N'aimez que moi !

C'est un souvenir à longues jambes, du genre qui vous fait cavaler. Pour elle, j'avais poussé, impressionné,  la porte du 34 de l'avenue Montaigne. Je portais Pour un homme (par respect pour son fétichisme de femme qui a déjà eu des vies), je lui avait offert N'aimez que moi. À l'époque, je ne sais pas si ça perdure, on remplissait le petit flacon anguleux devant vous, religieusement, depuis une énorme fontaine en Baccarat.



On a déjà beaucoup écrit sur la mémoire olfactive, sur l'intensité des souvenirs qu'elle fait naître. Comme si le passé ressurgissait d'un claquement de doigts. Hier soir, un court instant, les longues jambes ont traversé mon verre. Mon nez avait cru sentir de nouveau ce parfum, cette odeur précieuse de vieille rose, d'ambre et de poudre. "N'aimez que moi!" me disait le jus sombre dans lequel je discernais également une note sanguine. Un cépage rare, de l'humagne rouge*, celui de la cuvée Antica du Domaine Cornulus sur les collines de Sion. Millésime 2010. Un vin crémeux mais frais, une densité, une profondeur incroyables mais rien d'inhumain; la bouteille a été sifflée en dix minutes trente, selon le mouvement suisse de mon chronographe. Car, vous l'avez compris, il s'agit d'un vin helvète, valaisan très précisément.



Quelle drôle d'idée de boire ça à Barcelone, me diront certains! D'autant que nous avons presque bissé en ouvrant juste après (le désir surpasse la soif…) un cornalin du même domaine, superbe lui aussi, très graphite, un tout petit poil moins à mon goût, et fini par un splendide grenache 2009 de Marc Valette qui par son nom sanctionnait notre état: Ivresses. Nous avons bu ces merveilles tout simplement parce que nous étions dans une de ces boutiques rares que j'évoque dans mon Tour de Barcelone à vélo, en l'occurrence chez Vino Artesano, à Poble Sec. Et ces deux zouaves, Malena et Marc, avant leur passage à la Dive Bouteille ont fait un crochet par le Valais où ils sont allés négocier une poignée de bouteilles à Stéphane Reynard et Dani Varone. Une visite qui ne doit rien au hasard puisqu'ils étaient accompagnés d'un troisième zouave, Fredi Fresquito Torres, surnommé le Dj de Gratallops, qui avant le Priorat, a appris à faire du vin au Domaine Cornulus. Ce cher Fredi, également connu comme l'homme qui parlait à l'oreille des mulets (dont le jeune Pepe qui entame lundi sa première semaine de labours, admirez ci-dessous sa prestance ainsi que celle de son maître).


Voila l'histoire. Et je m'aperçois que n'ai pas évoqué le prix de cette merveille d'humagne rouge: ce qui est rare est cher, mais quand on aime, on ne compte pas, même en francs suisses. En euro, ça vous fera dans les quarante.
* autrement répertorié comme cornalin d'Aoste

Commentaires

  1. C'est un honneur pas prevu que tu me fais en me disant "compagnon de table de MVM". C'est vrai, à la fin (pas prevue, elle-même) de sa vie devenue roman (Los pájaros de Bangkok, terrible prémonition) au moins deux fois. Mais je préfère de m'assoir à sa table de Vallvidrera, fantôme comme je suis, avec son compagnon Fuster et chercher que sa deuxième mort (celle de l'oublie) n'arrive au moins jusqu'à ma mort (bien sur, très loin!). "comme l'homme qui parlait à l'oreille des mulets", c'est génial la description. J'y ajoute: l'homme que chaque soir buvait sa dernière bouteille. Ivresses, quelle façon baquique de finir! Vive le Valais à Barcelonne!
    Joan

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  2. Humagne blanche et rouge, Johannisberg, Cornalin, Païen (Savagnin du Jura?), Petite Arvine, Hermitage... toutes les variétés sont rares, peu connus entre nous, exprimant leur authenticité dans les vins de Stéphane et Dani, maîtres dans leur art à Savièse, Valais. Domaine Cornulus et des lieux mythiques comme le Clos de Mangold ou l'historique Clos des Corbassières. Connaître ce Domaine, son terroir, ses vins, est une illumination absolue. Pouvoir porter ces vins à Barcelone est un défi, un défi qui nous excite et nous motive.
    Je tiens à remercier tout cela a un début, un moteur, qui est Fredi. Sans notre ami nous n'avions pas jamais connu l'existence de Cornulus, Dani, Stéphane et ses merveilleux vins. Fredi Merci pour le partager!

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  3. Tengo que leerlo en profundidad. Pero estaba allí en el momento en que todo comenzaba y hablábamos del agua de rosas de mi abuela y yo de niña envuelta en su tapado de piel de oso con ese tacto tan tan suave... son sensaciones que quedan impresas en la memoria y por suerte no se van, porque nos ayudan a ser más "humagne"! Santé Vincent et merci pour être entre nous!

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  4. Hay algo que me da vueltas en la cabeza y diré ahora públicamente. Se me permite una petit histoire:
    hace un tiempo un famoso mercader de vinos de BCN nos preguntaba a Marc y a mi...¿pero uds. no viven de esto verdad? refiriéndose por "esto" a vender vino...
    Y cuando volvíamos de la "D(r)ive bouteille" acudió a mi la respuesta a su inquietud... "es que nosotros no podemos vivir sin esto"...

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  5. Cornulus c'est vraiment très très bon. Un niveau d'ensemble vraiment remarquable et des vins de pointe qui le sont. Dommage qu'il soit de plus en plus difficile de les déguster. L'avantage, c'est que l'on sait qu'ils plaisent.

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  6. Putain la tronche du Fredi sur la photo, de toute beauté !

    Vas-y Carignator !

    :))))

    ps : la bouteille de derrière les fagots (pour reprendre un gimmick cher à Henri Chollet, un autre inspirateur de notre DJ reconverti) chez les deux cousins dont on ne parle pas assez ? L'Hermitage VV Coeur de Clos, 2009 par exemple. Une bombe et comme de l'essence de truffe. Un tout grand vin blanc du valais, à se damner, mais si rare...

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