42% de baisse chez Rothschild !


Ne me demandez pas comment ils ont eu mon adresse, je n'en ai aucune idée, mais j'ai reçu tout à l'heure un mail de chez Rothschild, ceux de Mouton, La Baronnie. Est-ce l'ambiance un rien déliquescente de ces primeurs sans Parker, de ce défilé de mode orphelin et donc un peu déstabilisé qui veut ça, ils me proposent une énorme affaire. Que dis-je, une énorme affaire? Un gros coup, le coup du siècle, sûrement assorti au millésime du même tonneau: une baisse de tarif de 42%!


Bon, allez, j'arrête de chambrer, ce n'est pas du Mouton 2014 en primeur qu'on veut me fourguer à La Baronnie, ni même du Petit Mouton mais un truc dont j'ignorais jusqu'à l'existence: Agneau Rouge. La stagiaire du service marketing s'est d'ailleurs fendue d'un texte admirable pour m'expliquer pourquoi je ne pouvais pas passer à côté des crus de cette gamme Agneau Rouge "destinée aux grands amateurs de Bordeaux, cette collection d’exception se compose de vins de la plus noble origine, élevés en barriques de chêne français".
Plus prosaïquement, il s'agit d'un bordeaux générique, du 2013, vraisemblablement du négoce issu comme Mouton-Cadet des généreux surplus du vignoble éventuellement coopératif girondin. En prime suivant la bonne méthode "treize à la douzaine" des camelots, on m'offre en prime un magnum de médoc 2012, Mise de la Baronne et la livraison. Ça nous ramène donc la bouteille à six euros et des poussières, toutes taxes comprises, franco de port. Et après ça, on va nous raconter que les bordeaux sont trop chers…


Si je vous parle de ce mail rigolo (j'en ai reçu une rafale ces derniers jours), c'est bien sûr qu'il intervient alors que les bordeaulogues sont en train d'examiner avec l'air pincé ou constipé des analystes boursiers la sortie des primeurs 2014. Nicolas de Rouyn, hier, pour Bettane+Desseauve, se félicitait justement de la bonne affaire que constituait Mouton-Rothschild 2014 qui avait augmenté moins que l'inflation par rapport à 2013: 282€ HT la bouteille, payables d'avance, mais là, malheureusement, la livraison n'est pas offerte… 
Je comprends bien qu'il s'agit là d'un autre coup du siècle dont on n'est pas avares ces temps-ci chez Rothschild!). Toutefois, la stagiaire du service marketing de La Baronnie a vachement intérêt à contacter ce fin casuiste de Nicolas afin qu'il lui fournisse les arguments qui pourraient me convaincre de mettre dans ce vin l'équivalent de six bouteilles du cru sublime que la chance (elle s'appelle Clio) a versé dans mon verre samedi dernier. Tout ce qui flotte dans l'air et qui s'y reflète, tel est le nom de cet assemblage d'humagne et de cornalin né chez Maurice Zufferey, à Muraz-sur-Sierre, dans le Valais, en Suisse donc, au bord du Rhône, à deux pas de la station de ski de Crans-Montana.


Comme vous le voyez, contrairement à Mouton-Rothschild, ce n'est pas une œuvre picturale mais des vers qui ornent l'étiquette de Tout ce qui flotte dans l'air et qu'y reflète. Extraits des Quatrains valaisans écrit par Rainer Maria Rilke lors de son séjour dans les parages et rassemblés dans Lettres à un jeune poète


Alors que le vin des affaires, généralement sec, manque trop souvent de poésie, Tout ce qui flotte dans l'air et qui s'y reflète en regorge, vous entraine à des altitudes dont je n'ai jamais soupçonné l'existence en buvant du Mouton. Je n'ai d'ailleurs pas envie de trop vous entretenir de sa grâce, lisez-le par vous-même, faisons l'économie des exégètes qui ne sont qu'un filtre entre les mots, les vins et nos cœurs.
je ne veux pas en même temps vous créer de faux espoirs, vous faire le coup de la stagiaire du service marketing, ce poème liquide, digne de Rilke, est une rareté. On m'a dit, après que nous en étions tombés amoureux, qu'il ne s'en était produit que trois cents bouteilles. La qualité est aussi dans la souffrance. Et pour ce qui est de la quantité, la généreuse plaine médoquine palliera la rigueur de la montagne valaisane, nul doute que vous pourrez facilement vous procurer quelques caisses issues des 84 hectares de Mouton-Rothschild.


