Le vin qui dit merde à la mode.


– C'est un porto, ton truc!
– Mais non, déconne pas, bois-le…
Pourtant, c'est vrai qu'en l'état, si l'on ne fait que "déguster", qu'on se le tape à la volée, "à vue de nez", on pense à plein de trucs qui ne sont pas lui. À des oxydations, des fatigues solaires, des langueurs propres à alerter des œnologues pointilleux. Mais j'ai aimé ce vin.
Parce que d'abord un vin, ce n'est pas qu'un nez, c'est surtout (pour les buveurs que nous sommes) une bouche. Celle-là, au delà de ce nez "portugais", est équilibrée, du haut de ses 15,5% d'alcool. Aucune brûlure, bien au contraire, elle est tenue, dessinée, "minérale" diraient ceux qui ne savent rien dire d'autre. Fraîche en tout cas (au point que nous avons séché cette bouteille* trop jeune en vingt minutes).
Cette structure, cet équilibre délicat, on le doit bien sûr à d'admirables tanins, fins mais redoutables. Les tanins, l'architecture, nous y voilà une fois encore. Si loin de la Carbo-Cola, de la mollesse et de la sucraille, si loin de la génération Nutella qui a besoin d'un camion de betterave pour détecter le saccharose. Hors mode, donc.


La vigne où est né ce vin s'en fout de la mode. Elle s'en tape comme de sa première vendange. C'était au XIXe siècle. Eh oui, elle est pré-phylloxérique, quatre-vingts pour cent des ceps sont francs de pied. Elle a tout son temps, ce temps que nous ferions bien de prendre avant d'ouvrir cette bouteille qui (autre entorse à la "tendance") a été bâtie pour être gardée dix ou vingt ans. Ce temps quand on la débouche trop jeune, qu'il faut prendre pour la carafer, la laisser avaler quelques gorgées d'air, reprendre son souffle, gagner en volume pour remplir le verre.
Car nous sommes là dans ce style méconnu des "vins de sable", de ces terroirs siliceux qui ne font pas a priori dans l'épaisseur mais dans la distinction. Vous trouvez ça à Châteauneuf, du côté du Rayas, au domaine éponyme mais aussi dans cette splendide cuvée de Michel Tardieu que j'évoquais ici. Mais j'arrête avec toutes ces considérations, ça va finir par faire vieux con, plus mode du tout, incapable de décrire le vin de façon moderne, "slurp!", "miam-miam!", "glouglou!"…


Ce terroir, c'est une des importantes acquisitions de la famille Perrin, de Beaucastel. Je ne sais pas s'il est déjà travaillé en bio, comme les plupart des vignes de cette dynastie rhodanienne**, mais c'est fort probable. Le jus de L'Argnée, un pur grenache vinifié avec rafles sur une cuvaison de treize jours, est élevé en foudre, "à l'ancienne", ce qui accentue un poil ce côté vieille cave. Vraiment, essayez de le garder quelques années, et sinon, histoire de vous éloigner un peu plus en core de la mode, sacrifiez une bête pour le faire chanter. Je verrais bien un lièvre, juste poêlé, dans son sang, avec quelques grains de genièvre.
Un vin pour boire et manger, davantage taillé pour "Monsieur Plus" que pour "Monsieur Moins", pour ceux qui préfère la vie "avec" à la vie "sans". Un vin qui dit merde à la mode***. J'adore!




* Une bouteille qui par parenthèse venait de faire un rapide Gigondas-Düsseldorf-Barcelone, juste un petit peu secouée en soute mais bien droite dans ses bottes.
** La famille Perrin est un des plus plus importants propriétaires bio du sud de la Vallée du Rhône. Les vignes de Beaucastel sont cultivées de cette façon depuis 1950, converties à la biodynamie dès 1974.
*** Dans le genre qui dit merde à la mode, je me suis régalé aussi d'un gentil muscadet qui a le malheur de ne pas sentir la pomme. C'est vif, très vif, et aussi bon que son étiquette est laide. Ça ne coûte rien, c'est signé Jérémy Huchet. J'avais parlé d'un autre de ses excellents vins, Clos Les Montys, ici.


Commentaires

  1. A l'inverse de la "minéralité" (dont il ne faudrait pas non plus condamner l'usage sous prétexte qu'il est à la mode et employé à tort et à travers), si l'on veut faire bien ringard, il y a un terme que l'on peut utiliser et qui, pour le coup, est résolument "hors-mode". Ce terme, c'est le "bouquet". La dernière fois que j'ai entendu ce mot c'était "Chez Servais" à Libourne, un jour de juin 2002...

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