Rayas, c'était mieux avant?
Une Marianne! Vous vous rendez compte, un Marianne républicaine sur une bouteille de Rayas? Tout fout le camp! Une capsule-congé, CRD, une "Capsule Représentative de Droits", pour emprunter aux douaniers leur jargon fleuri, en guise de couronne sur ce flacon emblématique de Châteauneuf. Comme une bouteille de Cellier des Dauphins ou de Vieux-Papes. Je ne veux pas être plus royaliste que le roi, mais, là, pour le coup, Rayas, ce n'est vraiment plus ce que c'était, on frise le crime de lèse-majesté…
On en rigolait de cette Marianne, à l'époque de Jacques Reynaud, en cette époque où la star rhodanienne, dans ses meilleurs millésimes, 89 ou 90, se négociait à des tarifs languedociens, entre soixante et cents francs de l'époque (dix ou quinze euros!). Dans la cave, on vous passait discrètement une liste tapée à la machine et ça se payait en images, avec des talbins, siouplaît! "Il vous faut une facture?"
N'empêche qu'on avait bien raison d'en rigoler de cette Marianne, devenue au fil du temps un symbole de la bureaucratie administrative, d'un 'impôt qui coûte plus qu'il ne rapporte"*. La Marianne, invention de fonctionnaires vétilleux, longtemps synonyme de casse-tête et de perte de temps à l'export, machine à paperasse donc à couper les arbres, disgracieux ornement des bouteilles franchouillardes, juste bon à nous faire passer une fois de plus pour des "Shadoks" pendant que les concurrents étrangers, eux, s'amusent de l'esthétique de leurs capsules. Bref, sauf à lui trouver un charme désuet, assorti au béret et à la baguette sous le bras, on pourra peut-être un jour penser à s'en débarrasser.
Et le vin, dans tout ça? Oui, cette bouteille de Château Rayas qu'on a décapsulée. C'était un 2001, que je goûtais pour la seconde fois (la première fois à l'aveugle). Un joli nez, une gentille bouche, délicate mais pas très longue. Pas un vin impressionnant (mais est-ce ce qu'on demande à Rayas?), moins brillant que plusieurs châteauneufs-du-pape du même millésime; un bon petit canon, presque plus Domaine des Tours que Rayas, que chacun goûte avec attention, par respect pour le cadeau qui nous est fait (merci, Fresquito!), pour son rang, et pour son tarif actuel, un rien plus élevé qu'à l'époque des bouteilles "royalistes".
C'était mieux avant? Je n'aime pas trop cette question, pas plus que l'idéologie qui la sous-tend. Y répondre sur un millésime serait de toute façon une ânerie. Ce qui est sûr que je n'ai pas encore, sur la période récente de Rayas, pris les "claques" des années d'avant. Difficile pour autant de trancher, entre le poids des souvenirs, la versatilité de ce cru**, l'évolution de son propre goût. Et aussi, soyons prosaïques, l'impact de l'explosion tarifaire qui fait que désormais on attend forcément plus (trop?) d'une bouteille a été multiplié par dix. Mystère… Va savoir, et si c'était la faute de cette maudite capsule-congé, cette Marianne capsule, et si c'était elle qui changeait le goût du vin?
*Affirmation entendue à plusieurs reprises dans le vignoble mais quasiment impossible à vérifier.
** Sans oublier "qu'avant", Rayas n'était pas forcément un des Domaines les plus réguliers qu'on connaisse…
Non ...
RépondreSupprimerRayas 2001 existe en version immense (je l'ai déjà vu 3 fois)
Et on verra l'explicite conclusion de Pierre Citerne sur la verticale faite au club, avec les vins de l'oncle puis du neveu.
Un extrait du texte de Pierre :
Malgré cette unicité de Rayas, et la constance de son unicité au fil des millésimes, il nous a semblé qu'une césure stylistique pouvait être perçue entre la période où le vin était produit par Jacques Reynaud (jusqu'en 1996) et ce qui a suivi. Les vins de Jacques Reynaud possèdent souvent un caractère massif, une densité, une monumentalité (1995, 1989, 1985...) que n'ont pas les millésimes plus récents ; ce style peut sembler en fin de compte assez proche des plus grandes réussites d'autres producteurs « traditionnalistes » de Châteauneuf (Henri Bonneau ou la famille Féraud par exemple). Les millésimes cités semblent encore loin de leur apogée. Les vins d'Emmanuel Reynaud, qui a pris la succession de son oncle, semblent vouloir atteindre à davantage de finesse, d'élégance, de précision dans la définition du type Rayas. De vins peut-être plus aériens, moins chargés, moins imposants (pour l'instant... Rayas peut se densifier avec l'âge, nous avons pu le vérifier plusieurs fois), qui s'éloignent encore davantage de Châteauneuf pour affirmer plus haut l'unicité du cru, un vin « autre », comme un Musigny du Soleil...
