Bonne route, Jim! Et large soif!
Sale semaine, décidément. La mort a tendance à m'emmerder la vie ces temps-ci. Trois artistes, trois amants, trois poètes du vin au tapis*. Loin de moi l'idée de transformer ce blog en rubrique nécrologique, mais c'est encore un grand qui vient de nous quitter, Jim Harrison, le franc buveur du Montana. J'ai pensé à toi en plus, hier soir alors que nous brûlions notre jeunesse au Marsella à boire de l'absinthe jusqu'à pas d'heure. Tu aurais aimé ça, Jim, le rire d'Aurélien et les yeux de Sophie. On boira donc un autre coup à ta santé, au dîner, chez les Japonais. Laisse-moi quand même te dire que c'est con de nous avoir fait ce coup-là. Alors si tu veux bien, on se relit une des tes petites histoires liquides. On t'embrasse, vieux frère. Garde-nous le bar ouvert.
"Je connais soixante-dix-sept histoires de vin ; mieux, appelons-les des modestes épiphanies. Alors que ce siècle s’efface dans la banalité d’un nouveau millénaire (mais qui diable tient donc cette montre?), je réfléchis aux grandes inventions du passé. Il faut bien sûr y inclure l’électricité ainsi que le papier toilette, et en exclure toutes les variétés d’ordinateurs ; mais tutoyant les sommets des produits de l’imagination humaine, à l’instar d’une ancienne divinité tellement omniprésente qu’elle en est devenue invisible, il y a le tire-bouchon.
Naturellement, nous savons tous que certains négociants en vins sont si avaricieux qu’ils préféreraient utiliser de vieux chiffons plutôt que l’arbre sacré aux bouchons, mais les gens de quelque intelligence en ont par-dessus la tête de ce fascisme économique, de cette bauge de vénalité qu’est l’économie globale, et ils résistent. L’acte physique élémentaire consistant à ouvrir une bouteille de vin a apporté davantage de bonheur à l’humanité que tous les gouvernements dans l’histoire de la planète. Même les religions organisées sont de simples pièges à souris spirituels, comparées au pop libérateur du bouchon, à ce couinement délicieux qui se produit lorsque vous l’affranchissez de l’étreinte mortelle du tire-bouchon. Survient ensuite ce bouillonnement grandiose du vin versé dans le verre, le même bruit que nous entendons à la source, au cœur de toutes les rivières terrestres.
Une fois posées ces prémisses, nous devons entrer dans le détail et le vif du sujet ; car il serait absurde de bavarder interminablement sur les femmes en général, quand on peut seulement les comprendre dans un rapport individuel, et au mieux partiellement. Qu’il s’agisse des femmes ou du vin, nos dons d’intelligence sont limités, mais c’est ce charme spécifique de l’immuable qui fait tout le sel de nos existences. Le goût est un mystère qui trouve indéniablement sa meilleure expression dans le vin.
En ce moment précis, je suis un peu inquiet à cause d’une tempête sur le lac Supérieur ; d’ailleurs, le vent souffle si fort qu’un grand pin blanc s’est abattu derrière mon chalet. A la radio, la météo marine annonce que les vagues vont atteindre entre sept et huit mètres de haut et que cette tempête va encore durer une journée. Sortant pour quelques instants, j’entends le rugissement du lac Supérieur qui se trouve pourtant à cinq kilomètres de ce chalet en suivant la rivière. Que puis-je faire pour la forêt environnante qui se tord maintenant dans les bourrasques? Et bien, boire mon premier verre de vin de la journée. Je débouche une bouteille de lirac, offerte par un ami. Le bruit du bouchon apaise les murs frissonnants de mon chalet en rondins. Tandis que je bois assez rapidement le premier verre, mon grill en métal Weber s’envole dans le jardin. Ce lirac est très bon, bien qu’un peu banal, mais son pouvoir est tel que la tempête devient supportable. Au moins, je ne suis pas dans un bateau. Un autre arbre, plus petit, s’écroule et ma chienne aboie. Je lui propose un verre, mais elle n’aime pas le vin. Je lis un volume de poésie chinoise. La bouteille se vide lentement toute seule. Maintenant la tempête n’est plus qu’une simple tempête. Elle fait rage à l’extérieur, et je suis à l’intérieur. Au bac à graines, trois geais bleus ignorent la tempête et son vent de soixante nœuds. Si je sortais avec mon verre plein, il y aurait des vagues à la surface de mon vin. Au lieu de quoi, je prépare un confit de canard pour mon dîner."
Quelle tristesse que sa mort. Je l'avais découvert par hasard et par un de ses moins bons romans, l'histoire d'un type viré par sa femme. Puis j'ai lu une grande partie de son oeuvre, heureusement traduite en français ; fou de pêche, amoureux de la chasse, de la France, du vin et de la bouffe, de l'histoire américaine ...
RépondreSupprimerTriste nouvelle... enfin pas si triste que ça non plus. J'ouvre une grande bouteille de Collioure : il aimait tant !
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