Le vin de l'énarque.


Il n'y a rien de plus ballot que les a priori. En matière de vin, c'est même assez souvent catastrophique. Tout ça pour dire que comme tout le monde, j'adore rencontrer des vignerons, et encore plus ceux que je ne connais pas. Mais, comme tout le monde, j'ai tendance à lier ce que je vais goûter à la gueule de celui qui l'a fait (c'était d'ailleurs le thème d'un billet morphopsychologue de la semaine dernière). Et c'est pour ça que, généralement, je préfère goûter avant. Afin d'éviter le délit de faciès…
L'autre jour, quand j'ai vu la bobine de Marc Guillemot (en haut), je l'avoue, j'ai pris peur. Quelques instants, mes préjugés ont pris le dessus: "68 année politique, volem rien foutre al païs, peinture sur soie…" Mais le vin, tellement fin, élégant m'a, par miracle, aidé à échapper à cette "mentalisation" qui nous fait si souvent passer des vessies pour des lanternes (ou inversement). Et c'est important d'essayer de s'extraire de ce conditionnement (que favorise aussi l'étiquette), c'est ainsi que je me suis régalé vendredi dernier au Tire-Bouchon, à Toulouse, en piochant dans un magnum "sur le fil du rasoir", du saint-joseph 2007 Pitrou de Dard et Ribo. Alors que franchement, Dard et Ribo, ce n'est pas toujours ma tasse de thé (sauf parfois pour la couleur*…).


J'ai adoré, j'y reviens, le Quintaine 2010 de "l'énarque", puisque, dans cette bacchanale, c'est ainsi finalement que fut surnommé (à cause de son allure) l'escogriffe barbu qui le produit avec son épouse Pierrette. Marc Guillemot, tellement touchant quand il vous montre sa terre et, surtout, son formidable arsenal mécano-agricole dans lequel transparait cette belle intelligence paysanne sans laquelle les beaux vins ne sont que des accidents. "L'énarque" et sa femme sont tout sauf des babas cool.

 
Le problème, c'est que la plupart des clients ne vient plus acheter des crus, mais des marques. Des noms, en tout cas. Il faut se rassurer, afficher son statut social, faire partie d'un groupe, d'un club. Montrer qu'on n'est pas seul, d'une certaine façon. C'était le thème d'une belle discussion avec Marco Bertossi (ci-dessus). Ancien sommelier, à La Tour d'Argent notamment, ce gaillard italo-bourguignon vient d'ouvrir une cave, Art de Vin, sur la place de la nouvelle mairie de Castelnau-le-Lez, dans la banlieue de Montpellier (encore un a priori, je déteste Montpellier et mes papilles le savent…).


Marco Bertossi n'a qu'un credo, pas le plus facile, faire des choix personnels, vendre ce en quoi il croit, ne pas avoir nécessairement "les bouteilles qu'il faut". Un cauchemar, vous vous en doutez, pour les m'as-tu-vu, les snobs, les fashion victims et autres buveurs d'étiquettes! Chez lui, il faut accepter de lâcher la rampe et de repartir avec un vin différent de celui qu'on était venu acheter. Dans ses rayons, bien sûr, "le vin de l'énarque" est en bonne place. Certains classiques sont là, mais pas au hasard, des vins de copains aussi, mais sans concession, bref, on est au pays du vin qui se boit, ce pays où les a priori n'ont pas droit de cité.


* message personnel: Franckie, ne monte pas dans les tours, c'est fragile les moteurs italiens!


Commentaires

  1. En voyant le tweet, je croyais que tu parlais de Marc Guillemot, mon copain navigateur au grand large. Je savais pourtant qu'il avait un homonyme en Bourgogne, ce Breton-là. Parce quand il arrive d'une transat, il a une tête qui fait peur, lui aussi.

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  2. Je n'ai rien contre Montpellier, en revanche Castelnau-le-Lez quel enfer... plus inaccessible que les hameaux du Haut-Languedoc.

    Le nom du caviste me dit quelque chose, n'a-t-il pas organisé un évènement pour Vinisud ?

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  3. Je ne monte pas dans les tours, Vincent, et mes moteurs, que ce soit l'italien comme l'allemand, sont solides... Mais Dard Ribo blanc, c'est délicieux aussi, si c'est bien conservé!
    Et, au fait, Pitrou 2007 en magnum, on en trouve là: http://www.vinnouveau.fr/boutique/index.php?ibaction=list&search=Dard+Ribo

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  4. Bon, je me répète, mais c'est un bol d'oxygène de lire et de constater que l'écrivain, l'énarque et tous les autres sont normaux à savoir pas marketés. Je note avec précision, tous ces noms de vin afin de me faire une idée. Le Tire-Bouchon au delà d'une table au déjeuner délicatement sensorielle, a eu avec son ami Eric Cuesta, un mérite fou à imposer le goût du vin. Le consommateur lambda qui va à La Halle aux Grains, n'y va pas pour entendre Sardou, ou Johnny et pourtant quand il veut du vin il réclame de la variétoche sans jamais écouter le sachant ou le conseiller. Tous ces cavistes dont tu nous parles, sont nos Karajan de la découverte vineuse, où la musique est plus importante que la couverture du CD. Par contre Dard et Ribo dans ces Crozes, après une attaque qui ressemble à une entrée en 1ère ligne,j'aime bien, sans parler que des mecs comme ça(cavistes) te font découvrir des Côtes Roannaises de chez Lapandry à régaler n'importe quelle none adepte du lait de vierge et bien d'autres Arena ou Breton etc.. Bref, quand je verrais le Guillemot, je sais maintenant qu'il ne me faut pas mettre les voiles.Et pour aimer Montpellier, ne pas se perdre au centre ni à Castelnau, mais aller directement au Yves du Manoir pour apprécier le pétillant. Merci

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  5. Vincent,
    nous avons fait l'heureuse rencontre avec Laura de Pierrette et Marc Guillemot fin octobre dernier à Torroja. Ils étaient invités par Dominik Hubert pour faire déguster leurs vins. Et comme pour toi, le physique a d'abord surpassé le vin. Mais heureusement le goût est plus fort que la suggestion. Nous avons été subjugués par les vins (2008, 2009 et 2010). Très beaux, très purs, directs, de grands vins. Ce goût qui nous a ensuite poussé à mieux connaître nos amphitryons. Des gens charmants, passionnés, farouches défenseurs de la biodynamie, mais avec du bon sens, ne rejetant pas l'aide du SO2 avant la mise en bouteille, après s'être rendu compte que sans, c'est moins bon et surtout moins longévif.
    J'espère un jour pouvoir lui rendre visite pour découvrir son univers et apprendre un peu de lui.
    Amicalement,

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