Le vin, les notes, à la gueule du client.


Quoi de plus vulgaire que de noter les vins? Pourquoi ne pas faire pareil avec la musique, la littérature ou même les gens? 
– Bon alors Beethoven, on lui met 17,5 ou 18 pour la Septième?
– Oh, Don Quichotte, ça vieillit pas mal, Cervantes, ça vaut bien un 96/100!
– La blonde avec ses charmants grains de beauté, AAA+?
– Non, AAA++, elle a du vernis à ongles Dior, du 999.
– D'accord…
Vulgaire, et techniquement ridicule.
Noter comment? Sur quels critères? Au nom de quelle pseudo-objectivité? Sommes-nous tous capables d'aimer la même chose, le même vin, alors même que nous avons tous des trajectoires culturelles, personnelles, sensibles, si différentes? D'une certaine façon, noter un cru, c'est refuser l'individu, avec ses aspirations propres, c'est associer le pire de la mondialisation et du collectivisme. Refuser d'admettre qu'on a le droit de ne pas avoir les mêmes aspirations que son voisin. Refuser d'accepter ses propres variations, ses passades ou ses coups de foudre. Prendre les buveurs pour des veaux, ou des moutons.


Il faut bien pourtant que s'exerce la critique, dont l'utilité est indéniable. Mais plutôt que de se la jouer maître d'école, pourquoi ne pas décrire les vins, ou très exactement tenter d'imaginer leur "univers"? Et par ce biais tenter de définir le profil-type de celui qui à un moment donné prendra le plus de plaisir à le boire? Bien sûr, là aussi, on risque les stéréotypes et les poncifs, mais in fine, le renseignement donné au lecteur sera peut-être plus concret, plus adapté en tout cas à son besoin, à son envie. Nous voilà plus proche du travail du bon caviste "à l'ancienne" (celui qui ne se prend pas pour un marchand de fringues, avec ses étiquettes à la mode), ou du sommelier de luxe. Loin en tout cas du présumé juge de Paix, détenteur d'un hypothétique "goût universel".


Pour que vous comprenez mieux, je me suis amusé à mettre en pratique cette idée sur une petite dégustation que j'avais en retard, des bouteilles achetées dans le Minervois, des crus populaires, par leur prix en tout cas, entre cinq et dix euros (et des poussières). Tous ont évidemment été dégustés à l'aveugle, dans des bouteilles neutralisées, en ordre aléatoire, et les commentaires sur le style, la personnalité, "l'univers" de chacun, écrits sur le moment. Donc, un peu comme on prenait jadis les gamins d'un village pour composer l'équipe de rugby, j'ai cherché à voir ce que l'on pouvait faire de chacun de ces vins, du pilier au coupeur de citrons.


Troisième mi-tempsTradition de Pierre Cros 2014.
C'est le gourmand de la série, on apprendra plus tard que c'est aussi le moins cher, dans les cinq euros. Droit et charnu, il incarne l'envie de boire, de partager avec les copains, les verres qui s'entrechoquent autour d'une bonne table, plus trois-quart-centre que pilier, il fait la fête sans tomber dans la lourdeur. Grosso-modo, on est à Carcassonne, dans une rue tranquille de la Cité, hors-saison, en train de manger un cassoulet. En ça, c'est aussi "le plus minervois" des vins dégustés, très à l'image de celui qui l'a créé, et dont je parlais ici.


Vivant dans l'après-midi ☞ Tempranillo Terroir Calamiac du Domaine Combe blanche 2013.
Son nez immédiatement nous invite au voyage, le tempranillo, très reconnaissable, lui donne un joli côté exotique, et une fraîcheur qui n'a rien à envier à La Rioja des bons jours. On va le recommander à ceux qui rêvent d'Espagne mais qui n'ont pas assez d'essence dans le réservoir, parce qu'à huit-neuf euros, on ne connaît pas d'aller-retour aussi bon marché pour Logroño. Sur cet hidalgo, l'agneau s'impose, frêle et rôti. Je ne sais pas pourquoi, je le verrais bien aux fêtes de La Madeleine, à Mont-de-Marsan, engageant une longue tertulia avec une brune aux yeux aussi clairs que l'Adour.


Liberté, je bois ton nom ☞ L'espantant du Domaine de Ventajou 2013.
C'est un caviste-à-manger sympa qui vous l'a vendu, rouflaquettes ma non troppo. Avec lui, vous avez saucissonné gaiement (charcuterie du Sud-Ouest ou corse mais en évitant les marques) sur du mobilier vintage bien chiné. Le vin, ce n'est pas exactement son métier, mais on aime bien en boire avec lui parce que sa conversation est agréable, et sa femme jolie. Du coup, pour soixante euros, vous êtes reparti de chez lui avec une caisse (sous le bras…). Toutes les bouteilles ne sont pas égales, mais c'est normal, ce vin est le plus libre de la bande, nature moins le quart, dix euros le bout. Vous reviendrez chez le caviste sympa qui vous a promis de vous faire goûter le carignan 2014 de ce domaine de Félines-Minervois: "de la balle" vous a-t-il lancé avec un sourire complice.


Paris, c'est une carbo ☞ Arbalète and Coquelicots de Charlotte & Jean-Baptiste Sénat 2014.
Même si vous avez réussi dans la vie comme peut en témoigner votre concessionnaire BMW, vous aimez ce moment où, une vieille casquette irlandaise sur la tête, on vous débouche un vin de titi parisien. "C'est du beaujolpif!" criez-vous, plus canaille que nature. Presque, c'est une "carbo" comme on dit avec un clin d'œil dans les bars tatoués. Une macération carbonique, "du glouglou" quoi, de la rondeur, pas de tanins, "un rouge de bobos" affirment ceux qui ne se sont pas vu vieillir. À commander chez Septime ou à La pulperia. Un peu cher, mais c'est aussi ce qui fait son prix…


Rouge, alterno et antifa ☞ Abrensis du Clos des Jarres 2013.
Aisselles de trois jours, lunettes de cycliste en serre-tête, pantacourt Quechua, vous voilà paré pour partir à la manif. Parce que ce n'est pas un vin, c'est une ZAD. Ben oui, un Zone À Défendre. Pour la cause, on oubliera ses tanins verts comme du bois, l'essentiel est ailleurs. Ce rouge, c'est l'alternatif du jour, toujours prêt à beugler contre les ordures ultra-libérales et les fascistes (c'est-à-dire la Terre entière entière). La tentation est grande de barrer la copie d'un "insuffisant", ou "peut mieux faire", à l'encre rouge, justement, mais on a dit qu'on ne notait pas. Plutôt que de parler de vin, d'ailleurs, on va se concentrer sur la politique. C'est plus important la politique. Ce vin, profondément égalitaire, est né sur la terre des pauvres, dans la plaine languedocienne, là où naissent les litrons de la coopé. Tous égaux devant le terroir. Révoluuuuutiooooon!








Commentaires

  1. "une brune aux yeux aussi clairs que l'Adour" une dacquoise alors, venue s'encanailler au Moun. Parce que dans la ville aux 3 rivières aucune n'est Adour.

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  2. Évidemment, mais elle n'était pas Dacquoise. À la Madeleine, les rencontres se fichent des frontières communales.

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