Faut-il souhaiter l'enfer aux ringards?


Hier, en rentrant en Espagne, la première chose que je suis allé faire, c'est boire du vin français. Bizarre, non? Pas tant que ça, en fait. Il se trouve que la viticulture hexagonale tenait salon à Barcelone, et que c'était ici un des évènements de la saison.
Bon, je n'aime pas trop les salons, vous le savez. On y passe davantage de temps à balancer des paroles convenues ou à serrer des pognes qu'à goûter intelligemment et/ou sensiblement. N'empêche, je le répète, que c'était the place to be comme on dit en patois; le ban et l'arrière-ban de la pinarderie catalane avait fait le déplacement à l'ancien marché du Born, cette immense halle belle et vide, pour s'extasier parfois bruyamment devant la belle production tricolore. Une réussite, donc, qui ne peut que flatter mon chauvinisme mal guéri.
J'entends déjà l'intervention des choreutes (χορευταί en grec ancien*):
– Mais quel organisme, institution, administration, interprofession, syndicat a-t-il eu la riche idée d'organiser cette manifestation qui porte haut les couleurs du vin français?
– Aucun. Il s'agit d'une initiative privée.


Privé, ouh le vilain mot! En France en tout cas. Dans une certaine France, colberto-conservatrice, qui sent les manches de lustrines et l'œil rivé à la pendule passé seize heures. Une France où la nouveauté sent le soufre, où le conformisme est de rigueur, avec œillères assorties.
Pourtant, c'est bien d'une initiative privée qu'est née La Renaissance des Appellations, organisatrice de ce salon. L'association Nicolas Joly s'est fixé pour but de "redonner aux AOC leur pleine signification, en France comme à l’étranger, et donc de s’affranchir d’une concurrence que la technologie a considérablement amplifiée malgré l’atypicité qu’elle implique". Tout cela passe par une viticulture plus propre dont on voit mal comment on pourrait désormais faire l'économie, en tout cas pour des crus ambitieux.


Et de fait, au travers des évènements de La Renaissance, les appellations françaises étincellent. Je ne vais pas reprendre le "tout est bon" des couillons, mais le niveau moyen est élevé, on rencontre là beaucoup de bouteilles qu'on a ou qu'on voudrait avoir dans sa cave. J'apprécie par aileurs cette idée de dépoussiérer notre beau système construit il y a longtemps autour de l'INAO (j'en parlais encore ici); le coup du Vin de Table, du Vin de France comme panacée, je n'y crois pas. Ça peut être pratique, il m'arrive d'y souscrire, mais je reste convaincu que c'est dangereux à grande échelle, et la porte ouverte à toutes les magouilles qui en ce domaine s'appellent au minimum des "cuves à roulettes". Coller au terroir, de façon contrôlée, on n'a pas trouvé mieux, même si les déviances politico-administratives sont trop nombreuses.


Chapeau donc à La Renaissance des Appellations pour l'exportation réussie en Espagne de ce beau moment que je ne connaissais que sous sa forme angevine. J'y ai goûté ou regoûté avec bonheur des vins sur lesquels ceux qui ont la charge des AOP françaises: le "muscadet rouge" de L'Écu, le Prioundo 2013, ce bourgogne corbiérenc des Clos perdus, le bulle géniale, incisive, précise de Françoise Bedel, aérienne justement dans sa version Entre Ciel et Terre, la profondeur bordelaise du Clos Puy Arnaud 2011, la vivacité d'une cuvée au nom imprononçable des Enfants sauvages, les circonvolutions des blancs à moustache de Jo Landron, le Pech Abusé 2010 du Domaine du Pech à Buzet, la caresse tardive de l'Altenberg de Marcel Deiss, et tant d'autres dont je vous parlerai bien un de ces quatre matins.
Car mon propos aujourd'hui porte plutôt sur la prépondérance qui est incontestablement celle de ce genre de manifestations et d'associations sur les vieilles structures officielles, réglementaires issues du siècle précédent mais qui semblent remonter au temps des dinosaures.


Il est question ici de La Renaissance de Nicolas Joly, mais on pourrait parler de La Dive Bouteille de Sylvie Augereau, du Vin des Amis de Charlotte Sénat*…
Alors je sais, on va me taxer d'élitisme et objecter que ces évènements qui au départ n'était que des offs de salons officiels (mais qui maintenant existent en tant que tels) ont tués les ons. Il est sûr qu'ils ne leur ont pas fait du bien, mais comme je le présageais il y a bien longtemps, ce sont en fait les ons qui se sont suicidés. Un immense suicide collectif. Par la ringardise principalement, avec comme arme létale ce goût de chiottes, très pavillon de banlieue/parking d'hypermarché/pantacourt qui colle à la peau de tant d'administrations pinardières, interprofessions ou syndicats. Chez certains d'entre eux, on se demande s'ils sont encore au courant que leur religion doit être le vin ou s'ils sont déjà devenus vendeurs de fenêtres en PVC. Allez, pas de violence inutile, ne tirons pas sur l'ambulance, relisons Saint-Ex:
"Le voyageur qui franchit sa montagne dans la direction d’une étoile, s’il se laisse trop absorber par ses problèmes d’escalade, risque d’oublier quelle étoile le guide. S’il n’agit plus que pour agir, il n’ira nulle part. La chaisière de cathédrale, à se préoccuper trop âprement de la location de ses chaises, risque d’oublier qu’elle sert un dieu." Champagne!


