Le vin du Père Noël.


S'il y a vraiment un truc qui me file le blues à l'approche des fêtes obligatoires, ce sont bien ces espèces de marchés de Noël qui viennent polluer les centre-villes, lesquels, en ces périodes de décorations municipales, n'en ont souvent guère besoin.
Amis (et cousins) alsaciens, entendons-nous bien, je n'ai rien contre votre bon vieux Christkindelsmärik; je conserve même le souvenir ému de l'époque où il se tenait près de la cathédrale, une semaine avant Noël. Idem bien sûr en Allemagne où ces évènements ont là aussi encore du sens, celui au moins de perpétuer une coutume locale. Mais franchement, quand je me balade à Perpignan, Toulouse ou sous les palmiers, à Barcelone, j'ai un peu de mal avec ces chalets alpestres tendance Bricorama, remplis de quincaille chinoise. J'oserais même dire que ça me gonfle…


Une autre calamité, révélatrice de l'hystérie commerciale orchestrée du moment, ce sont ces tonnes d'offres qui s'amoncellent dans mes boîtes à lettres numériques, jusqu'à noyer les messages vraiment importants. Pour les amateurs de vin comme moi, les "bouteilles de rêve" tiennent évidemment une place de choix dans cette avalanche de "bonnes affaires". Toutes les heures, on me propose la bouteille hors de prix (mais en promotion) qui va me faire croire au Père Noël.
Outre le fait que je m'amuse souvent des sélections de "grands crus magiques" qui y sont présentées, je m'imagine la tronche du type qui va ouvrir sur la dinde un jus bien noir, bien boisé, âgé de deux ou trois ans et penser (sans oser le dire aux autres) que finalement son petit saumur de tous les jours lui va mieux au teint…


N'empêche qu'hier soir, j'ai cliqué sur le html complexe d'un de ces mails alléchants. Non pas que j'étais alléché, simplement parce qu'une fois de plus j'étais étonné de retrouver là, dans ma vulgaire boîte-à-lettres un des ces crus exceptionnels, rares, uniques que, paraît-il, la planète entière s'arrache.
L'offre provenait du site Wine in Black* et tenait à me faire profiter d'une promotion sur "un joyau du vin espagnol" à boire sur un boudin aux pommes (sic), L'Ermita, un des vins les plus chers du Priorat, l'appellation catalane à la mode dans les années 90, le genre de bouteilles dont les restaurants barcelonais mettent un exemplaire sur leur carte, moins pour le vendre que pour prouver ainsi qu'ils sont de grands connaisseurs, des amantes del vino.
Médisant que je suis (lisez plus haut), je n'avais pas affaire à un perdreau de l'année, juste sorti du chai enterré d'Álvarito Palacios, mais à un vin mûr, un 2002, ce qui, pour un priorat "nouvelle manière" commence même à faire un peu vieux**. Le site en fait cependant la vente, ça ne manque pas de points d'exclamation: "Une légende! Une icône! Un ponte! Il est à la sphère viticole espagnole ce que Zidane fut au football et Belmondo au cinéma français! Un priorat de classe mondial! Aucun autre vin de la région ne saurait arriver à la cheville du mastodonte qu’est l’Alvaro Palacios’ L’Ermita! Ce vin culte a montré une voie que beaucoup ont essayé vainement de suivre car L’Ermita est et reste unique en son genre. Boire un tel nectar relève de l’événement. Cette sensation demeurera – pour qui aime le vin et sait l’apprécier à sa juste valeur – un souvenir impérissable. Le prix des cuvées actuelles a atteint des sommets inatteignables pour le commun des mortels."


C'est ainsi que j'ai découvert le prix de cet Ermita 2002: 249,00€. Beaucoup d'entre vous vont me dire que c'est exorbitant, franchement, je ne les contredirai pas. Tiens, par exemple, à ce tarif-là, si je veux boire un beau grenache du sud, je m'offrirai entre neuf et dix litres du super-Toscan d'Olivier Paul-Morandini. Ou plein d'autres choses, en assez grande quantité.
Mais ce prix (une promotion), m'a intrigué. L'Ermita, normalement, jusqu'à ces dernières années, on en demandait encore plus cher. Ainsi sur le catalogue du plus gros vendeur catalan de vin, Vila Viniteca où l'on trouve toujours du 2002. Plus de bouteilles de 75cl, malheureusement, mais du magnum, du double-magnum et même du gros jéroboam de cinq litres:


Eh oui, vous avez bien lu, 1290€ le magnum d'Ermita 2002 chez Vila Viniteca, pourtant généralement bien placé sur ce genre de crus régionaux. Ça nous ramène la bouteille de 75cl à 645€, bien au dessus des 249€ de Wine in black!
Un coup d'œil au site de référence, donc, le célèbre Wine-Searcher qui nous donne le cours de L'Ermita 2002. Visiblement, comme c'est souvent le cas pour ce type de vins de démonstration un rien démodés, il n'y a plus qu'en Espagne qu'ils valent cher.


Tout cela évidemment nous conduit bien loin des offres festives de ma boîte mail. Nous montre toute l'irréalité du cours de ce genre de vin. Et nous donne à réfléchir une fois de plus sur la volatilité (pour un priorat, ce mot prend tous son sens…) de leur prix stratosphériques qui, souvent, connaissent (quand il ne s'agit pas d'authentiques raretés) de gros trous d'air.
De nos jours, les spéculateurs du vignoble sont souvent rattrapés par Internet, qui, même en décembre, ne fait pas de cadeaux à ceux qui qui croient encore au Père Noël.




* Rassurez-vous, rien à voir avec 1855.com
** Sujet évoqué ici à propos d'un très vieux priorat que j'avais bien aimé, témoignage d'une vision plus humble, mais pas exempte de noblesse, d'élaborer les vins dans cette région.

Commentaires

  1. Nous sommes donc sur la même longueur au sujet des fameux marchés de Noël ! Aussi, merci de nous avoir fait part de telles différences de prix opérés par les différents sites vendeurs sur ces bonnes bouteilles de L'Ermita au prix exorbitants ! Il est vrai qu'Internet nous permet de comparer et de s'informer et que l'on devrait le faire de manière automatique !

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