La grenouille qui voulait se faire aussi grosse que le bœuf?


Drôle d'histoire à Bordeaux qui oppose FranceAgrimer, émanation du ministère de l'Agriculture, et un vigneron des Graves. cette semaine, le vigneron en question, Loïc Pasquet, a été condamné à un an de prison avec sursis et dix mille euros d'amende par le tribunal correctionnel de Bordeaux. On l'accuse d'avoir empoché sans les justifier d'importantes subventions européennes, celle-là même qu'utilisent de très nombreux domaines français pour co-financer leur politique export. Au passage, comme souvent dans ce genre de dossier, l'INAO et les Douanes lui sont tombés dessus, il est donc de surcroît accusé de tromperie. D'une part parce qu'il n'a pas pu présenter de carnet de chaptalisation (eh oui, ça existe encore…) et autres paperasses quasi médiévales, que ses vignes et son chai ne resplendissent pas assez et surtout parce que ses nouvelles vignes ne respecteraient pas le cahier des charges de son appellation, elles seraient plantées trop serrées, ce qui est pourtant (faut-il le rappeler?) un gage de qualité; Loïc Pasquet est monté jusqu'à des densités de vingt mille pieds par hectare, ce qui est énorme!


Loïc Pasquet a-t-il failli? Est-il un "escroc" comme j'ai même pu le lire dès l'annonce de la condamnation dans des commentaires de cavistes alterno-parigo-mélanchonistes? Oui, parce que voilà l'originalité de ce dossier: d'habitude quand l'Administration s'en prend à un vigneron, se crée a priori un front commun pour le défendre, quelles que soient les charges. Là, au contraire, c'est plutôt la curée. Il est vrai que malgré son biodynamisme, au niveau des apparences, Loïc Pasquet présente mal. D'abord, il est bordelais*. Pire, c'est difficile… Ensuite, il vend ou prétend vendre ses bouteilles à des tarifs stratosphériques, qui finissent sur le marché à cinq ou six mille euros la bouteille. Un salaud de riche, quoi. Pour aggraver son délit de faciès, il a été élu "découverte de l'année"** en 2011 par la Revue des Vins de France. La RVF dont on a évidemment déjà oublié qu'on célébrait sa vista quand elle adoubait des camarades du Parti ou des compagnons de route.


Pour donner l'ambiance, quand l'Agence France Presse raconte son procès, elle colle des guillemets à son métier de "vigneron". Une ironie très peu coutumière à l'AFP dont le rédacteur devrait peut-être un peu sortir de son trou. Qu'il aille à Vinexpo par exemple, à Prowein ou je ne sais quel salon et il verra que des vignerons qui ne ressemblent ni à une réclame Patriarche, ni à la célèbre photo de Willy Ronis, c'est presque un peu devenu la norme à l'international, aussi bien à Bordeaux qu'en Bourgogne ou en Champagne.


Tout ce que nous savons de ce dossier en l'état actuel, c'est cette dépêche AFP et la condamnation prononcée par le tribunal. Loïc Pasquet lui-même, et son avocat, n'ont pas encore reçu le jugement. D'un point de vue pénal, la seule information nouvelle, c'est qu'un appel devrait être interjeté lundi, selon ce que m'a affirmé le vigneron. Parce qu'évidemment, face à cette intrigante affaire, il me semblait raisonnable de poser quelques questions au principal intéressé.
D'abord, la subvention France Agrimer. Loïc Pasquet affirme qu'il a "de lui-même", en 2012, remboursé la majeure partie de ces sommes (trois cent mille euros) car il s'était rendu compte de problèmes avec son importateur en Chine ("je me suis fait avoir" dit-il), Europasia, société montée par le Français Patrick Michard (injoignable cette fin de semaine) et chargée, selon le vigneron, de mettre en place localement la promotion de ce vin***. Il explique même avoir été lésé par cet importateur qui se serait accaparé l'équivalent d'un million d'euros en bouteilles de Liber Pater et les braderait. "Ma faute, avoue-t-il reconnaissant que l'administratif n'est pas son affaire, c'est que je n'ai pas tout bordé, je n'ai pas signé les bons contrats et j'ai été pris dans une spirale".


Mais ce qui le choque particulièrement, c'est ce qu'il a entendu durant ce procès où il dit ne pas avoir su faire valoir ses arguments. Il a notamment été accusé par les magistrats d'avoir des vignes "à l'abandon". "Je suis en bio, et effectivement mes vignes sont travaillées au cheval, sans désherbant. Je ne savais que l'herbe dans la vigne posait un problème pour faire un grand vin. Il semblerait qu'une vigne nettoyé au Roundup soit un signe de qualité! Surréaliste!"
Les vignes en question ont d'ailleurs déjà été contrôlées, en décembre 2010 par l'organisme certificateur QualiBordeaux, plutôt du genre sourcilleux. Rapport qui les a trouvées conformes comme ont peut le lire ci-dessous, et qui a été transmis tout à fait normalement à l'INAO le trois janvier 2011. Au passage, on notera les très faibles rendements: 13,44 Hl/Ha en rouge, 6 Hl/Ha pour le millésime 2010.


