L'amateurisme, le professionnalisme.


L'amateurisme, le professionnalisme… Au pays de Coubertin, le débat est loin d'être tranché. Tenez, regardez le rugby, ça fait maintenant vingt ans si ma mémoire est bonne qu'il en a fini avec l'amateurisme marron.
Depuis, beaucoup de choses ont changé, le jeu a changé. Évolué disent certains. Pourtant, combien sont-ils a avoir la larme à l'œil en évoquant le rugby de village? Moi aussi, ça m'arrive. Et il faut dire que même si un certain spectacle, plus football américain, est aujourd'hui au rendez-vous (pas toujours), on peut se lasser de voir le choc perpétuel d'obus bodybuildés qui se demandent parfois eux-même s'ils sont encore humains*. 
Mais était-ce mieux avant? Du temps des amateurs? Des pros, des pros de la castagne, il en existait aussi "avant". Les dimanches après-midi d'hiver, à Carmaux, Lannemezan, Cessenon, Mouguerre ou Graulhet, ça valait son pesant de caramels, de boîtes et de fourchettes**…


L'amateurisme, le professionnalisme, ce n'est pas le rugby ni les moustaches du baron de Coubertin qui m'y ont fait penser, mais le vin. Deux bouteilles précisément, deux bouteilles bues cette dernière semaine pour réchauffer des journées tristes.
Des vins gaillards comme le rugby de village du temps où on allait bouffer chez Alex ou chez la mère de Bernard et Christian, à Noé ou à Rieumes. Des jus francs du collier, avec ce qu'il faut de cuisses, d'épaules et de rognons, mais pas des mules non plus. Parce qu'à force de ne mettre en avant que la désormais sacro-sainte buvabilité (comme j'ai été un des premiers à le faire), on en finirait presque, de proche en proche, à ne plus fréquenter que des vins fluets, maigres, du genre qui se font désosser au premier tampon.


Le premier, c'est un vin d'ami. Marc Valette*** a débarqué mercredi dernier, dans l'après-midi, d'une improbable banlieue de Barcelone où il chinait une pièce mécanique introuvable. Pas de radio dans sa voiture, de la musique, alors, c'est moi qui lui ai appris la nouvelle. On avait prévu une soirée de garçons, mais tranquille, virile mais correcte, l'actualité aidant, ça s'est transformé en chapelle ardente de Charlie-Hebdo. Cabu, Wolinski, Maris et les autres, on les a veillés toute la nuit. On a même fait le tour du Monde, jusqu'en Australie, comme dans une chanson de Dimey, pour finalement se retrouver au point de départ le jour venu, à Barcelone, en mangeant quelques rougets avec les doigts.
N'empêche que de cette veillée funèbre, j'avais gardé le souvenir d'une belle bouteille. Celle, si on n'y prend pas garde, qui tombent en dix minutes chrono, et cette bouteille, c'était son Maghani 2012.


Maghani, c'est un vin à débat. Pas nécessairement le vin le plus consensuel de Marc. Même si j'en ai souvent parlé avec des gens qui le connaissaient par-cœur sans l'avoir bu. Il y a plusieurs styles en fait, des violents comme le 95, des suaves comme le 97, des toniques comme le 2007 et ce 2012, né, je le rappelle de vignes vierges de toute chimie de synthèse. Car le bio, chez Valette (qui a connu la coopération languedocienne), ce n'est pas une posture. Pendant longtemps d'ailleurs, il n'a pas voulu l'écrire sur l'étiquette.
Ce Maghani 2012, donc. J'en ai ré-ouvert une bouteille à votre santé, chers lecteurs, entamée à température ambiante, à température de pizzeria (ou de bar-à-vin flemmard), vu que c'est le printemps à Barcelone. 2012, je vais vous le décrire en deux mots: plein et frais. Tout le contraire des mulets, des bourounes que j'évoquais au début. Il y a du Richard Astre en lui, voire du Codor dans son déhanché, sa fluidité. Avec un peu de cuisse en plus, tiens, pour en revenir aux années 80, celle de Guy, Guy Laporte. Et ce côté inattendu, les arômes de petites griottes, un peu comme le tandem Bonneval-Charvet. Bref, rien à voir avec l'image que certains se font de ce saint-chinian où le mourvèdre vient intelligemment donner la main à la syrah. 


