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Une ardoise évidemment, mais d'époque… |
Un matin que j'aurai mal dormi, je vous dirai tout le mal que je pense de ces classements à la con du genre "
Le meilleur restaurant du Monde", sorte de
Viagra pour l'appétit destiné à des snobs que l'oisiveté intellectuelle (normal, ils ne décident rien par eux-même!) a rendus anorexiques. Le mesurage de quéquette, très peu pour moi… En hommage, donc, à ces types qui se cherchent en permanence un mètre-étalon au lieu de songer à la force, à l'immédiateté du plaisir, je vous livre aujourd'hui une adresse rare. De fait, il est aussi compliqué d'aller y manger qu'en son temps chez
le petit chimiste de Rosas. Ou pour quelques temps encore chez son disciple scandinave, fraîchement repeint en vert et tout émerveillé (mirez
cette vidéo promotionnelle) de l'idée géniale qu'il a eu de faire cuire des œufs au plat à ses bobos de clients; en terme de ramollissement de la matière grise, on commence à flirter avec les sommets de la décadence courtisane dans
Ridicule.
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Ici, c'est au bar, debout, que débute le repas. |
Passons! Laissons de côté la cuisine de zones industrielles, on m'a toujours enseigné qu'il était interdit de parler de choses sales avant de manger! Et revenons, sur Terre, calle Baluard, à Barcelone. C'est la foire d'empoigne, donc, pour déjeuner à la
Cova Fumada, pas de réservation. Tandis que les Anglais et les Américains font la queue dehors, on pousse la porte d'autorité, puis cadrage-débord' pour accéder au bar où, en deux mots plus un clin d'œil, on bloque le nombre de couverts assis dont on aura besoin. Dire que le lieu est bondé relève du pléonasme, c'est la règle ici. Alors, avec le flegme d'un
gentleman de la
City, on attaque le repas debout, en commandant une
bomba avec un pichet de rouge. La
bomba, pour ceux qui ne connaissent pas, est une sorte de petite boulette de patate, veau, cochon, esthétiquement relevée à son sommet d'aïoli et de piment; c'est un plat de pauvre, typique de la Barceloneta, un des quartiers les plus aimables de Barcelone. Dans les rues étroites de cette presqu'île intacte (sauf le marché…), anciens dockers et gitans en rajoutent, histoire de ne pas se faire tondre la laine sur le dos par les
Pakis qui ont commencé d'y ouvrir des bazars. Vous comprenez bien que ce n'est pas par ici que vous croiserez les boutiquiers apprêtés et les drapiers enrichis de l'
Eixample, la ville haute, ni même les dépressifs du goût évoqués au début. En revanche, le fantôme de
Pepe Carvalho, sûrement!
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Plus encore qu'au Noma, les places sont chères. |
Les
bombas sont avalées (par parenthèse, on dit que c'est dans ce restaurant qu'elles sont nées), on embarque le pichet de rouge ou son petit frère ainsi que les verres et on file à table. Vous voila assis. Il faut avoir préparé son coup, bien lu l'ardoise et commander d'un trait, sans oublier le pain, des grosses tartines aillées ou tomatées. Eh oui, désolé, mes amours, pas de menu-dégustation ici (le
supplice de la goutte d'eau comme l'écrit si divinement François Simon), il faut choisir par soi-même. Et, bien sûr, on prend des artichauts frits, des pois chiche au boudin noir, des fèves au lard, du
cap i pota (la tête et les pieds en jus pimenté, exquis quoiqu'un peu trop nature peut-être pour ceux qui désormais aiment la Nature…), un ou deux calamars
plantxa, un pulpito, un peu de morue, de l'
escalivade et une sardine, non, un maquereau, oui, plutôt un maquereau grillé aujourd'hui.
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Stetson et compteur à gaz… |
Et là, on est bien, les plats se succèdent, échelonnés. Ce qui doit être cuit des heures et des jours (le
cap i pota par exemple) est cuit des heures et des jours. Ce qui demande un rapide coup de
plantxa a son rapide coup de
plantxa. Les choses sont en place, votre chapeau est accroché à une des nombreuses patères, le vin a du caractère, un côté versatile aussi, plus oxydé l'été, plus gras l'hiver, comme vous, il aime bien suivre le rythme des saisons. À la
Cova Fumada, on ne vient pas faire une "expérience" pour reprendre un de ces mots stupides dans lesquels s'engouffrent les pitres creux du
Mondogastro et du
Mondovino; ici, on vient manger,
comer,
menjar! Les produits sont simples mais frais et de qualité, conformes depuis des lustres aux règles du
Kilomètre zéro qui, mode oblige, tyrannisent désormais ceux-là même qui jadis n'avaient d'enthousiasme que pour leur
japoniaiseries et leurs envies d'ailleurs. Ils sont frais pour une bonne raison, à
La Cova Fumada, il n'y a pas de frigo, on ne garde rien d'un jour sur l'autre, à part les plats mijotés.
