Le petit noir de chez Satan.


À une époque délétère où l'on voit ici et là ressurgir une dialectique bottée qui fleure bon les années trente, où, sans que ça ne choque grand monde, l'on trouve sur YouTube des documentaires ouvertement hitlériens* (ornés même du portrait de l'oncle Adolf!), où le spectre du grand complot, éventuellement judéo-maçonnique, agite les simples d'esprits**, je me demande s'il est bien prudent de venir habiter à l'orée du ghetto de Barcelone. Enfin bon, nous, nous sommes encore en terre sainte, quasi consacrée, placée sous les auspices de Marie. Mais pour aller prendre le café, il faut traverser la rue des bains neufs, banys nous, pénétrer le call, le ghetto, et se faufiler derrière l'ancienne synagogue vers la rue de l'Arc de Sant Ramon, actuellement en travaux, comme une bonne partie du quartier. Vous voilà chez Satan.


Et effectivement, ici, le café est à se damner. Ou divin si vous préférez, pour ne pas réveiller les vieux fantômes de la synagogue. Oublié ce goût de caramel brûlé si caractéristique de l'Espagne, survivance des temps pauvres, franquistes notamment, où l'on enrichissait de sucre la torréfaction, car évidemment, au kilo, la betterave locale, ou même la canne, ça coûte moins cher que les grains d'importation. On est très loin également du maudit goût de ferraille, de l'âcreté des jus d'usine de Nespresso, cette épidémie mondiale, ce rouleau-compresseur pour moutons faussement pressés.


Ici, au Satan's Coffee Corner, comme il se doit, comme chez Hippolyte Courty dont je vous décrivais le bel outil l'autre jour, le café à une origine, un nom, voire un prénom. Et s'il est "équitable", c'est encore mieux. L'avantage, c'est que ça se sent dans la tasse. De l'acidité, de la longueur, des fruits, le tout pour deux euros. C'est devenu une de mes adresses.


Une adresse pour le café, mais aussi pour le chocolat chaud. Un chocolat granuleux, très peu sucré, que l'on sirote lentement, en lisant son courrier ou en feuilletant les beaux magazines mis à la disposition de la clientèle.


Oui, car en plus le Satan's est cool. Assez représentatif de cette Barcelone moderne qui parfois m'évoque Berlin. On vient y faire une coupure, respirer. Grignoter un bikini éventuellement. En plus la musique est bonne. Un lieu "pour bobos" trancheront les abrutis cités au début. Sûrement. Ça nous évitera de les y croiser. Un luxe.  




* Je ne plaisante pas malheureusement, regardez l'horreur découverte pas plus tard qu'hier, colportée sur Facebook par des amateurs de végétarisme New-Age, de pensée apparemment cool, elle aussi. Vous remarquerez le touchant portrait d'Hitler enfant qui orne cette page…
** Là encore, je vous épargne les élucubrations avinées aperçues hier alors qu'était présentée la Une du Charlie anniversaire, avec un Dieu équipé de l'Œil de la Providence, symbole qui miraculeusement ressuscite les bandaisons molles des complotistes de tout poil.



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