François des Lignéris, plus qu'un Don Quijote, une conscience.
L'autre jour, je me souviens, un samedi, on venait de passer Le Perthus: le téléphone sonne, c'est un message de François des Lignéris, avec une photo en plus! La célèbre ardoise de L'Envers du Décor, son auberge de Saint-Émilion (nous étions au lendemain de la perte du AAA de la France), annonçait une andouillette 7A; "rien de tel qu'une bonne nouvelle pour se remonter le moral" ajoutait celui qu'on surnomma jadis dans son village le Comte rouge. Là, le sale gosse vient de remettre le couvert en lançant une énième charge (voir ci-dessous) contre son Prince noir, son Darth Vader à lui, Hubert de Bouard, promoteur du bordeaux qui tache. Vous vous doutez bien que, grâce au Basque bondissant (qui a saisi ça au vol), ça buzze sur le Web du vin, d'autant que le sujet de l'ire de FdL était une "approximation très approximative" d'HdB sur le bio!
Au delà de ce nouveau coup d'ardoise, il me semble que le point commun évident entre tous ces gens que j'aime, acteurs du vin notamment, c'est qu'ils ont tous su conserver précieusement une parcelle de leur âme d'enfant. Ça ne les rend pas benêts pour autant, mais ce supplément de fraîcheur de François des Lignéris, Jacques Berthomeau, Patrick de Marien et d'autres se retrouve dans le fruit de leur travail qui, du coup, prend une valeur inestimable, inestimable, en tout cas, pour les calculateurs du Live-Ex.
Pour autant, j'ouvre une parenthèse le temps d'une explication de gravure, ce n'est pas parce ce qu'on est un enfant dans l'âme que l'on aime se faire parler comme à un gosse. J'ai entendu il y a quelques jours encore un Rastignac au petit pied de la Presse du vin (qui se prend sûrement pour un seigneur parce qu'il mange dans des 3 étoiles sans payer l'addition avec des gens qu'il croit être ses amis) nous donner à certains camarades et à moi de sidérantes leçons de déontologie journalistique (Michel R., ce n'est pas de toi dont il s'agit…). Venant de la part d'un de ces Pulitzer du publi-reportage, d'un de ces Albert-Londres du sujet-verbe-compliment, je trouve ça beau comme l'antique. Soyons magnanimes, il est tout pardonné grâce au merveilleux fou-rire qu'il nous avait offert à l'époque quand nous l'avions lu raconter dans un de ses "grands reportages" que la manzanilla andalouse était la boisson nationale de Barcelone*. Espérons pour lui que c'était juste parce que son commanditaire (et tour-opérateur) avait besoin qu'on le dise…
Peu importe, laissons les boutiquiers et revenons dans le monde des amants du vin, à François des Lignéris qui est bien plus qu'un Don Quijote, une conscience. Le dernier coup d'éclat de ce cher Comte rouge sur l'ardoise de L'encore du Dévers m'a donné envie de re-publier cet article écrit fin 2008 dans un hors-série de Maisons Sud-Ouest: François des Lignéris, Saint-Émilion underground. Je précise que les photos étaient de François Mouries.
"Dans un Saint-Émilion devenu en quelques années le Saint-Tropez du vin, l'aubergiste-vigneron de L'Envers du Décor fait entendre sa différence. Voyage au centre d'un terroir…
François
des Ligneris a un gros défaut : il est capable d'émotion. L'autre
soir, j'ai vu ses yeux s'embuer alors qu'une divine bouteille (Petit
Faurie de Souchard 1964), mûre et fraîche à la fois, nous jouait à
l'oreille la musique d'un temps que les moins de vingt ans…
Quelques notes précises, (playlist
: Jacky Terrasson, L'air de rien), déliées,
ressuscitant une époque prétendument révolue où les vins ne
s'élaboraient pas qu'à Disneyland. À l'opposé du symphonique
hollywoodien, du m'as-tu-vu en vogue (on ne disait pas encore
bling-bling),
les merles moquaient, les cerisiers rougissaient, des garnements aux
genoux écorchés organisaient de périlleux concours de
lance-pierres, sans joysticks
ni suivi psychologique, mais avec un savant mélange d'insolence et
de respect.
Époque
révolue? Rien n'est moins sûr. Les modes glissent sur la surface
des choses mais n'en touchent jamais vraiment la moelle. Pour en
comprendre, pour en déchiffrer le cœur,
il suffit juste de lire entre les lignes et, c'est à cela que
servent les artistes, les sensibles, les François des Ligneris.
Contre
les vagues, les marées, les tempêtes de fric (heureusement,
l'argent ce n'est pas que ça!) qui chaque jour érodent les côtes
calcaires de Saint-Émilion, lui, nous la joue statue de la Liberté.
