En Rioja (ou presque), c'est moi qui ai eu la fève…


Tout ceux qui connaissent l’Espagne le savent: l’Épiphanie, les Reyes comme on dit ici, revêtent une importance toute particulière dans les célébrations de fin et de début d’année. Comme partout ailleurs, horrible expression, "on tire les Rois" mais en plus, ce qui n'est pas la plus sotte des lectures bibliques, on attend cette fête-là pour distribuer les cadeaux "de Noël". Moi, à défaut d’or, d’encens et de myrrhe, ce que m’ont offert Melchior, Balthazar et Gaspard, c’est une poignée de caldos, de jus que j’attendais comme le Messie. En fait, il suffisait de filer vers le nord-ouest et de glisser vers ces terres aimables où l'on accroche encore des toros aux montagnes.
Assez de digressions, pour simplifier, quand on choisit une bouteille outre-Pyrénées, la plupart du temps, il faut slalomer entre des jus techno-pop, distingués comme une Seat Ibiza jaune avec auto-radio à fond, et des pipes à Pinocchio, d’épaisses soupes de chêne glycérinées qui évoquent la même Seat Ibiza, mais en noir nacré, avec aileron et jantes larges. Ces vins qui font vavavoum, plus qu'au terroir ou au climat, on les doit à la structure même du vignoble espagnol qui, d’anciennes coopératives franquistes en usines à vin, peine à trouver la traduction de small is beautiful. Loin de moi l’idée qu’on ne puisse faire bon que dans des garages (vous avez vu ce que je pense des Seat Ibiza…), mais un des freins évidents au progrès qualitatif, ici, c’est la quasi-absence d’esprit vigneron au sens où on l’entend en France ou en Italie. Ajoutez à cela une parkérisation massive des esprits et des bouches (cf. le Jumillagate) ainsi qu'une sommellerie souvent aussi funky que la Guardia Civil et vous commencez à entrevoir pourquoi la consommation annuelle par habitant a plongé sous les 18 litres par habitant.

Donc, les Rois Mages sont passés par là! Et j’ai pu goûter, entre Rioja et Navarre, les derniers vins d’Olivier Rivière. Le garçon n’est pas un inconnu: Charentais, passé chez Cossard, Leroy et chez mon idole Élian Da Ros, il élabore depuis 2004 des rioja qui tournent délibérément le dos aux rouges locaux lesquels hésitent en général, suivant qu'ils sont "anciens" ou "modernes" entre usure poussiéreuse et goût vanille. Que ceux qui ne connaissent pas son primesautier Rayos Uva ou son Gabacho 2010 (un canon avec ce qu'il faut de profondeur) rattrapent rapidement leur retard! Mais, ce n'est pas à proprement parler en Rioja que nous avons rencontré les nouveaux grands d'Espagne sur lesquels travaille désormais Olivier Rivière. C'est d'abord au sud, dans une appellation encore confidentielle, la DO Arlanza où le négoce de la plaine grimpait chercher ses vins-médecins. Là, naissent Basquevanas, Vinas Del Cadastro et El Quemado, un blanc (cépage albillo) et deux rouges qui montrent que le tempranillo peut atteindre des niveaux de noblesse insoupçonnés. Attention! Il ne s'agit pas de petites bouteilles à se taper sur le coin du zinc, on atteint là des niveaux de toucher, de pureté incroyables, sans parler d'une "fraîcheur mûre" fondée sur des acidités de haut vol. J'aime de moins en moins ce terme, surtout en Espagne (où l'on boirait sûrement mieux si l'on essayait moins souvent de faire grand…), mais ça sent le grand vin! Seul défaut, les quantités, il s'agit de petites parcelles de montagne, il y a donc peu de bouteilles et des cavistes avisés comme Emmanuel Heydens, à Genève ont pris de sérieuses options. Pour la nouvelle année, je vous souhaite en tout cas d'avoir la chance de confronter un Basquevanas ou, soyons fous, un El Quemado 2009 à une vraie côte de bœuf comme celles qui traînent à Logroño dans un restaurant exemplaire dont je vous reparlerai très bientôt.

Plus nouveau encore sur la carte de visite d'Olivier Rivière, ce beau projet, en Navarre, à une quarantaine de kilomètres au nord de La Rioja, sur la route de Pampelune. À l'origine, il y a une histoire d'amour entre un homme et son village, entre Emilio Valerio et son village de Dicastillo. Emilio Valerio, personnage discret, empreint de sérénité paysanne, téléguide l'affaire depuis Madrid: chez lui, à Discastillo, il fera l'huile d'olive (septentrionale!), la bière d'abbaye (la première d'Espagne) et les vins qu'il aime. Manquait juste le vigneron qui arrive à comprendre ses désirs en forme de silences. J'ai pu mettre le nez sur les 2011, visiblement, le courant est passé! Il faut dire que la matière première est belle, issue de minuscules parcelles, parfois vertigineuses,  sauvées de l'oubli ou de l'arrachage. On est loin, très loin de cette Rioja plate comme la main avec ce domaine de Laderas de Montejurra qui s'est lancé très tôt dans la biodynamie, se cherchait, attendait son heure et sort désormais de sa chrysalide.

