Catalogne profonde, menu à 13 euros et sincérité espagnole.
C'est exactement le contraire de l'horrible dîner de vendredi à Tickets. Nous nous sommes extirpés du nuage de pollution barcelonais via les fumées jaunes des usines de la banlieue nord. "– Tu as vu la neige sur les Pyrénées? – Oh, des vaches!" C'est bien beau de s'émerveiller comme des citadins qui marchent dans la bouse, mais à 13h 45 il va falloir commencer à songer au dinar. Ah, oui, parce qu'évidemment, ici dans la montagne désolée mais superbe des environs de Berga, on vit en vase clos, donc on ne parle que catalan. Et quand on vous sort trois mots dans la noble langue de Cervantes, c'est à contre-cœur et avec des cailloux plein la bouche. C'est comme ça, ceux qui vivent à la campagne le savent, le patois, avant d'être fait pour communiquer, ça sert à cacher ses secrets aux ennemis du village d'à-côté.
Le restaurant, le seul du coin (mis à part celui où nous irons dîner), est à un kilomètre, juste après le pont, une grosse maison blanche. On frôle une impressionnante ferme fortifiée, un petit cimetière où l'on se dit que la mort doit être plus douce, et voici l'Hostal Sant Cristófol. La bâtisse est non seulement très laide, elle est en plus polluée par un essaim de quads, ces horreurs pétaradantes capables de transformer un coin de nature en "quartier difficile".
Tant pis, à cette heure-là, on ne fait pas sa sucrée et on se précipite dans la salle à manger avant que la horde bigarrée des sous-motards ne la remplisse de son épaisse beaufitude. La pièce a davantage été designée par les chasseurs du coin que par Philippe Starck, le menu sur une feuille volante est à 13 €. Tiens, pas idiot le menu: une soupe de citrouille au jambon, une purée de pommes de terre au boudin, des pois noirs aux boudins eux aussi et une daube de sanglier.
Le vin arrive, cuvée de la maison, c'est-à-dire des usines du Pénédès; avec un peu de gaseosa, c'est nettement meilleur et, de toute façon, pas pire que certaines drouilles. La soupe arrive. Pas très chaude, mais excellente, façon mamie, parsemée de bouts de jambon de montagne un peu mou, taillé épais. Là, c'est une certitude, on n'est plus en ville!
Le plat suivant, le légume, est une découverte, des pesols negres en catalan, des pois noirs qui ressemblent à des pois chiches en plus petits et, comme leur nom l'indique, en plus foncé. Le goût un peu terreux et la texture granueleuse rappellent le pois cassé ou la gesse du Libournais que m'avait fait goûter le cher François des Lignéris. Le boudin lui aussi a du goût, et quel plaisir de découvrir un légume qui apparemment ne se cultive plus que dans ce coin de Berga! Ça, c'est du travail gastronomique!
Je suis émerveillé par la purée patate boudin que je n'ai pas choisie. Belles pommes de terre, sûrement pas des variétés officielles marquées dans le manuel (non, pas Manuel le sommelier ballot*, le manuel de l'industrie multinationale des semences!), boudin toujours aussi vrai et en prime un arc-en-ciel de papada, du lard gras de cochon frit. Assurément un grand plat!
Le sanglier qui suit, franchement, est moins bon que celui qu'on prépare dans mes montagnes des Corbières. Un peu sec (j'en avais mangé un comme ça dans un restaurant huppé de Barcelone), la sauce manque de liant. Mais, en ville, on s'en contenterait. si seulement, j'avais pu manger au moins ça la veille au soir chez les Adrià! Quant au dessert, un flan issu de poudre, moléculaire, donc, il me rappelle Tickets…
Bien. N'attendez pas de moi que je vous dise que j'ai trouvé à Santa-Maria-de-Merlès, le meilleur restaurant de ci ou de là, ce n'est pas le propos. Ce que je veux dire, c'est que l'Espagne n'est jamais meilleure que quand elle est elle-même, accueillante, sincère et authentique. Et ce n'est pas mépriser son évolution, vouloir rabaisser ce peuple fier que de dire que dans les géniales d'inventions nées durant le "miracle espagnol" se trouvent un certain nombre de fumisteries. Et en matière de fumisterie, la nourriture et la boisson se sont positionnées en industrie de pointe. Mais ce simple (demi) déjeuner rustique, paysan était en soi porteur d'un message d'optimisme: dans de nombreuses contrées du Royaume, le terroir, la vérité de la table, de la comida populaire n'ont pas été gommés par une "modernité" brutale, aveugle. c'est là que pas mal de soi-disant grands chefs feraient bien d'aller se ressourcer plutôt que de prendre des avions pour nulle part. Parce que, c'est un Français amoureux de la France (et un peu de l'Espagne aussi) qui le dit, il n'est pas sûr que ce genre de repas soit encore réalisable dans les quelques bistrots qui subsistent dans les campagnes hexagonales.
* Pour ceux qui ne suivent pas, après un mois de blog, Manuel, le sommelier catalan à grosses godasses, binoclard, nationaliste, buveur de coca est notre fil rouge. À propos de cet anniversaire, de ce premier mois d'Idées liquides & solides, j'en profite pour remercier les milliers de lecteurs qui suivent quotidiennement mes élucubrations. L'occasion aussi de remercier encore ceux qui m'ont poussé à m'épancher ainsi sur la Toile, à savoir Eva Robineau, la Mrs Peel des vins de Loire, Antonin Iommi-Amunategi, le basque bondissant et naturiste de Vindicateur et mon tuteur, Jacques Berthomeau. C'est un peu grâce à eux, ou de leur faute, suivant les goûts…
* Pour ceux qui ne suivent pas, après un mois de blog, Manuel, le sommelier catalan à grosses godasses, binoclard, nationaliste, buveur de coca est notre fil rouge. À propos de cet anniversaire, de ce premier mois d'Idées liquides & solides, j'en profite pour remercier les milliers de lecteurs qui suivent quotidiennement mes élucubrations. L'occasion aussi de remercier encore ceux qui m'ont poussé à m'épancher ainsi sur la Toile, à savoir Eva Robineau, la Mrs Peel des vins de Loire, Antonin Iommi-Amunategi, le basque bondissant et naturiste de Vindicateur et mon tuteur, Jacques Berthomeau. C'est un peu grâce à eux, ou de leur faute, suivant les goûts…
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