Il existera toujours, bien sûr de grands salons officiels, des grosses machines tels Vinexpo ou ProWein (qui a tendance à devenir LE rendez-vous européen); dans une moindre mesure Millésime Bio par son intelligent parti-pris ou Vinitalia ont des choses à dire. Je suis un peu plus inquiet en revanche pour Vinisud dont les dernières annonces, passer à un rythme annuel et marier la carpe au lapin (Languedoc et Californie), étonnent quand elles ne font pas sourire. Le risque, tout choses égales par ailleurs, est de souffrir des mêmes maux que le moribond Salon des Vins de Loire d'Angers. Et ce ne sont pas des replâtrages à coup de minibus et de soirées qu'on bourre de "blogueurs d'agences de connes" qui sauveront le coup.
Mais au delà de ces salons, se pose pour beaucoup de vignerons français (et pas les pires…) des questions plus profondes: les instances censées guider la viticulture sont-elles encore valides? Ont-elle su évoluer avec leur temps? Ont-elles innové? Ont-elles encouragé le talent, l'excellence? Se sont-elles interrogées, se sont-elles remises en question ou n'ont-elles glissé au fil du courant, au gré des ambitions politiques de petits notables clientélistes, portés dans certaines région par l'inévitable un homme/une voix kolkhozien?
Beaucoup de ces questions ne sont malheureusement que rhétoriques. Et, pour avoir entendu gronder dans les campagnes, je crois que sans jeter le bébé avec l'eau du bain, sans souhaiter l'enfer aux ringards, il est temps d'un sursaut. De rassembler ce qui est épars, de remettre un peu d'idée, d'audace et d'ambition dans le système qui a travesti la démocratie en médiocratie. Il est temps d'une renaissance. De prendre exemple sur l'élan printanier de la Nature.




* Il est plus que jamais important d'utiliser les langues mortes en cet époque où, en France, on veut faire crever, ainsi que pas mal de choses qui constituent notre héritage culturel. Vous l'avez compris, je fais là référence aux dernières frasques de cet étrange Ministre de l'Éducation dont on nous a doté et qui semble faire l'unanimité contre son nettoyage des programmes scolaires, qui suscite de saines colères (lire ici, ici et ). Comme quoi l'alerte lancée à propos de ses délires sur le "cochon confessionnel" n'était pas anodine, il s'agit bien d'un danger public, et pour la République.
** Pour n'évoquer que les salons professionnels, car des évènements grand public tels le salon naturiste Rue 89 d'Antonin Iommi-Amunategui et plusieurs autres comme celui de la RVF ou le Grand Tasting ont eux aussi trouvé leur clientèle.

Commentaires

  1. Ya des trucs qui me dérangent dans ton post. Pas au fond, mais sur la forme. Ni toi, ni moi ne portons de pantacourts, mais c'est pas une raison pour jeter l'anathème sur ceux qui. Pareil pour la banlieue ou le pkg d'hyper. Faut pas pousser la chansonnette, non plus

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    1. Allons, Nicolas, tu ne vas pas nous faire une poussée "d'amalgamisme", du "stigmatisisme" et surtout un gros coup de premier degré…

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    2. Je souscris pleinement à ton propos, Vincent. De plus en plus je suis aussi en train de virer de cap pour aller lentement mais sûrement vers ces salons, au départ "marginaux", qui se révèlent être des initiatives dynamisantes pour le vigneron en quête de vérité.

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  2. intéressant - sais-tu si les ventes ont été au rendez-vous ?

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    1. Très difficile à mesurer instantanément, Alain, il ne s'agit pas d'un salon grand public où l'on repart sa caisse sous le bras. Plusieurs vignerons nous ont dit être ravis, mais ensuite ce sont leurs importateurs qui dans un premier temps vont compter les œufs dans le panier.

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  3. Un salon cherche aussi - même indirectement - à promouvoir les VENTES, ne serait-ce que par l'image qu'il génère. A TON avis, Vincent, en dehors des appellations traditionnelles (Bordeaux et Champ' en tête), et des "spécialistes" que tu fréquentes, y a-t-il un marché pour les vins français "normaux" (genre Rasteau, Muscadet, Gaillac que sais-je encore ..) en Espagne?

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    1. Un salon est évidemment là pour favoriser les contacts, présenter les vins et donc in 'fine' promouvoir les ventes, sinon à quoi sert-il?
      Pour ta question, Luc, il faut définir ce que sont des vins "normaux". Les Espagnols "normaux" ne boivent plus de vin, très très peu, trois ou quatre fois moins en moyenne que les Français ou les Italiens. Les non-"spécialistes" boivent donc local et bon marché. La clientèle qui s'intéresse au vin, celle des "spécialistes" se tourne donc vers des vins "marqueurs sociaux", à histoires, à forte identité. Pour ce qui est des crus hexagonaux, les champagnes chers, les grands bourgognes (j'ai vu des collections de Romanée-Conti dans des restaurants barcelonais), les grands crus bordelais ont la cote depuis longtemps dans la belle société des régions riches (énormes caves au Pays basque!). Mais d'autres vignerons ont développé des marchés; puisque tu parles de muscadet, le Domaine de L'Écu, de Fred et Guy, semble bien installé, on en trouve beaucoup à Barcelone par exemple. J'en suis d'ailleurs ravi.

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    2. Merci, Vincent, tu confortes mon impression de "voisin éloigné".

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