Gloire aux (beaux) vieux !


C'était un déjeuner agréable, un soleil étincelant, le bruit du Cers dans les vieux pins parasols de la terrasse. On avait envie de détente, de bulles. J'ai vu venir le coup, une bouteille remontée la veille de la cave attendait au frais. 
Au moment d'attaquer le bouchon, j'ai eu un peu peur. Pas en forme, le bout de liège. Noirci par les ans, fragilisé. Mais suffisamment en forme pour qu'au moment fatidique, un sifflement nous rassure, l'âge n'avait pas tranquillisé l'effervescence de ce blanc des années 90. Et quelle bulle! Celle que j'aime, délicate, fine venait souligné de dentelle blanche un beau jus doré.
Un nez frais, si jeune, de jolies nuances d'acacia et d'abricot, une pointe de noisette et cette bouche domptée par le temps, "élégante" comme disent les anciens.


L'âge, la vieillesse, c'est bien de ça qu'il s'agit. Pas la sénilité, loin s'en faut. Après coup, l'étiquette de ce grand "champagne" (si seulement il y en avait plus de ce tonneau…) nous a d'ailleurs donné quelques indications sur ce que nous buvions: un "vin de table", comme on disait à l'époque du dégorgement de cette bouteille, en mai 98. Une date spécifiée en minuscules caractères, c'est vrai qu'il valait mieux être discret, puisque toute référence au millésime était normalement interdite. Tout comme le nom des cépages, indiqué lui en majuscules d'imprimerie: "PINOT NOIR - CHARDONNAY". Dans le verre, nous avions en fait, un crémant de contrebande produit au milieu des années 90 sur un grand terroir d'altitude, dans l'Aude, au sommet de l'appellation Limoux par Jean-Louis Denois.  


Ce champenois passé par l'Afrique du Sud, au caractère (disait-on) impossible, fut un des découvreurs de Roquetaillade, sorte de "grand cru du Languedoc" où, dans des styles différents, l'on finit presque par croire qu'il est facile de faire bon. 
Jean-Louis Denois a depuis vendu une partie de son Domaine de l'Aigle mais il continue de faire du vin entre l'Aude et les Pyrénées-Orientales, toujours en altitude (cf. son site). Cette "reprise de contact" m'a donné envie de retourner le voir.


Si j'ai pu mettre la main sur cette bouteille poussiéreuse, c'est que j'ai passé quelques jours en Minervois au fond d'une caverne bien plus lumineuse que celle de Pythagore et Platon. Une caverne où l'on descend chercher la connaissance au lieu de lui tourner le dos. La connaissance, et le plaisir aussi.
Un débat très contemporain que celui de l'âge du vin. Il est de bon ton dans une partie du néoMondoVino de dénigrer l'idée même de vieillissement: on est jeune (où on voudrait le faire croire), donc on boit jeune. Alors, on entend de tout, souvent même chez des buveurs sans grand recul ni réelle expérience.


Pas de panique! Je ne vais pas vous raconter que si c'est vieux, c'est bon. Un toquard, c'est un toquard, et ce n'est pas l'âge qui va lui donner de l'esprit, du nerf ou de la cuisse. Il se produit même parfois le contraire. Et puis on le sait, le vieux vin, c'est aussi une histoire de grandes bouteilles, de grands instants, il faut la chance d'une rencontre.
Il n'empêche que quand on veut voir ce qu'un cru a dans le ventre, rien ne vaut une "machine à remonter le temps" pour s'en faire une idée précise. En tout cas si l'on s'intéresse à des notions désuètes comme le terroir, si l'on veut dépasser les maquillages de jeunesse, les effets de vinification ou d'élevage. Je digresse, mais j'ai toujours été interloqué par l'histoire de ce riche investisseur qui avait acheté une grande maison de la vallée du Rhône, laquelle avait produit sur une célèbre colline un 1961 d'anthologie, et qui, longtemps après cette reprise, n'avait toujours pas demandé à goûter ce millésime dont la cave était pourtant bien pourvue. 
La curiosité, le recul, la connaissance, le plaisir, c'est évidemment le but de cette caverne minervoise dont je vous parlais. Voulue, pour lui et pour son pays, par un ami vigneron qui sait que le vin se comprend tire-bouchon en main, elle témoigne de l'existence d'un terroir. Mille fois plus que tous les blablas des prospectus publicitaires ou les pompeuses opérations de com'.
Je m'étonne même d'ailleurs qu'aucun de ces syndicats, aucune des interprofessions de régions comme le Languedoc, qui ont tout à prouver, n'aient eu l'idée de créer ou de maintenir pareille "machine à remonter le temps". Comme dans l'exemple de l'investisseur rhodanien, c'est à se demander si le vin, et les beaux vieux si prompts à raconter de belles histoires, les intéressent.






Commentaires

  1. Goûté il y a 15 jour un Crémant de Denois (50% chardonnay, 50% pinot noir), encore mignon.

    Idem pour le brut classique goûté l'été dernier ( (30% Chardonnay, 20% Macabeu, raisins noirs - Carignan et Syrah?), en témoignage certes pas ultime mais encore intéressant.

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