Vin et pesticides: beaucoup de bruit pour rien?


C'était prévisible, le petit doigt sur la couture du pantalon, les journalistes des grands médias ont méticuleusement recopié le Dossier de Presse envoyé il y a quelques jours par le mensuel Que Choisir. Bien vendeur, le truc, buzz en perspective à l'approche des vendanges: Pesticides en bouteilles. Ça a de la gueule, ça! Ça fout les jetons!
Que nous apprend-on? "Tous les vins [issus de l'agriculture conventionnelle, raisonnée ou bio], sans exception, contiennent des pesticides (et des fongicides apparemment), à des taux plus ou moins élevés." Horreur! On va tous mourir!…
Passé cet intense moment de panique, on va quand même s'interroger sur la méthodologie de cette "étude scientifique". Comment a-t-on choisi les vins? Suivant quels critères? Il s'agit principalement de produits de grande consommation plus habitués aux têtes de gondole qu'au rayonnage du caviste: Mouton-Cadet, Ormes de Cambras, Baron de Lestac*… Mais, soyons honnêtes, pas seulement, on y trouve aussi un cru comme le coteaux-du-languedoc 2012 rosé d'Olivier Jullien, au Mas Jullien, qui (comme c'est bizarre?) contient, lui, la trace d'un pesticide, mais dans dans une proportion impossible à quantifier à l'analyse, puisqu'inférieure à 1μg/kg, un microgramme, c'est-à-dire pour que tout le monde sache de quoi l'on parle, inférieure à un millionième de gramme! Pour rester dans la même région, le Languedoc-Roussillon, ceux dont on surligne en rouge vif "la contamination aux pesticides", une cuvée des Ollieux-Romanis en Corbières et un vin de Pays d'Oc du Val d'Orbieu, atteignent des niveaux de 200μg/kg, soit 0,0002 grammes par kilo, toutes molécules confondues. Bizarrement, mais comme le suggère justement Que Choisir, il n'existe pas de LMR, de "Limites Maximales de Résidus" pour le vin. Il en existe en revanche pour le raisin, comme pour la plupart des fruits et légumes, et elles se calculent à l'échelle du gramme ou du milligramme, par molécule (et non par microgramme toutes molécules confondues), à des niveaux autrement supérieurs à ceux détectés par le magazine. Bref, si vous voulez vous prémunir des résidus, ce n'est que le vin qu'il vous faut immédiatement arrêter, supprimer aussi de votre régime alimentaire les tomates, les chou-fleurs, les cerises**… Et, par parenthèse, si vous réussissez, en buvant du vin, à atteindre par cumul les plafonds européens, américains ou canadiens, votre foie aura lâché bien avant que vous ne soyez "contaminé"!
Le problème, c'est que le buzz a fonctionné et que le vin dans son ensemble est victime de cette putassière supercherie journalistique. Car, dans la Presse, panurgisme et surenchère obligent, ça donne:
"Pesticides en bouteilles" Que Choisir

"Pesticides: 100% des vins français en contiennent!" BFMTV
"Alerte aux pesticides dans le vin... même bio" France Info
"Des pesticides dans tous les vins... même bio" TF1
"Vins : des traces de pesticides dans toutes les bouteilles" RTL
"Du vin et... des pesticides dans nos bouteilles" France3
"Les vins ont trop de pesticides" La Santé publique
"Des taux élevés de pesticides dans les vins de la région" Midi libre.
Beaucoup de bruit pour rien? La réponse est oui. On n'apprend pas grand chose dans ce dossier convenu, si ce n'est, mais ça, n'importe quel crétin en général est capable de le deviner, qu'on traite moins les vignes sous le soleil de la Provence ou du Languedoc-Roussillon que pendant un millésime pluvieux comme 2012 à Bordeaux, au bord de l'Océan.
Loin de moi, en revanche, l'idée de banaliser l'usage excessif de la chimie sous toutes ses formes dans les vignes. Au contraire. C'est une question de Santé, bien sûr, de respect du consommateur mais aussi de ceux qui travaillent les parcelles. Et, j'ai envie de dire, même si certains vont trouver ça cynique, de marketing. Dans les années à venir, il sera de plus en plus difficile de vendre des vins dont on ne peut pas prouver qu'ils sont "propres". Et j'écris bien "prouver". À cet égard, plutôt que de vous fatiguer les yeux avec la prose d'instituteurs besogneux de Que Choisir, allez plutôt lire (pour ceux qui ne l'ont pas encore fait) cet intéressant billet à contre-courant d'Hervé Bizeul, le vigneron du Clos des Fées. Plutôt que de blablater sur les intentions, de jouer du violon avec de beau discours, l'analyse des vins, de ses propres vins, leur concentration en résidus de toute sorte, il l'a faite, et il en livre les résultats. Car, effectivement, l'avenir est à l'obligation de résultat.



* Sans grande surprise, ce genre de vins de masse présentent souvent les taux de résidus (par le nombre de molécules et la concentration totale) les plus élevés. Avec comme toujours des contre-exemples. Ainsi Gérard Bertrand, un des gros faiseurs du Sud de la France, qui visiblement fait ce qu'il dit puisque sa cuvée "bio-nature", Autrement cabernet-sauvignon 2011 fait partie des échantillons dans lesquels les pesticides étaient indosables, car en quantité inférieure au millionième de gramme. 
** Un conseil également à la rédaction de Que Choisir, fuyez! J'ai noté dans l'ours que leurs bureaux étaient installés à Paris, en pleine ville, dans les fumées des pots d'échappement et du chauffage central. Il est peut-être aussi dangereux de subir cette contamination quotidiennement que de se taper une caisse de Mouton-Cadet!

Addenda: voici la liste publiée par Que Choisir.



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