Graphistes, fleuristes, maquettistes, artistes, minimalistes, académistes…
Et vas-y qu'on se pâme, qu'on s'extasie! "Quelle splendeur!", "cette créativité!", "un génie!", pour peu, en lisant la critique gastronomique, on se croirait dans un défilé de prêt-à-porter, ou au salon des coiffeurs-visagistes. Parce que la coupe, le brushing du chef, évidemment, à son importance, ainsi que sa pilosité, "un chef, de nos jours, c'est barbu, Môssieur!" Son accoutrement aussi, il faut les griffes qui conviennent (comment va-t-on remplacer le style hipster? Angoisse!), que Libé donne son aval. Et c'est vrai que comme dans la fringue, les cocottes rougissantes qui se pâment et s'extasient se tapent comme de leur première chemise "de créateur" de la matière première, du coton, de la laine, du lin. Pardon, de la viande, des légumes ou du poisson.
Ce qui compte avant tout chez les tenants du nouveau "bon goût" gastronomique, sortes de Nadine de Rothschild (mâles ou femelles) de la becquetance, c'est l'apparence. Manger, on le sait bien au fond de soi, quand on est "élégant", c'est sale! Donc, l'assiette, on la regarde, on la photographie*, elle est "graphique". C'est important, ça, "graphique". Le goût, le contenu, on laisse ça au vulgaire, mais le graphisme, ah, le graphisme…
Sur la plus haute marche du podium, au championnat du monde des assiettes kitchissimes, on trouve bien évidemment les fleurs, des monceaux de fleur, plus encore que dans un tableau de Pierre & Gilles. Oui, parce que si vous fréquentez les tables chics, vous le savez, depuis quelques années, on y mange plus de fleurs que les vaches au pré. Moi, c'est bizarre, je préfère manger les vaches qui mangent les fleurs (ou les dérivés de leur lait) que les fleurs elle-même. Je ne vais pas y revenir, tout cela a été très bien écrit par le chef Pierre Jancou, dans Atabula, au printemps dernier, il m'a coupé l'herbe (et la fleur) sous le pied. Et que ce soit clair, ce n'est pas le fait qu'on puisse mette une fleur dans une assiette qui me dérange, j'ai trouvé ça amusant chez Bras il y a longtemps, ce qui m'emmerde, c'est qu'on en fourre partout et sur tout, sur un couscous comme un poulet ou un filet de maquereau, c'est le panurgisme, le suivisme des lapin-crétins
On ne va pas énumérer tout ce qui fâche, mais dans le genre couillonnade, j'avoue que j'ai aussi un faible pour les assiettes façon décors de train électrique Faller; tout y est, la fausse terre, la fausse mousse, beaucoup de feuilles et d'herbe, il ne manque plus que la locomotive! Ce mode de présentation est très prisé des pseudo-repentis de la cuisine chimique, moléculaire ou tecnoemocional. Il faut dire que la couleur verte de l'ensemble lubrifie l'arrière-train des gogos et permet de leur faire avaler les nombreux adjuvants du merveilleux catalogue Sosa, bible des grands "créateurs" de l'époque, plus intéressé eux aussi par la forme que par le fond, par le spectaculaire à tout prix**.
Très intéressante également est la catégorie des artistes. Plus la peine d'aller au Centre Georges-Pompidou ni à la Fondation Beyeler, il vous apportent le musée, le pictural dans l'assiette. Soulages, Debré, Hartung n'ont qu'à bien se tenir face à ces rois de la brosse, du couteau et de la spatule. De l'art, je vous dis, presque aussi intense, émouvant qu'une exposition des peintre-cheminots. Attention peinture fraîche! Et gare à ne pas éclater de rire…
Cet inventaire de l'art cuistot contemporain ne serait pas complet sans évoquer une école somme toute assez transversale, celle du minimalisme. Pas plus de deux bouchées dans l'assiette! Je le répète, "manger c'est sale!" Une carotte naine, un poireau "crayon" calciné***, une lamelle de betterave, point trop n'en faut! La haute gastronomie, c'est comme le caviar, c'est rare, donc cher. La générosité doit être proscrite, très mauvais genre! On n'est pas là pour ça, tout le temps perdu à ingurgiter des aliments nous éloigne de la finalité, sublime, du moment que nous passons dans ce restaurant génial, forcément génial: voir et être vu. On attend le chef de la décennie, le successeur d'Adrià que vénérera le Top 50 de la Malbouffe sponsorisé par Nestlé, celui qui osera l'assiette vide, en hommage au Carré blanc sur fond blanc de Malevitch…
Tout cela n'est évidemment pas très sérieux. In fine, qu'on ne voie dans ce texte que de l'humour, teinté, certes, d'une pointe d'agacement, mais de l'humour quand même. Car s'il est bien un style qui me vient à l'esprit pour qualifier cette cuisine pingre qui en fait trop, qui se regarde pédaler, ces restaurants transformés en boutiques de vêtements, c'est le style pompier. Tout cela est convenu, d'un académisme à mourir d'ennui. Si loin de la Nature, de la terre et de la mer, si loin de l'amour de la cuisine, si loin du goût. À cette supercherie médiatisée, ne reste que le "bon goût", celui de la volaille qui fait l'opinion et auquel se conforment les moutons. Celui qui laisse sur sa faim.
* Certains chef, vous l'avez peut-être lu, en sont à vouloir protéger, déposer le dressage de leurs assiettes…
** À ce sujet, lisez ou relisez ce billet qui revenait sur l'intéressante étude réalisée par la revue Mode de recherche, vitrine de l'institut présidé par Pierre Bergé, qui montre le glissement des usages de la gastronomie vers ceux de l'habillement.
*** Je repense à un repas parisien qui m'avait édifié.
*** Je repense à un repas parisien qui m'avait édifié.
La betterave artistique, c'est le fond, je crois.
RépondreSupprimerHahaha...
RépondreSupprimerje ne sais pas qui t'enverra des fleurs pour cette article !? Certainement pas ceux qui travaillent aujourd'hui avec autant de fleurs que de légumes """oubliés""" en dispersion ordonnée bordélique au centre d'une assiette géante ! Mais, oui, c'est """whoawww c'est beau"""......Mais bon, quand est-ce qu'on MANGE ??
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