Le vin qui donne envie de bière.


Les sales jeunes! De plus en plus, ils délaissent le vin pour la bière. On le constate en France, mais dans des pays comme l'Espagne, le mouvement a pris d'incroyables proportions. Alors qu'on n'y boit plus qu'une quinzaine de litres de vin par habitant et par an, la consommation de bière atteint soixante-dix-huit  litres, plus qu'en Angleterre ou en Belgique! Mais pourquoi donc?
Il me semble que parmi les nombreuses raisons de cet amour croissant pour la bière, il y a d'abord un désamour, un désamour croissant pour le vin, un boisson qui se laisse un peu aller dans son rapport à la clientèle. J'ai encore eu l'occasion de le constater à deux reprises la semaine dernière, deux anecdotes assez significatives d'un état d'esprit. 


D'abord à propos d'une histoire de bouchons, ou plus exactement de bouteilles bouchonnées. J'avais évoqué ici la découverte du laboratoire Excell sur ces vins discrètement endommagés par ce satané liège, tandis que le grand ampélographe suisse José Vouillamoz, lui, ressortait son plaidoyer* pour un des meilleurs remèdes qui soient à ce problème: la capsule à vis. Nous est tombée dessus, à l'un comme à l'autre, une bande de défenseurs de la "tradition", marchands de pinard pour la plupart, nous expliquant avec un brin de condescendance que la bouteille bouchonnée, ça faisait "partie du jeu" et sous-entendant que vraiment nous étions des radins de ne pas accepter d'offrir jusqu'à 5% de nos crus préférés à l'évier.
Eh bien oui, désolé pour les défenseurs de la "tradition", je persiste, le "goût" de bouchon, c'est naze, et ça ne donne pas envie de retourner acheter du vin. Quelle industrie à part le vin se permettrait un déchet pareil? Il n'y a que la fonction publique française pour faire aussi bien…


Le pire, c'est que quand de trop nombreux professionnels de la profession vous "expliquent" le vin, c'est je le répète, le plus souvent, en vous prenant de haut. "Parce que vous n'avez rien compris", que vous n'êtes pas du club, ou pire, parce que vous avez eu envie d'un Tariquet et le malheur de le dire. Cet espèce de mépris de marchand de fringues, de coiffeuse énervée, je l'ai croisé (virtuellement) le week-end dernier au travers d'un vieil article (2012) du blog français No wine is innocent, affilié à Rue89. On y interviewe une sommelière parisienne, plus vraie que nature, qui balance brutalement sa vision de la clientèle. Lumière crue, néons glauques, " les stripteaseuses sont fatiguées, les travestis vont se raser…" Peu importe cette jeune femme que je connais pas, ce qui m'a frappé, c'est qu'au travers de ses paroles jaillit la peinture, naturaliste (Zola n'est pas loin), d'un milieu pinardier qui franchement lui aussi donne envie de claquer la porte et d'aller boire autre chose que du vin. Sont remontés à la surface des souvenirs parisiens, à la cave de Septime notamment, où un personnel ennuyeux et ennuyé passe plus de temps à se recoiffer dans les miroirs du bar et à se regarder pédaler qu'a servir des canons.


Et encore, dans les lieux sus-cités, tirés à quatre épingles, snobinards, on est au top du marketing et de la déco! Je ne vous raconte pas quand vous avez droit au même accueil, malaimable et hautain, dans des bouclards sordides, moches et vieillots, aussi charmants qu'un local syndical CGT (comme je l'avais écrit ici). Est-il besoin de vous faire un dessin? Peinture bordeaux genre sommelier des années quatre-vingts, costard noir / socquettes blanches, murs jaune crasseux, éclairage de commissariat, avec si possible, en prime, quelques effluves de sueur millésimée et de clopes à voix rauque. Ajoutez à ça quelques discours politiques avinés, tendance soixante-huitard mal guéri, et encore une fois l'envie d'un bon demi pression se met à vous titiller.


Parce qu'effectivement, la bière, elle, a su varier les plaisirs, et vivre avec son temps. Prenez une ville comme Barcelone**, pas un quartier où l'on n'ait pas vu apparaître une micro-brasserie, à l'image de Garage Beer Co. On y achète à emporter mais on consomme aussi sur place, dans une ambiance cool qui donne à notre univers pinardier un petit côté maison de retraite.
Et ce n'est pas qu'une question d'âge, on sent malheureusement que le dynamisme est là, bien plus que dans le vin. Rien que si l'on parle de packaging, et de com', nous voilà à des années-lumière de ce que produit la majeure partie de la filière vinicole. Généralement, ça a de la gueule, ça fait envie. Moi qui boit très peu de bière, il m'arrive d'en acheter juste parce que j'ai trouvé la bouteille jolie.
Reste le dernier argument (il est de taille!), le prix. Le vin, en plus d'être snob, c'est cher. parfois horriblement cher. "C'est pas sur la nourriture, c'est sur les vins que tu chiffres" rappelait sèchement la sommelière de l'article de Rue89. Et c'est vrai que quand la plupart des clients voient certains tarifs, il fuient! Alors qu'avec la bière artisanale, on reste dans l'accessible, donc dans la convivialité et le partage.


Sans compter que ces nouvelles bières passent facilement à table. exemple récent d'un bel accord entre une Mumbai catalane (ci-dessous), amère et sèche, délicieuse sur une salade de betteraves crues. Le côté terreux/fumé de la betterave, les levures de la pale ale
Tout ça pour dire que l'univers du vin devrait un peu regarder ailleurs. Un peu plus en tout cas, moins s'endormir dans ses histoires un peu poussiéreuses de "tradition", ses pesantes consanguinités et son complexe de supériorité. Et réapprendre à faire envie.




* Un article paru en 2014 dans Le Nouvelliste sous le titre Goût de bouchon: vive la vis!
** Dans des villes bien plus petites, on observe ce même dynamisme. Pas qu'en Espagne. Même dans notre vieille France; je dois par exemple un de ces quatre aller voir ce qui se trame à Béziers, autour de la brasserie Alaryk, deux copains créent une des premières (ou la première?) mousses bio du pays. Un salon de la bière (artisanale notamment) se tient également les 20 et 21 mars à Paris.



Commentaires

  1. Une très belle ligne :
    "Quelle industrie à part le vin se permettrait un déchet pareil? Il n'y a que la fonction publique française pour faire aussi bien…"
    Je suis un peu jaloux de ça.

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  2. Thomas Lazarus15 mars 2016 à 01:16

    Concernant la deuxième note, sur "une des premières (ou la première?) mousses bio du pays", il existe déjà un bon nombre de bières Bio en France (de qualités très inégales certes), mais la plupart des brasseries sont mixtes et ne font qu'une seule bière bio, pour le style.
    Mais Sébastien et J-O se lancent dans une aventure totalement bio, Alaryk rejoindra le cercle assez restreint des brasseries 100% biologique (avec la Pigeonnelle et la brasserie de Vézelay comme noms les plus connus). A suivre !

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    1. Merci de cette précision, Thomas. 100% bio, c'est d'importance.

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