Faites des économies, arrêtez les grandes surfaces!


Pour informer, il faut savoir se sacrifier. J'ai donc décidé, afin de vous aider à ne plus jeter votre argent par les fenêtres, de faire mon devoir d'ex-journaliste. N'écoutant que mon courage, j'ai bravé la laideur et me suis rendu dans un de ces centaines de bas-fonds que la France (et ses politiciens complaisants) a secrété depuis trente ans: une "zone commerciale". Ça s'est passé à Lézignan-Corbières, localité au centre jadis animé à laquelle on accède désormais en traversant une forêt vierge hostile, plantée d'enseignes toutes plus disgracieuses les unes que les autres. Au milieu de cette favela de la distribution où l'herbe et l'arbre ne poussent plus, trône, comme le veut l'usage, le supermarché, prince clinquant de ce désert de l'humanité. Ici, dans la Zone de Lézignan, c'est un Intermarché. Mais la démonstration fonctionne avec tous ses concurrents.


À moitié gazé par les pots d'échappement d'un parking envahi de Picasso (mais que vient faire Pablo dans cette galère?) et de Scénic, j'ai d'abord du vaincre une armée vociférante vêtue d'un singulier uniforme, hybride de polyester et de t-shirt sans manches, poussant de drôles (et contondantes) cages de ferraille galvanisée sur roulettes. Et, là, j'ai pu accéder au cœur du dispositif de ce château du papier-cul et du produit-vaisselle: le rayon primeurs. En fait, dans ce parcours guidé qui n'est pas sans rappeler celui des bœufs à l'abattoir, vous passez par là au début de votre visite. Ça brille, c'est coloré.


Contrairement à certains triple-étoilés catalans qui servent de l'asperge début décembre, j'ai la faiblesse de croire encore aux vertus des fruits et légumes de saison, donc, dans le cadre de mon enquête, je me suis intéressé à la tomate. Ça tombe bien, il y en avait une tonne ou deux face à l'entrée. Une affaire, une super promotion! Je vous assure, c'était marqué en caractères gras, gras comme l'odeur qui s'échappait de la boulangerie industrielle voisine. "1,50€ le kilo" hurlaient les affiches! Ces merveilles rutilantes, aussi dures et lisses qu'un galet (mais peut-être moins parfumées que le galet), arrivaient tout droit d'Espagne et de Hollande. C'est vrai qu'à la fin de l'été, en Languedoc, des tomates, c'est difficile à trouver, il faut qu'un semi-remorque fasse au minimum deux-mille kilomètres sur les autoroutes pour nous en procurer…


Mais, n'oubliant pas l'impavide reporter que je fus, je contourne l'offre alléchante à 1,50€ et me dirige sur le côté gauche de l'étal vers le rayon des tomates de luxe (photo du haut de la page). Oui, parce qu'on me l'avais répété, les grandes surfaces, désormais, font de la qualité, du haut-de-gamme; on y trouve "des produits qui valent bien ce qu'on achète sur les marchés!"
Pas de doute, on est bien dans le produit de luxe! Pas tant au niveau de la qualité de ce fruit lui aussi dur et parfumé comme la pierre (et encore la pierre chaude…), mais au niveau du tarif! La "noire de Crimée" en plastique, plus monsantiste que kokopelliste, se négocie à 4,35€ le kilo, presque égalée par la cœur-de-bœuf bidon fabriquée à la chaîne. Quant à celle de la marque déposée* Kumato®, elle bat tous les records du CAC40 à 5,99€! On me rétorquera que c'est du Made in France comme dit le faux Mitterrand à rayures du Mont Beuvray:
– Comment donc qu'tu vas, Monique?
– Ben, l'gars Mont'Bourg (lui répondrait cette chère Monique de Saône-et-Loire), j'va pas ben à mon port'feuille! Quarante francs l'kilo d'tomates en plastique, l'mousquetaire, y veut m'plumer comme une volaille de Bresse!