Dans une division inférieure, allez, on va dire en Fédérale, je me suis bien régalé aussi d'un vin plus simple mais gourmand, Les Garrigues 2011 de la famille Clavel en Coteaux du Languedoc. On est là sur un format un poil plus massif, sans que cette robustesse ne devienne de la lourdeur. C'est un peu plus épicé aussi, de la cannelle, on va faire jouer ça en troisième-ligne, mais avant qu'on ne passe deux heures par jour à porter de la fonte.
Deux chouettes bouteilles, chacune dans son compartiment de jeu et dans sa catégorie, deux bouteilles qui m'ont largement réconcilié avec le Languedoc-Roussillon. Non pas que je sois vraiment fâché, mais j'ai eu droit récemment à deux trucs, un du Fenouillèdes, l'autre de la vallée de l'Hérault****, totalement imbuvables. Du pourri, de l'intorchable, sur lequel j'ai pourtant lu ici et là des commentaires élogieux. Peu importe, tous les goûts sont dans la nature, mais le point commun entre ces deux trucs, c'est qu'il s'agissait de néo-vignerons, de type dont ce n'était pas encore le métier, "qui se cherchaient" comme on dit gentiment. Moi, j'aurais bien aimé qu'ils se trouvent avant que j'aie à boire leur production! Car, c'est toujours intéressant qu'un type fasse des expériences, mais comme je l'ai déjà dit pour la bouffe chimique, je ne me sens pas l'âme d'un cobaye.


Au delà du plaisir non dissimulé de m'être re-régalé de deux bouteilles fidèles à leur terroir, il me semble utile de rappeler une évidence, une "évidence encore plus évidente" dans le vin que dans le rugby: vigneron, c'est un métier. C'est beau, un métier, ça ne s'improvise pas, ça s'apprend, ça réclame du temps.
Il ne s'agit en aucun cas d'opposer, à la façon du vieil Humphrey, les professionnels et les cons (c'est ce qu'il disait pour le cinéma). C'est pas grave de se tromper, il faut bien débuter un jour, et on aime bien parfois ces tâtonnements. N'y voyez donc aucune guerre de religions, il y en a assez comme ça au vaste pays des cons. Mais enfin, quel bonheur de boire le vin d'un type qui a de la bouteille, d'un type qui a des convictions, qui connait sa terre et qui, même si le vin est loin d'être une science exacte, sait où il va.
Quel bonheur pour l'amateur de boire le vin d'un professionnel.




* Et c'est vrai qu'ici et là, des questions fusent sur l'aspect physique du rugby actuel, même mon doc qui n'est pas le dernier à ouvrir la boîte-à-gifles, a peur d'y envoyer son petit. Lisez cette enquête de L'Équipe parue il y a quelques semaines.
** En langage rugbystique, des plaquages virils, des coups de poings et des paires de doigts habilement placées dans les yeux du vis-à-vis.
*** Domaine Canet-Valette, à Saint-Chinian (je précise ça uniquement pour les perdreaux de l'année).
**** "Les noms? Les noms!" Non, je ne les donnerai pas, on m'a assez cassé les bonbons pendant des heures avec ça. On m'a explique (en France) que j'avais plus le droit de dire quand un vin ne me plaisait pas, que je n'avais plus cette liberté d'expression. Donc, pour une fois, je m'autocensure.

Commentaires

  1. En parlant de Charvet et Bonneval, tu avais parlé cet été d'un souvenir d'une nuit à Ivry un soir de France-Ecosse 1987. Avais-tu eu la chance d'assister au match au Parc des Princes?

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    1. Oui, j'y étais bien sûr. Avec la fiancée d'un des joueurs qui s'est illustré ce jour-là.

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    2. Tous s'étaient illustrés ce jour-là. Bonneval bien sûr, mais aussi l'agenais Philippe Bérot. C'était d'ailleurs l'époque où Fouroux ne voulait plus de "Codor"...

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