À Dicastillo, tout n'est pas encore complètement figé quant aux cuvées à venir, disons juste qu'on goûte sur ces hautes terres où souffle un vent basque des grenache,s des tempranillos, des cabernets et des merlots d'un style qu'on n'espérait plus., un peu comme si Olivier Rivière avait "digéré" son expérience du vin "nature" pour n'en ressortir que le bon, que l'utile. Mention toute particulière au "petit vin" (grenache/cabernet/merlot), empli de droiture gourmande, qu'on s'imagine boire sur une terrasse de la San Firmin en compagnie d'un fantôme américain, tout en regrettant de ne pas avoir attendu de le déboucher sur une nappe blanche où ses belles manières de hobereau vaudraient bien celles de nouveaux riches de la capitale. Mention spéciale aussi à une cuvée qui n'a pas de nom ni de prix, d'un pur grenache dont le végétal mûr vous rend la langue délicieuse, en vous gardant la bouche fraîche. Ce genre de vins pour lesquels on se battra afin d'en acheter une poignée de bouteilles, se disant que Reyes ou pas, il faut toujours continuer à croire au Père Noël.


Commentaires

  1. Le blog de Vincent Pousson, je m'évanouis ! Bravo, je vais vite dire ça à tout le monde. Et bienvenue dans le petit bain.
    ;-)

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  2. Excellent! ça donne soif ces découvertes ibériques, qu'içi bas sont masquées par l'avalanche de vins en mode tuning! Mathias

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  3. Et voilà qui rend parfaitement obsolète, en seulement quelques jours, l'inestimable Golden vindic du meilleur SBF qui t'a été décerné... Bravo, Vincent, et bienvenu !!

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  4. Bravo Vincent pour avoir relevé le défi d' Eva :-)
    Encore un blog à suivre de près !
    François

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  5. Poussons pas Vincent trop vite :) Un article c'est déjà bien (en plus en arrivant à citer "l'italien" Da Ros dans un post sur des vins espagnols) ; mais nous en voulons plus du Pousson, de l'article sur le Vin Sans artifices mais avec du feux ; nous en voulons Vingt, Cent, que dis-je Mille ! Longue Vie ! Sua Sponte !

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  6. Merci à tous! Désolé, Antonin, mais c'est de ta faute et de celle d'Eva…
    Laurent, ce qui était impressionnant, c'était de goûter les vins de Laderas de Montejurra et juste après un Chantecoucou 2008; dire qu'il y a un air de famille serait peut-être excessif, mais une correspondance stylistique pourquoi pas…

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  7. Olivier Zavattin10 janvier 2012 à 17:51

    Enfin Le Blog...Un vrai régal en perspective...Esprit Pur...sans artifices comme le signifie Laurent...Bravo !!!

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  8. Enfin un blog. Un de plus diront les esprits chagrins et fermés. Je dirai un de mieux encore. Je plussoie de plaisir. Au plaisir de vous (te -> je ne sais plus) lire et de découvrir toujours plus de choses sur ce monde sans fin qu'est le monde du vin ...

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    1. Merci, Sylvain, un mode sans fin mais dont les amis sont les bornes et les repères.

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  9. T'es décidément pas pareil, Vincent. Et reste le ! Je n'y connais rien en vins, tu le sais, et la littérature vinicole m'emmerde depuis toujours. Mais tu te démerdes quand même pour que je finisse ton papier où il n'y a ni inters, ni espaces, ni retours lignes, ni paragraphes.
    Le truc illisible par définition, sur un sujet qui me gonfle. Et tu y arrives quand même. Tu sais pourquoi ? A mon avis, c'est parce que tu écris comme on fait un croche pied par derrière. On s'habitue, on devine le mot qui va suivre. Et ben non, c'est un autre. Ton vocabulaire est improbable. Ca fuse. Et en plus, c'est précis. Moi, je dis bravo ! même les photos ne sont pas pareils. Continue Nicolas de Noé

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    1. Ça me fait très très plaisir ce que tu m'écris, L'Amiral! N'aies crainte, il y a peu de risque que je change… À propos, va lire ça, encore sur le vin, mais ça devrait te donner soif: http://ideesliquidesetsolides.blogspot.com/2012/01/ca-cest-le-vin-le-premier-bistrot-de.html

      Besos de BCN.

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  10. merci, de m'avoir envoyé le lien - quel plaisir, de finalement pouvoir vous lire sur le Web et ne plus seulement dans ma bibliothèque (où ce n'était pas la fève, mais le haricot, qui nous avait fait nous rencontrer il y a fort longtemps;-) - bienvenu parmi les blogueurs et longue vie à votre blog et vos idées liquides et solides!

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    1. Merci Iris. À bientôt, avec du vin de Lisson et un cassoulet…

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  11. Comme beaucoup d'autres, le matin, entre courriels insipides et pub racoleuses, je vais avoir le plaisir de te lire : un délice, j'en ai le goût du vin dans la bouche et les bouteilles seront encore une fois trop petites....merci et surtout n'hésite plus, persiste ! en attendant ton prochain livre....
    Et les truffes.....?

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