Eh oui, Monique n'a pas tort. "C'est pas écrit bécasse" ajoute sa cousine des Landes, Maïté, histoire de lui emboîter le pas. Oui, parce que toute garde-barrière qu'elle est, Maïté, on ne lui fait pas. Elle sait qu'à cinq cent mètres de l'odieux supermarché et de son univers sordide se tient le marché hebdomadaire de Lézignan. Et que dans ce marché, on y vend des tomates. Mais pas les mêmes, pas des contrefaçons, des fruits de paysans qui poussent en plein champ, des cornues des Andes, des (vraies) noires de Crimée, des green zebra… Et que ces tomates qui n'ont parfois fait que quelques centaines de mètres du jardin à l'étal, on les vend à un prix qui ne permet pas de se payer une Porsche Cayenne de patron de grande surface. Grosso modo, après avoir fait le tour des principaux marchés des environs à la même période, cela s'échelonnait, pour les variétés dites anciennes (je préfère dire pures) de 80 centimes d'euros le kilo pour les très/trop mûres à 1,50 euros.


Dans ce débat entre la merde de supermarché et la tomate normale, je ne fais pas entrer en ligne de compte la qualité gustative, c'est incomparable. Je ne reviens pas sur le fait que la grande distribution est un des pires cancers qui soit arrivé à la France depuis une trentaine d'années, avec son cortège de laideur, de destruction du tissu urbain, du lien social, de l'industrie locale, de l'agriculture traditionnelle, de l'emploi, etc, etc… Non, là, je ne parle d'argent. De pognon, d'oseille, de fraîche! Si on veut payer moins cher ses tomates (et pas mal d'autres choses!**), c'est au marché qu'il faut aller***, pas dans ces zones commerciales où pendant que l'on croit faire des affaires, d'autres en font sur son dos.
Et tant qu'à parler de ces merveilleux marchés languedociens, je vous invite à une petite balade en images, à Lézignan-Corbières, Olonzac, Port-La-Nouvelle et Carcassonne. L'été, une foule dense de connaisseurs, souvent étrangers, continue de s'y presser, tournant ostensiblement le dos aux "super promotions" du monde de la malbouffe. Régalez-vous, vous allez voir, on y trouve de tout, souvent des merveilles dont on sait l'origine. Des primeurs, des volailles, du poisson, des fromages de chèvre et même du cheval (sauf que là, on décide d'en manger, on ne nous raconte pas des mensonges!). Allez, vous verrez, c'est agréable de faire des économies…

 


* Kumato® est une marque développée à partir de la région de production intensive d'Almeria en Espagne par Syngenta, une société suisse spécialisée dans la chimie et l'agroalimentaire, issue de la fusion en novembre 2000 des divisions agrochimiques des sociétés AstraZeneca et Novartis. Elle est le leader mondial dans la recherche liée à l'agriculture1, en particulier la production de pesticides et semences. Elle commercialise entre autres du maïs Bt génétiquement modifié.
** Je vais glisser sur les ventes de vins foireux qui débutent ces jours-ci en France dans la GD, j'en ai parlé ici, et pour vous régaler les yeux, vous avez un beau catalogue ci-dessous…
*** Évidemment, une autre solution, quasi parfaite, est de cultiver soi-même ses tomates. À cet effet, je verse au dossier un lien vers Kokopelli, un des meilleurs pourvoyeurs de semences pures, menacé par le lobby monsantiste qui sévit à Bruxelles avec l'aide du caniche espagnol.




Commentaires

  1. et en face de l' "inter",
    Pôle Sud, l'artisan glacier qui peut bosser Cap a Cap avec nos " bons " restaurateurs. Oui oui. Si je vous le dis.

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    1. Oui, elles ne sont pas mauvaises du tout les glaces de Pôle Sud, j'ai d'ailleurs bien aimé leurs essais de glaces au vin.
      Dans le coin, j'aime bien aussi Audeline au lait de brebis dont je parlais il y a quelques jours.