Dans cette comparaison bizarre, ne voyez aucun "Bordeaux bashing" comme on dit désormais quand on ne sait plus quoi dire. Juste la vision d'un consommateur qui ne veut pas briser le rêve des autres mais garde les pieds sur terre, quitte à passer pour un vulgaire maquignon ariégeois* comptant les piécettes de sa bourse avant de filer au foirail de Montréjeau. S'il y en a auxquels ça fait plaisir d'acheter l'étiquette de Mouton (à ce tarif, c'est d'abord une étiquette qu'on achète), qu'ils le fassent! Et avec entrain! Les fonctionnaires et les assistés s'exportant mal, le Commerce extérieur de la France est bien faible, il ne pourra que mieux s'en porter, il n'est question là que de jugements personnels. Et de good (or bad) values comme disent les Anglo-saxons. Et de poésie, surtout!


C'est aussi l'occasion de parler de tous ces bordeaux, j'ai envie de dire les "vrais" bordeaux, que l'on oublie un peu au moment où le Mondovino se focalise sur le primeurs, que l'on oublie trop souvent en fait. Ces "vrais" bordeaux qu'incidemment, l'email cocasse de La Baronnie a contribué à remettre en lumière. Ils existent, ils sont là, par centaines, forment le corps des vins de Gironde, bossent en silence comme les paysans valaisans. Et parfois offrent à des tarifs humains des vins qui eux aussi, à l'image de ce Clos Puy Arnaud, fin et profond, que j'évoquais hier, ont des poèmes liquides à raconter. Ou qui donnent envie d'en écrire plutôt que de boursicoter, de calculer, de retrancher.




* La question de la spéculation, du prix du vin, je l'avais évoquée ici et .
** Méfiez-vous, ils ont été nombreux à "faire" le Médoc.



Commentaires

  1. "Les fonctionnaires et les assistés s'exportant mal" Un peu dérangeant ce genre de qualificatifs simplistes et qui tirent pas vraiment vers le haut. 'Stigmatiser' les gens pris dans un système pourri, un pays qui ne sait pas créer d'emploi, où un certain nombre de valeurs sont abandonnées et vendues. C'est pas la faute des fonctionnaires si l'Etat n'est pas capable de se gérer correctement et les "assistés", prosaïquement, je ne suis pas certain que ce soit mieux qu'ils crèvent de faim dans les rues plutôt qu'avoir 500€ mensuels pour vivre ...

    Le retour au XIXè ?... t'inquiètes Vincent, on y va, tes vœux seront tôt ou tard exhaussés. Quand les assistés seront des miséreux sans plus aucune perspective, quand les fonctionnaires seront payés au rendement (c'est à dire au nombre de contrôles ? ou comme en Afrique ils se payent sur les "contribuables" ?) et que tous les services publics seront payants ou plus chers et inefficaces ou privatisés (enseignement, santé, sécurité, etc) je ne suis pas sûr que l'on rigole. Ni toi, ni moi. Par contre peut-être les mecs qui font du Mouton Roth., oui.

    (Je comprends bien qu'il y a aussi du 2nd degrés mais j'ai pas l'impression que ça soit uniquement ça. Ca manque un peu d'empathie, de recul, "d'humain"... comme on lit sur certaines étiquettes).

    Juste un ressenti.

    Tom B.

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    1. J adhère totalement ,a la baronnerie ils vendent que les étiquettes..J ai eu un carton agneau rouge 2013 a noël en cadeau....inbuvable, une amère plaisanterie quand on se réfère a l étiquette..!

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