Oui, je suis assez d'accord avec ce qu'écrit Pierre Citerne. J'expliquais par ailleurs le souvenir des 89 et 90, aujourd'hui divins, qui étaient "monstrueux", jeunes. Et dans ce texte, quand je précise "presque plus Domaine des Tours que Rayas", c'est effectivement ce côté plus "aérien", ou plus léger que j'évoque (sur ce millésime ou d'autres).
SupprimerLe temps dira, comme il l'a dit pour les 89 et 90, plus massifs jeunes et désormais d'une finesse rare. Il sera intéressant alors de goûter tout cela à l'aveugle, avec d'autres châteauneufs de maintenant, je pense notamment à la Cuvée spéciale de Michel Tardieu dont je parlais je ne sais plus où.
Vincent,
RépondreSupprimerSouvenir d'un décevant Rayas rouge 1999 bu en janvier 2004.
Déception, caractère presque frêle (on avait évoqué le château des Tours, voir au domaine des Tours, pour un vin qui nous en jouait un, apparemment).
Rebu de superbes 1999 depuis.
Un 1989 superbe, très jeune (lors de la verticale).
Un 1990 un peu en deçà (l'autre bouteille ouverte la semaine suivante fut brillante, mais je n'étais pas dans le groupe, malheureusement).
Comparer à Bonneau Célestins (éventuellement cuvée spéciale), à Beaucastsel, Pegau laurence, Mont-Olivet Papet ou encore à la cuvée Centenaire des Cailloux, notamment.
Armenier, aussi, qui vieillit admirablement. Et quelques autres.
SupprimerPas emballé par Marcoux 1998 récemment.
RépondreSupprimerMais il me semble, après plusieurs rencontres, que Rayas 1998 n'est pas une réussite non plus.
Beaucoup aimé, en revanche, les 2001, dont une cuvée un peu bizarre (issue de la parcelle du frère avec pas mal de mourvèdre) dont j'ai récupéré une caisse, destinée à un restaurateur de Beaune.
SupprimerJe ne suis qu'un piètre dégustateur et si Rayas est un vin aussi mythique, c'est qu'il doit avoir quelque chose. J'ai goûté de grandes bouteilles de ce vin, mais j'en ai aussi jeté pas mal qui m'étaient imbuvables. Peut-être est-ce à cause du personnage qui lui même avait souvent un côté imbuvable dans son caractère. Il était plus lepéniste que royaliste, ou alors, il était royaliste du genre collabo, ou encore catho-intégriste cachant mal un penchant anti juif. Je ne connais pas son neveu et me garderai de me prononcer sur sa philosophie ou sur ses vinifications. En outre, je n'ai dû goûter que deux ou trois bouteilles de son vin sans être réellement ébloui. Désolé pour ce commentaire qui vous paraîtra peut-être inutile...
RépondreSupprimerMichel,
RépondreSupprimerSur le vin lui-même, j'ai du mal à comprendre votre propos, qui me semble contradictoire ...
Moi, sur de très nombreuses bouteilles dégustées, je considère que Rayas rouge est un des grands vins du monde, sans nul doute.
Explications Laurentg : beaucoup de bouteilles déviantes (dans les années 90/2000), quelques autres (rares) formidables, c'est vrai. Mais peut-être étais-je influencé par ma détestation du personnage que j'ai rencontré deux ou trois fois. La cave aussi était puante. Désolé, je suis comme ça. Du temps d'Alain Roux, j'adorais les vins du Prieuré de St Jean-de-Bébian, jusqu'au jour où je l'ai rencontré et qu'il m'a tenu des propos insoutenables.
RépondreSupprimerJe ne me suis pas lancé dans une dégustation de Rayas depuis le début des années 2000 et n'ai pas eu cette envie. En revanche, j'ai renoué avec le P de St J de B car mes dégustations ne sont pas pour le moment polluées par un discours raciste.
Je suis peut-être d'une grande naïveté, mais je fais partie de ceux qui aiment aussi le vin à cause des hommes (ou des femmes) qui le font et de leur philosophie de la vie.