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  2. En grande partie d'accord avec cette analyse, mais attention toutefois aux abus de plus en plus nombreux sur les marchés. A titre d'exemple, sur le marché de BEAUNE la semaine dernière, 4€95/Kg de haricots verts qui étaient tellement propres qu'ils ne semblaient pas du tout sortir du potager.

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    1. Il y a une très jolie phrase de Pagnol pour répondre à ça (et qui me fut soufflée au marché par le regretté Lucien Vanel, chef toulousain de caractère: "Si vous voulez aller sur la mer sans risque de chavirer, alors n'achetez pas un bateau: achetez une île!" Le marché, c'est pareil, tout n'est pas écrit d'avance, il y a un apprentissage et des écueils, cela fait partie du charme de la traversée.

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    2. Tu évoques Lucien Vanel, Vincent, que je n’ai pas connu. J’ai par contre « découvert » un de ses anciens comparses – un caractère lui aussi – dans l’Aubrac en 2005. Il y avait eu « La Belle Epoque », puis sa collaboration avec Vanel, puis le « Cercle d’Or », puis la « Brasserie du Stade » etc. ... Il a aussi fait pas mal de troisièmes mi-temps (avec F. Pelous et d’autres). Il tirera sa révérence à l’entrée de l’hiver, cette année. Il est probable qu’il passera nous dire bonjour au domaine, mais ce sera alors moi en cuisine – malheureusement pour mes convives. Tu as reconnu Pierre R ..... évidemment. Si tu veux être des nôtres, on te « traitera » bien.

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    3. Merci, Luc, j'ai appris ça récemment (la révérence). Je voudrais surtout essayer de manger chez eux avant la neige!

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  3. C'est une évidence que l'on ne peut nier!..
    Mais voilà... Le super marché répond à un problème de société car pour pouvoir consommer, il faut travailler!.. En moyenne de 8h à17-18h pour une majorité et bien souvent, du lundi au vendredi!..
    Et qui est ouvert après la journée de travail?.. Ce n'est plus le marché mais le SUPER marché!!! Quelques villes ont des marchés le week-end mais c'est loin de pouvoir offrir la possibilité à tous d'y acceder.
    Et pourtant quoi de mieux qu'un marché, avec des vrais produits mais aussi des vrais gens qui parlent et qui sont souvent heureux de pouvoir nous aider à choisir et partager leur passion, des recettes et des astuces (Tous ce que ne fait pas une scanette ou la caissière qui ne voit qu'une foule de produits défiler.)...
    Il faudrait peut-être voir plus de marchés en fin d'après midi!.. Et ainsi augmenter un peu l'égalité des chances dans la consommation!!!

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    1. Même si la plupart des marchés français ouvrent très tôt le matin, avant les bureaux, je suis complètement d'accord avec vous, Aurélie, sur le fait qu'ils devraient peut-être déplacer une partie de leur activité vers la fin d'après-midi (18-20h). C'est le cas dans certaines villes (rares) et une généralité en Espagne où je constate, ici, à Barcelone, une affluence certaine dans cette tranche horaire.

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  4. Moi, j'ai la chance d'avoir un marché le samedi matin, par contre, étant une ville touristique (Honfleur), les fruits et légumes moins chers qu'au supermarché, c'est dans nos rêves... Chez le producteur du coin, idem plus cher aussi. Déjà je me pose la question que prendre en fruits ou légumes sans gréver mon porte-feuille, alors aller direct au producteur au vu des tarif afficher... pas possible pour notre famille..

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    1. Quelle malchance! Alors déménagez! En plus, vous ferez certainement d'énormes économies sur le logement, parce qu'en zone touristique…

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  5. Des adresses magasins non bio mais de ferme sur Paris ? Sans compter les maraichers et bouchers classiques... Merci

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  6. Et tes pas passer à St laurent chercher ta charcuterie pfff

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    1. Heureusement, parce que depuis septembre 2013 (date de ce papier), elle ne doit plus être très fraîche…

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