n'ont pas beaucoup côtoyé le SO2, les vignes, à ma connaissance, n'étaient pas à l'époque travaillées en bio. J'imagine que la conversion sera un des objectifs des nouveaux propriétaires. 


Constitué de carignan et de grenache modérément mûrs (j'avais cru y déceler du cinsault), il s'agit d'une macération carbonique à faible extraction, peu de tanins, "typiquement un vin de Parisien" plaisantons-nous avec Thierry De Marne. La robe est claire, ça bulle un peu (on évitera de dire que c'est normal pour un Champenois…) mais je déconseille fortement le dégazage; en revanche, servez-le à 10°C., sur du thon ou du veau saignants, et vous profiterez pleinement de ses notes subtiles de poivre blanc qui évoquent un peu les syrah ardéchoises d'Hervé Souhaut ou encore le pineau d'Aunis (plus Lucky que Verre des Poètes) de Loire. Bref, voici un vin amusant***, distrayant, qui "déçoit en bien" en donnant sa vision du paysage du haut-Minervois.




* Addenda: j'ai eu la chance de goûter depuis le vin de la pancarte, et c'est du terrible! Un 2013, la cuvée s'appelle Maintenant mais quand on la goûte, on a vite envie de passer à Ensuite. Un concentré d'odeurs d'oïdium et de merde de poule. Il faudrait peut-être faire moins de "pédagogie environnementale" et un peu plus de travail vigneron. Et tant qu'à faire, convertir les vignes en bio.
** Pelut= poilu, comme le lladoner du même tonneau. Référence post soixante-huitarde à une jeunesse  plus chevelue qu'échevelée, c'est ainsi en tout cas que les paysans locaux surnommaient les nombreux bab's qui tentèrent le "retour" à la terre. La terminologie "woodstock" (prononcez woustoque) est également usitée. 
*** Je suis un peu moins fan en revanche, à ce stade, de la grande cuvée, qui goûte un peu dur à mon goût.



Commentaires

  1. "Peace and love and pas trop de travail" : ça sonne pas trop compatible avec la production de raisin et de vin. Jdcjdr

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    1. Eh oui, fatche !, un pelut que se la chala ça vous tafure moins qu'un Espantan des hauteurs de Félines... Quoique un pelut ça espante toujours un peu et ça peut vous tafurer grave (mais ceci est une autre histoire).

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