Quant à son lieu de vinification (évoqué lui aussi dans le rapport), il est maintenant décrit comme "un local à l'hygiène douteuse, avec juste quelques barriques qui se battaient en duel et une chèvre à deux becs". "Je ne veux pas un chai d'architecte, réplique Loïc Pasquet. Je vends du vin, pas un bâtiment de France, ma priorité est dans le flacon. Est-ce qu'Hermès montre son outil de production?" Pour nuancer l'expertise pénale, j'ajouterai que des grands vins produits dans ce genre de chai, on en connaît quelques uns: celui de Rayas à l'époque de Jacques Reynaud était un modèle du genre qui ne l'a jamais empêché de donner naissance a des bouteilles parmi les plus belles de la planète! Quant à la chèvre à deux becs, c'est avec ce même outil que sont mis en bouteilles les prestigieux meursaults de Coche-Dury et d'autres crus du même tonneau…


Et Loïc Pasquet d'énumérer les misères qu'on lui a faites ces dernières années, depuis que l'on a commencé à parler de son Liber Pater dont l'objectif est de recréer le goût du bordeaux pré-phylloxérique (avec notamment des cépages anciens comme le prunelart), celui que vantait le Classement de 1855. Il y a eu ces cinq cents ceps coupés à la base à l'automne dernier, mais aussi révèle-t-il maintenant de nombreux pneus crevés, de multiples lettres de corbeaux pour le dénoncer "aux Impôts ou aux Douanes". "Il y a deux ans, quelqu'un a même versé du Roundup dans le puits que j'utilise pour traiter", entraînant une perte de récolte. Alors que ses détracteurs parleront de montage, sa conclusion est claire, on lui en veut. Et pas une simple querelle de voisinage. "C'est téléguidé par une grosse main du vignoble" lance-t-il, ajoutant qu'il souhaite une délocalisation du prochain procès, car, "le vin, c'est trop passionné à Bordeaux".
Pour autant, tout en précisant qu'il s'envole pour Dubaï et Pékin, il assure vouloir continuer. "Plus que jamais. Je sais que je vais dans le sens de l'histoire".


Reste le fond du problème, le vin. Le vin et son prix d'ailleurs, puisqu'au delà du Droit, les juges se sont aventurés sur le terrain de la Morale. Ce graves, je ne l'ai pas goûté mais la plupart de ceux qui l'on fait, aux palais très bordelais et jamais à l'aveugle, l'ont trouvé délicieux. Robert Parker, Philippe Maurange de la Revue des Vins de France, James Suckling à l'époque au Wine Spectator ("un cru poétique", écrit-il), François Mauss du Grand Jury Européen ou encore le blogueur/marchand de "vins étonnants", Éric Bernardin.
Comme tous les autres, ce dernier, qui est allé sur place au printemps 2011, s'enthousiasme pour le travail réalisé par Loïc Pasquet mais ose poser la question qui est dans tous les esprits mais qui ne se pose jamais à Bordeaux quand on est poli: "Est-il raisonnable de le payer trois cents euros****? Objectivement, non. Reste que ça l'est encore moins lorsque certaines personnes achètent au même prix (exemple pris totalement au hasard) un Carruades de Lafite. S'il y a des gens que ça ne dérange pas de payer de telles sommes, autant qu'ils l'investissent dans un domaine à la recherche de nouvelles voies (sachant que ça ne fera pas des sommes astronomiques, la production étant très confidentielle)." Liber Pater "vaut-il" le prix qu'en demande le vigneron? J'ai envie (pardonne-moi Éric) de dire que c'est une question idiote. Mis à part quelques raretés ultra-recherchées, quelle bouteille peut valoir plus de cinquante ou cent euros?

Au procès, l'avocate de FranceAgrimer, Me Elisa Corazza, accusait Loïc Pasquet d'avoir "développé un imaginaire autour d'un vin rare vendu cent fois plus cher à des acheteurs étrangers mais avait besoin avant cela d'une aide providentielle pour se développer". Eh bien oui, cher maître, vous venez de découvrir l'eau tiède, en tout cas le mécanisme commercial qui régit la vente des crus "hors de prix". Ce truc toujours un peu fou qui veut qu'en payant un vin très très cher, une bonne partie de la somme que vous dépensez permet de financer "l'imaginaire" qui fera que vous payez ce vin à un tel prix. Vous payez les châteaux, les parkings, les grosses voitures, les ambassadeurs, les masterclasses, les hôtesses court-vêtues, les dîners VIP, les hélicoptères, les hôtels de prestige, les billets en première…
Créer cet "imaginaire" devant lequel on fait mine de s'indigner, vendre cent ce qui vaut dix, mettre en œuvre et entretenir une logique de prix fabriqués, irréels, c'est le boulot de milliers de personnes à Bordeaux et dans le Monde (un boulot qui par parenthèse rapporte aussi pas mal d'argent à l'État et nourrit donc aussi les fonctionnaires du ministère de l'Agriculture). En cela, "l'affaire" Pasquet est une fable de La Fontaine à la sauce bordelaise, peut-être celle d'une grenouille qui a voulu se faire aussi grosse que le bœuf, mais en employant finalement les mêmes procédés (en plus sauvage?) que ceux qui ont fait du bœuf un bœuf. De conclusion à cette fable, je n'en ai pas, à vous d'en trouver la morale…




* En fait d'origine poitevine, mais installée en terres bordelaises.
** Et non "vigneron de l'année" comme l'a prétendu l'AFP et ceux qui l'ont recopiée, ce titre est revenu au très ligérien Thierry Germain.
*** Par un système de compensation en bouteilles, explique Loïc Pasquet, système que lui aurait conseillé un comptable.
**** C'est le prix départ que valait à l'époque Liber Pater, un vin que Loïc Pasquet me dit vendre désormais mille deux cents euros ex-cellar.










Commentaires

  1. excusez moi de vous contredire mais le fond du probléme dans ce procés n'est pas le prix de ce vin mais de l'escroquerie pour toucher 592000euros sans en débourser un seul.

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