Michel : je confirme. Un reportage à Châteauneuf il y a quelques années. Visite de la cave de Rayas, assez crasseuse, qui puait l'acidité volatile. Au sommet d'une échelle appuyée sur un foudre, Jacques Reyaud reniflait la bonde d'un air sceptique. Le vin est un liquide miraculeux.
RépondreSupprimerOui, et j'ajoute qu'à l'époque émergeaient quelques jeunes bien plus captivants que le vieil intégriste. Je pense notamment aux vieilles vignes d'Isabelle et Christophe Sabon (La Janasse). En outre, j'avais une folle admiration pour la droiture et la rigueur d'un Paul Avril. Quand je voyais la cave de l'un, semblable à une belle cave bourguignonne, et que je découvrais celle de l'autre envahie de déchets et de produits, mon choix était vite fait !
RépondreSupprimerAlain,
RépondreSupprimerBcp aimé les 2012 sur fût ...
Précis, propres, grands ...
Bonne nouvelle ! La cave est propre ! Le nouveau vinificateur est certainement plus méticuleux que l'ancien. Mais Laurentg, connaissais-tu la cave d'avant et capitaine ? Oui ? Non ?
RépondreSupprimerJamais croisé l'oncle dans son antre ...
RépondreSupprimerLa cave actuelle est dans son jus et les vins me paraissent sublimes (comme suggéré à Michel Bettane sur le blog de Nicolas de Rouyn, je pense que le grenache supporte mal les traitements de choc en termes d'extraction et d'élevage en fût ...).
Emmanuel Reynaud est un personnage.
"et son capitaine ?", bien sûr...
RépondreSupprimerMichel, ta réaction à l'égard des propos de Reynaud et de Roux me conforte dans mon idée qu'il vaut mieux s'intéresser aux œuvres qu'à leurs auteurs. Constatation valable pour l'ensemble des activités humaines et pas seulement pour le vin. Rousseau abandonnait ses enfants, Voltaire possédait des parts dans une société de commerce d'esclaves, Heidegger et Karajan étaient membres du parti nazi, Elia Kazan à nourri le McCarthysme, etc. Turpitudes qui n'ôtent rien à l'œuvre en tant que telle mais dont la connaissance peut modifier le plaisir qu'on peut en tirer.
RépondreSupprimerEinstein et ses enfants, pas mal non plus ...
RépondreSupprimerOui, je sais tout ça Alain, mais que veux-tu je suis un horrible sentimental doublé d'un incorrigible naïf. J'ai lu Céline, par exemple - ou du moins j'ai essayé - mais je n'ai plus envie de m'y replonger.
RépondreSupprimerJe sais, c'est stupide d'agir ainsi, mais j'aime les hommes avant tout, et je les aime "pour leurs idées", comme on dit, ou pour leurs aptitudes à mettre leurs idées en phase avec leurs comportements. J'admire les personnages hors normes pour l'exemplarité de leurs pensées et la profondeur de leurs sentiments. C'est con, j'en conviens, car on a tous une face cachée plutôt sombre. L'actualité nous le montre chaque jour. Les noms que tu évoques ne suscitent chez moi guère d'intérêt pour leurs oeuvres. Il y en a tant et tant d'autres qui ont ma curiosité. Et il en va de même pour le vin car, quand je le bois, le vin fait toujours apparaître le visage de celui qui le fait.
Prenons pour exemple Pibarnon : j'ai toujours aimé Henri de Saint-Victor et j'ai souvent adulé ses vins en dépit des horreurs que l'on pouvait dire sur lui pour la simple et bonne raison que je ne l'ai jamais entendu dire du mal de quelqu'un et encore moins proféré des horreurs, racistes ou autres, en dépit de certaines remarques qui parfois frisaient la nostalgie pour une certaine forme de colonialisme (nous parlions beaucoup d'Afrique, en dehors du vin). Sa vision du vin était passionnante à écouter et, malheureusement, ce n'était le cas ni de Reynaud, ni de Roux.
Alors quand j'entends des concerts de louanges sur Reynaud et ses vins...
Mais passons, je retourne à mes vendanges...
la propreté ne tient parfois qu'à un fil, dans tous les domaines de la vie
RépondreSupprimer:-)
J'aurais aussi pu mentionner ces musiciens de jazz qui mettaient leur(s) petite(s) amie(s) sur le trottoir.
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