Le blanc d'Espagne (produit classique)

Je vous entretenais il y a quelques jours, de la difficulté de trouver en Espagne des vins rouges qui ne sombrent ni dans le techno-pop, ni dans la pipe à Pinocchio. Eh bien, pour le blanc, c'est pire! Bien sûr, il y a la gigantesque, la mémorable exception que constituent tous les nobles trésors (parfois même vendus à vil prix!) que l'on trouve à Jerez, Montilla-Moriles et Sanlúcar de Barrameda. Mais comme tous les exceptions, les finos et autres manzanillas ne font que confirmer la règle; de plus, autant ils sont accessibles au commun des mortels à Madrid ou en Andalousie, autant en Catalogne, où l'on a perdu le Sud, en dégotter une bouteille derrière un bar relève de la gageure. Non, ici, si vous commandez un blanc, vous avez de fortes chances de tomber sur une boisson à côté de laquelle le Tariquet (dont je respecte l'immense réussite commerciale) fait figure de grand vin de terroir, "nature" de surcroît…

93, le millésime actuellement en vente au à la propriété.
Heureusement, existe une vieille maison de La Rioja: López de Heredia. Installée à Haro, à l'extrême nord-ouest de la DOc, cette vénérable bodega est implantée comme ses concurrentes dans l'important et ancien quartier de la gare de cette petite ville, quartier qui montre l'impact du chemin de fer sur cette appellation (et renvoie par là même à l'intelligent billet écrit hier par David Cobbold sur la "naissance" des terroirs). Sous le nom Viña Tondonia, López de Heredia produit un blanc issu presque intégralement du cépage communément utilisé dans la région, le viura (90%) qui n'est autre que notre bon vieux maccabeu, un rien dédaigné dans le Languedoc-Roussillon et carrément méprisé en Catalogne où l'on trouve bien plus "identitaires" les chardonnay, gewürztraminer et riesling; ce maccabeu qu'on dit issu d'un seul vignoble est juste rehaussé d'une pointe de malvasia de La Rioja (qui comme son nom l'indique se veut autochtone) et n'aurait strictement rien à voir avec les malvoisies italiennes par exemple.
La tradition chez López de Heredia (et ici ce mot de tradition veut dire quelque chose!) est d'accentuer la coutume régionale qui consiste à conserver longtemps les vins dans du vieux bois et de les mettre en vente quand ils commencent à goûter. Concrètement, si vous passez aujourd'hui à Haro, on vous vendra du Viña Tondonia Reserva 93 (et non du 96 comme indiqué sur le site, millésime que je trouve un poil inférieur). Attendez-vous à un vin à la robe relativement soutenue, mais pas tant que ça, disons ambre clair avec des reflets verts. Contre toute attente, le mieux est de le décanter; à cet égard, j'ai même eu de belles surprise en en oubliant une carafe 12 heures au réfrigérateur, ce vin qui présente parfois à l'ouverture des notes oxydatives assez marquées a tendance à se refaire au contact de l'air, à se "purifier" et reprendre du corps. Évidemment, en plongeant le nez sur le verre (plutôt tulipe), c'est au début une balade dans un univers de fruits secs, amandes, noisettes, noix, un peu de camomille aussi, mais pas seulement; on pense au Jerez, mais ce n'est pas tout à fait ça non plus, il y a des notes de résine, d'acacia… Il faut prendre son temps, un peu comme dans ces endroits d'Espagne où l'on parfois l'impression que le temps s'est arrêté, comme sur cette photo:

Vient alors la bouche. N'y cherchez pas d'ampleur particulière, un gros volume, une grosse cylindrée. Oubliez même l'Espagne, cherchez des équilibres bourguignons, de vieux bourgognes. Voyez cette longueur, cette complexité. Sentez comme tout cela est sec, muy seco! Si vous vous attendiez à un vin livré avec une gourmette en or, c'est bien sûr loupé (mais ça, malheureusement, j'en connais des tonnes, je peux donner les noms…). Non, en avalant une autre gorgée, découvrant ces fines notes citronnées, mentholées, vous êtes juste le cousin du Roi. Il ne vous reste plus qu'à mettre en face un repas digne de ceux que sa Majesté va se taper en loucedé dans des estaminets populaires de Castille (dont certains républicains pur jus n'oseraient pas pousser la porte…). Misez sur de grands poissons, des rascasses, des saint-pierre, ne craignez pas la poularde demi-deuil!
Rassurez-vous, ce Reserva 93 n'est pas un accident; le 92, acheté à mon dernier passage était du même tonneau. Et que dire du Gran Reserva 87 dont j'ai fait boire la dernière à un seigneur de Meursault qui en fut ébahi. Là, à Haro, dans cette boutique de dégustation que je n'aime pas plus que ça, sorte de roulage de mécaniques signé Zaha Hadid (et qui ne vieillit pas très bien), il n'y avait pas, à notre dernière visite de Gran Reserva "normal" à vendre, juste des vieux millésimes (ah ,1964, quelle belle année!) dont, par parenthèse, les prix ont connu en quelques mois une inquiétante inflation; incontestablement, un petit effet de mode touche ce domaine, j'en suis fort marri. Pour information, le Reserva 93 vaut lui 20 € la bouteille, un bon rapport qualité/prix. Ah oui, je n'ai pas parlé des rouges! Franchement, je n'y comprends rien: c'est trop usé à mon goût (alors qu'il paraît que les jus jeunes que je n'ai pas pu goûter sont d'enfer). J'ai connu de grands plaisirs en revanche avec le rosé, dans un style vieux Château Simone.
Reste la question, l'origine du mystère de Tondonia: comment? Pourquoi? Personne n'a la réponse. Les vignes sont belles. La vieille cave souterraine est un monument, un monument respecté et vivant. Mais ça ne fait pas tout. Certains (pas des perdreaux de l'année!) émettent des hypothèses, évoquent même la possibilité d'une habile fortification combinée à une solide acidification qui conféreraient aux vins cette "vie éternelle", cette éternelle fraîcheur en tout cas. Peut-être… Peu importe, finalement. Alors que les grosses ficelles du Mondovino m'usent, tant mieux que subsiste ici et là une part de ces mystères consubstantiels du miracle du vin.

Commentaires

  1. J'en avais la langue qui frétillait...et les papilles dans l'émotion de cette description de Tondonia...
    je te signale qu'un des nom du macabeu c'est la vioure !

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  2. Bu le blanc gran reserva 1991 au Rekondo vendredi dernier : magnifique !

    Le rouge vina Bosconia gran reserva 1976 était superbe aussi (ainsi que la rare Barca Velha 1982, en porto sec).

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