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Une affaire de famille. |
Comme l'immense majorité des bons restaurants, la
Cova Fumada est une affaire de famille, en l'occurrence les Solé i Fresquet dont trois générations sont à l'œuvre de la cuisine au bar. Ici, évidemment, on ne vous demande pas de cuire vous même vos œufs au plat. Et on ne s'imagine même pas qu'il puisse y avoir sur Terre un cuistot aussi retors et des clients assez dégénérés pour tomber dans un tel panneau. Ici, on ne complique pas les choses, on fait ce qu'on sait faire, bien, et c'est à prendre ou à laisser.
Cet endroit est évidemment MON meilleur restaurant de Barcelone, un repère dans cette ville où la cuisine est parfois difficilement compréhensible si l'on ne s'est pas "mis le nez dans la farine". Bizarrement, j'ai appris il y a peu qu'il faisait partie des adresses de référence de feu Santi Santamaria, le grand chef classique catalan disparu l'an dernier. Ce même Santi Santamaria qui, clin d'œil appuyé à la cuisine chimique tellement en vogue en Catalogne, disait: "Moi, je ne serai jamais le bouffon des snobs".
PS: une des merveilles à la Cova Fumada, c'est que les propriétaires n'ont pas voulu embaucher Manuel, notre ami le pauvre sommelier catalan à grosses godasses
qui boit du Coca, le fil rouge de ce blog; ils avaient trop peur, maladroit comme il est, qu'il casse l'ambiance…
La Barceloneta est un "terroir" plus de Biscuter que de Carvalho, à mon avis, mais il s'agit toujours de petits coins de la Barcelone qui disparait chaque jour davant nous yeux. Pour y ajouter deux nomes à la Cova Fumada: le bar à tapas El Vaso de Oro (quelle bière, oui, bière) et le restaurant Cheriff, le vrai esprit de la paella de Barcelona.
RépondreSupprimerDéfinitivement, j'aime ce blog!
Joan
Merci Joan pour ce commentaire mais j'ai quand même déjà surpris Carvalho, sur la fin de sa carrière traîner par là, effectivement un peu plus vers l'Hôtel Arts et les plages…
RépondreSupprimerD'accord pour Cheriff, partageons-y une paella à l'occasion, moins d'accord pour le Vaso qui m'a déjà déçu. J'aime beaucoup en revanche le vermut de l'Electricitat.
À bientôt.
C'est ça, Vincent, la nouvelle "Barceloneta" (Port Olímpic nou, Arts: on doit pas oublier que le dernier batiment de la Barceloneta est el premier et à la frontière de la Villa Olímpica) était dans l'esprit du "vielle" Carvalho, tandis que la vielle Barceloneta n'a jamais perdu l'esprit de Biscuter. Mais c'est vrai aussi qu'ils restent très peux de coins avec la belle authenticité de la marinerie. Miguel Sen n'a écrit un bel article sur ça et sur la Cova Fumada. À très vendredi, j'espère!
RépondreSupprimerJoan
Je me souviens d'un repas somptueux de tapas hyper simples, mais dans une ambiance tellement décontractée, avec des vrais gens du populo de Barcelone, à la Barceloneta, juste à côté de la plage c'était tellement bien, mais sans rien de remarquable, on se disait tellement que ça devrait toujours être comme ça, que je n'ai même pas noté l'adresse!
RépondreSupprimerTrès belle plume, un côté Audiard bien ciselé. J'étais plus Santi Santamaria que chimiste moleculaire....les huitres au chocolat c'est pas pour moi, et pourtant dieu sait si j'aime les fruits de mer!
RépondreSupprimerUne autre adresse pretentieuse et hors de prix sur Barcelone( ça a peut être changé??) le Tram tram... Un disciple du chimiste ex premier de sa cuisine m'a-t-il dit....
En tout cas merci pour vos bons mots. Je me rejouis de vous lire.
Merci, cher ami, pour les compliments. Le Tram-Tram, non je n'ai pas eu le plaisir, je ne connais pas ce bouclard de Sarrià (si c'est à Sarrià, c'est de toute façon normal que ce soit cher sans aucune garantie d'être bon…).
SupprimerSi ce n'est déjà fait, il vous faut également lire ça: http://ideesliquidesetsolides.blogspot.com/2012/02/le-plus-mauvais-restaurant-de-barcelone.html
Me fait repenser à un Valpolicella recemment gouté, bien dans son jus, entre Catalogne et Aruba, et donc, au beau milieu de son propre terroir.
RépondreSupprimerNe cherchez pas la farine, yen a jamais eu ;)
Je le goûterais bien ce valpolicella, moi!
SupprimerJuste pour te dire que je suis toujours très content de te lire... Un . c'est tout !
RépondreSupprimerce lieu je l'ai découvert par hasard en me promenant dans le quartier à la recherche d'une cuisine sans maquillage. A peine rentré, les proprios ont baissé le rideau de fer... et le festival a commencé... les plats s'enchaînent et encore plus que ça il y a une énergie de vie formidable, un truc que l'on voit rarement... merci Vincent !
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