"Le vin de demain."


"Elle compose le vin de demain", rien que ça! Qu'a donc inventé de si extraordinaire Lysanne Tusar, une psychologue canadienne reconvertie dans le pinard? Si l'on en croit le titre, et l'émerveillement de Paris-Match, une révolution est en marche. "Le vin de demain" est à notre porte qui me rappelle l'homme du même tonneau et son corollaire d'avenirs radieux, lesquels se sont assombris depuis. Impatient de lire dans les lignes du vin, de déchiffrer son futur, je me rue sur l'article, afin de connaître le coup de génie de cette dame, cette invention, cette découverte qui va modifier le future de ma boisson chérie.


Allez, ne perdons pas de temps. De coup de génie, d'innovation, de révolution, il n'y en a point. La seule originalité du projet, plus marketing que vinicole, de Miss Tusar tient à la localisation de son chai. Au lieu de l'installer tout bêtement au milieu des vignes (ce que des ringards comme moi on tendance à trouver naturel), on le trouve au troisième étage d'un bâtiment industriel du port de Hong-Kong. Si, si, voici l'adresse précise: Room 302, 3F, Harbour Industrial Center, No. 10 Lee Hing Street, Ap Lei Chau, H.K. Et la grande nouveauté devant laquelle s'esbaudit Paris-Match, c'est que cette dame a ouvert il y a quelques années déjà une "cave urbaine'. Contrairement à ce qu'écrit le magazine, cette dame n'est pas malheureusement pas la seule à produire du vin en ville, il existe notamment le précédent de City Winery à New-York et un nouveau projet vient de voir le jour à Londres. Pour en savoir plus que dans l'article pas très fouillé du magazine français, lisez ce vieux papier du Telegraph; vous y apprendrez par exemple que Miss Tusar fait subir une "flash-congélation" à ses raisins avant de les embarquer pour un tour du Monde, qu'elle en achète à Bordeaux, en Toscane, aux États-Unis ou en Australie ou en Afrique du Sud et qu'en toute simplicité, elle veut produire des "grand crus" made in HK


"Le vin de demain"? Moi, c'est bizarre, je ne le voyais pas vraiment comme ça. D'abord, il me semblait que la plupart des acteurs de la filière, avec plus ou moins d'acuité, avaient pris conscience du fait qu'il faudrait qu'il soit de plus en plus propre. Et là, j'ai un peu de mal avec ces dizaines de tonnes de raisin congelé qu'on trimballe sur les océans en flirtant avec les tropiques. Imaginez la quantité de pétrole que cela implique. Imaginez aussi la débauche énergétique mise en œuvre, l'avalanche de frigories, pour vinifier dans une des villes les plus chaudes de la planète, Hong-Kong, où jusqu'à 60% de l'énergie consommée provient des climatiseurs! Sans compter qu'il faudra ensuite se débarrasser, en ville, des effluents et des résidus de vinification, car une tonne de raisin, ça ne donne pas mille litres de vin.


Les partisans de ce coup de bluff médiatique rétorqueront que transporter des bouteilles, ce n'est pas non plus très planet-friendly, ce qui n'est pas faux. Mais là encore des efforts sont faits. Les bouteilles ultra-lourdes sont aujourd'hui passées de mode, uniquement réservées aux amateurs de gourmettes en or. Tout est fait pour alléger, avec d'ailleurs des gammes assez réussies chez des verriers, comme Ecova de Verralia. En attendant peut être un jour de pouvoir passer à d'autres matériaux, comme les PET, pour des vins à consommation rapide.
Mais bon, pour l'écologie, je ne ma fait pas de souci, j'imagine que nos vignerons de Hong-Kong qui font voyager leurs raisins congelés autour du Monde vont bientôt nous sortir du chapeau une version bio de leurs "grands crus". Ce sera l'occasion d'un autre article émerveillé de Paris-Match

Et puis, surtout, puisqu'on en parle de ce "vin de demain", au delà même de son goût, des poudres de perlimpinpin et de tout le barda qu'il doit falloir pour vinifier ces raisins congelés, moi je le voyais un peu moins "hors-sol", je lui voyais un peu plus d'âme, de lien avec le sol qu'une tomate espagnole. Je le voyais un peu plus virgilien, plus "spirituel" comme il m'est arrivé de l'écrire. Peu importe que ce soit un "grand cru" comme le prétend la psychologue canadienne de Hong-Kong. Ce "vin de demain", j'ai envie de partir à sa rencontre, dans sa campagne, toucher les vignes qui l'ont enfanté, marcher dans la boue, sentir la graisse du tracteur et la vieille odeur de la cave. J'ai envie qu'il me parle, et pas pour me raconter des bobards, pour qu'il me raconte son terroir, sa vérité, jusqu'à l'air de son pays, que je ferai mine de humer au moment d'extirper le bouchon. Non, vraiment, "le vin de demain", moi, je ne le vois pas du tout comme ça.


Commentaires

  1. Encore un accès de nostalgie de ce passéiste professionnel de Vincent Pousson. Moi, je m'apprête à lancer un city-wine de Paris, le Château Lepic, cuvée des abbesses 2013, ça va faire un tabac. Même @VincentPousson, le râleur connecté va adorer.

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  2. Vincent,

    Tu as pensé au chai de Reynaud en publiant cette photo ?
    :-)

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    1. Bien vu, Laurent! Non, en fait, à celui des Plageoles, ci-dessus.

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  3. Le genre d'endroit crasseux, envahi de déchets et de produits ou M. Smith et M. Leygnier se sentent mal à l'aise ?

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  4. Il y a des lieux, Laurentg, où le vin est plus fort que ce qui l'entoure : poubelles, produits chimiques, fromages, saucissons, pommes de terre, vinaigre, etc. Le principe de base existe pourtant : la cave à vin est faite pour le vin. Libre après au vigneron d'y mettre ses cigares, comme le fait Eloi Dürrbach, ou autres aliments.

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  5. Quant aux Plageoles, leurs vins sont irréprochables ! Évidemment...

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  6. Et puis pour moi, tant qu'il y a le minimum de protection pour que le vin ne parte pas en sucette ... le contrat est rempli !
    :-)

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  7. Ouf ! On se rejoint sur l'essentiel !

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  8. Le vin de demain est ceelui d'aujourd'hui ! http://www.larvf.com/,vin-roussillon-manche-londres-importation-la-revue-du-vin-de-france,2001118,4359996.asp

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