Pas de pression au café Borrel

La glace, derrière le bar, raconte une Espagne qu'on a camouflée, vite fait mal fait, sous les plastocs d'un desiño trop pressé. Des dorures, oxydées par la Méditerranée qui vient mourir au bout de Paralelo, parlent de coñac, de champa fabriqués en Rioja. À ce sujet, on raconte d'ailleurs que les trains d'airen* de la Mancha venus en Rioja pour enfanter des cognac "avec tilde" se perdaient, loupaient l'arrêt et filaient plein nord vers les Charentes. Va savoir... Le café Borrel, aujourd'hui, n'est plus que l'ombre de son ombre. Les vieilles radios à galènes se sont tues, seule la serveuse, dans les miroirs, se regarde jouer devant un ivrogne les rôles bruyants des starlettes de Tele Cinco, dont la surexcitation permanente semble impossible sans assistance pharmaceutique.


Pourtant, on lui trouve du charme à cette vieille Espagne qui ne se renie pas. Outre le miroir, tous les symboles sont là, jusqu'à la tête de toro empaillée; quand j'étais gosse, j'ai longtemps cru que taureau s'écrivait comme ça, avec des O ronds comme mes yeux quand j'en ai vu un pour la première fois. Au Borrel, la bouffe est quelconque, pas plus mauvaises que chez les requins du coin. Pas plus mauvaise que chez les simulateurs d'orgasme, mais dans ce musée d'une gaieté éteinte, on la trouverait presque meilleure que celle des restaurants de L'Eixample déguisés en blocs opératoire. Et éclairés comme tels, ce qui permet de mieux jauger la marge de progression des chirurgiens esthétiques barcelonais (et de leurs clientes, gonflées comme des championnes). "¿Una cañita? - ¡Si, la penúltima!"

*le cépage blanc de la Mancha, souvent distillé.

Commentaires

  1. Très joli article, plein de poésie qui me rappelle les vacances de mon enfance, en Espagne. Une sorte de nostalgie me gagne en lisant ces quelques lignes...

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