Voici l'altermondialiste, le rebelle, qui sans josébovisme
se dresse face aux zinzins
(les z'investisseurs
z'institutionnels
en bordelais viticole), propriétaires parfois désincarnés de
châteaux de cartes, jouant tels des généraux boursicoteurs avec
des armées mercenaires de ceps de vignes rangés comme des petits
soldats. Éternel gardien d'un temple qu'il voit se fissurer, où
l'on parle plus souvent russe que gascon, où l'épicier se paye en
liquide un déguisement de hobereau. Un jour peut-être,
Saint-Émilion (ou tel ou tel avisé mécène), lui fera une statue.
En hommage au paradis perdu.
« Aubergiste-vigneron »
affirme sa carte de visite. Aubergiste, depuis 26 ans maintenant, à
L'Envers du Décor,
au 5 de la rue du Clocher à Saint- Émilion. Lieu de vin, lieu
de vie où se croisent le saint-émillionnaire
et le pizzaïolo du village, le poète maudit et l'œnophile
appliqué. Avec gourmandise, on y pêche la lamproie, découpe le
bœuf,
sacrifie l'agneau sur l'autel des plus beaux flacons du monde.
Aubergiste, donc, un des meilleurs qui soient, et vigneron. À
Soutard, d'abord, dont il fit contre l'air du temps, avant que sous
ses pas le sol ne se dérobe, l'archétype du Saint-Émilion
classique : si digeste, si élégant, si cultivé ; si Bordelais,
quoi ! Et ensuite grâce aux vignes bucoliques qui tapissent les
coteaux de l'Entre-Deux-Mers en admirant la Dordogne ; à Cabara,
dont il s'est fait marquis, anoblissant à tour de bras les rejetons
d'une terre oubliée ; plus haut, sur le roc et l'argile de
Saint-Aubin-de-Branne où, L'®
de rien (c'est le nom
d'une ses cuvées…), il célèbre avec une bonhomie distinguée Le
prince sarment (autre
cuvée, très saint-émilionniste).
Des vins sans méandres, tellement évidents qu'on en viendrait
presque à se demander si finalement son caractère ne s'accommode
pas mieux de ce décor moins léché, plus nature, de cette campagne
franche et droite. Ce n'est pas pour rien non plus que son métier de
vigneron l'a poussé à s'enraciner en Corbières. Pierres, cailloux,
murettes, c'est le Champ des Murailles, entre Fabrezan et
Saint-Laurent-de-la-Cabrerisse, pays de chemins de traverse, de
terroirs neufs où sa poésie s'exprime au large.
Poète,
voilà d'ailleurs un des nombreux autres métiers que François des
Ligneris aurait pu ajouter à sa carte de visite. Regardez donc cette
caisse, cette merveilleuse caisse, La Nature des Choses :
douze bouteilles, douze fois le même vin mais avec douze étiquettes
différentes, douze poèmes en images qui auraient toute leur place
dans un musée d'Art contemporain (ou au MIAM de Sète ?). À
condition toutefois qu'on parvienne à les conserver pleines tant le
jus qu'elles contiennent est un hymne au vin qui se boit. Aubergiste,
vigneron, poète et, évidemment, architecte car au pays du
carton-pâte arrivera le jour où il reviendra à ses premières
amours, l'architecture (qu'il étudia à Bordeaux avant de partir
ouvrier agricole en Australie). Bâtir un chai dans les Corbières,
peut-être avec Patrick Heiz, le collaborateur d'Herzog&DeMeuron,
qui coordonna le réfectoire des vendangeurs de Petrus? Pourquoi pas. L'avenir, plus que jamais, appartient à ceux qui
pensent différemment."
En prime (histoire de bien prouver à tous ceux qui nous aiment que ce n'est que du copinage, voire pire), je vous offre la lettre ouverte de Jacques Berthomeau au même François des Lignéris, lettre envoyée à l'été 2009
*alors qu'il n'y a pas plus honni et introuvable en Catalogne que cette boisson andalouse qui sent bien trop le Sud pour les délicats palais locaux.
C'est peu de dire que je ne suis d'accord avec rien de ce qui précède. Pire, je m'étonne. Nous en reparlerons, je pense même te faire une réponse sur ce thème et sur mon blog.
RépondreSupprimerReparlons-en, Nicolas.
RépondreSupprimerC'est peu de dire que je ne suis d'accord avec rien de ce qui précède.
RépondreSupprimerOui, ma chère Marilyn, je sais que, comme Nicolas, vous êtes une inconditionnelle du camp d'en face.
RépondreSupprimerJe ne connais pas l'homme mai je suis d'accord avec une chose, Cabara est le plus beau village se gironde, j'y ai décidé d'y poser mes valises et d'y voir grandir ma fille :-D
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