Bâtissons.


Quoi de plus indécent que de parler de travail en plein jour férié? Mais me revient ce matin l'image de ce maçon, hier après-midi, seul au milieu d'une ruelle du Barrio Gótico de Barcelone, magnifiant un mur dans l'indifférence générale des passants aux bras chargés de victuailles. Son trait de crayon noir, puis le va-et-vient adroit, sûr, précis, de sa langue-de-chat.


Ce mur, qui l'a bâti? Quels ancêtres espagnols du maçon d'hier? Héros inconnus dont le travail nous ravit chaque jour. D'eux on ne sait rien, le nom même de l'architecte a été effacé par le Temps. Reste ce monument, érigé en 1571, le Palau Fivaller, le Palacio Fiveller comme l'on disait à l'époque, dans ce Siècle d'Or où le royaume arrose sa Renaissance de l'inépuisable source de richesses sud-américaine. Barcelone, elle, privée de rêves latinos, a le regard tourné vers la Méditerranée; on y construit la même année la munificente galère royale* de Don Juan d'Autriche, bâtard de Charles Quint, qui à son bord, s'en va, au nom de l'Espagne des Hasbourg, commander la Sainte Ligue qui défait les Turcs à Lépante.


De tout ça, concentré sur son travail, le maçon de la calle de l'Ave Maria s'en fout un peu. La semaine dernière, il a enduit le bas de la façade latérale, à la chaux et à la taloche, dans les règles de l'art. Sans se soucier des porcs qui, dans quelques heures, quelques jours ou quelques semaines, vont le taguer. Car de ces basses contingences, des aléas, du temporaire finalement, et presque du temporel, il se fout aussi. Il bâtit. Loin des modes et du désordre environnant. Son coup de truelle restera comme une signature. Anonyme pour les passants du 31. le regard faussement absent, tendu vers l'avenir, sans se soucier de la gloriole. Parce que c'est sa mission. Qu'il s'inscrit, avec humilité, dans une trajectoire.


Je sens de l'espoir dans ce geste impassible. L'envie de durer, et de partager. Tout l'espoir que porte une année nouvelle, la chance, l'ivresse de la vivre, d'en jouir.
À nous, mes amis, les verres et les assiettes complètement pleins, laissons l'à moitié vide aux dépressifs. Ouvrons avec allégresse nos modestes chantiers**. Comme le maçon mon voisin, soyons généreux, chaque jour de 2016.
Bâtissons.




* Cet incroyable navire, il vous faut aller le voir au beau Musée maritime de Barcelone, symbole d'un port, d'une ville ouverte sur la Méditerranée.
** Pour le plaisir des yeux, quelques chantiers de l'année passée, œuvres de maçons et d'architectes, bâtisseurs d'avenir, à voir ici.




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