Manger "à l'aveugle".


Le tout-Paris de la gastrolâtrie, les pom-pom girls du Mondogastro ne bruissent que de ça: l'édition française du Guide des Pneus 2015 sort dans quelques heures. Et du coup, pèsent d'horribles incertitudes pour l'avenir de l'humanité. Le représentant de Nespresso va-t-il décrocher trois étoiles? Quid du VRP de Brake? Et la bande à Métro, sera-t-elle toujours célébrée avec autant de faste? Sur ce dernier point, une rumeur encore plus folle, abracadabrante, s'ajoute d'ailleurs à la rumeur puisque l'on chuchote, dans les "milieux autorisés" que Michelin s'apprêterait à annoncer un partenariat avec le grossiste allemand en alimentation industrielle ainsi que San Pellegrino (filiale de Nestlé). Plus c'est gros, mieux ça passe?…
Mais au-delà de ces bruissements, de l'écume suscitée par cette pseudo-actualité, se pose une question de fond: quelle est la valeur intrinsèque de ces classements de cuistots? Je soulevais le problème des notations pinardières à propos du "Roussillon bashing"; difficile, en effet d'accorder du crédit à ces concours désuets, infantiles, où l'on mesure l'immesurable, où l'on trie l'intriable. Il existe un vin pour chaque personne, à chaque moment.
En ce qui concerne la restauration, l'idée des classements est encore bien plus ridicule. Car, en plus des goûts personnels, si dans le vin, on possède une arme terrible, redoutable (et parfois à double-tranchant), la dégustation à l'aveugle, qui peut dénuder les rois, en matière gastronomique, on goûte toujours à découvert.


Au restaurant, critique ou pas, on mange des noms, un lieu, un décor plus ou moins prestigieux (plus ou moins kitsch?). Comment voulez-vous qu'en plus de sa propre histoire organoleptique, le dégustateur ne goûte pas avec ce qu'il sait et voit, qu'il ne goûte pas autre chose finalement que l'environnement dans lequel il se trouve? Quel que soit son palais, cet environnement le conditionne et le rend totalement incapable (même s'il le souhaitait) de la moindre objectivité*, c'est imparable, le cerveau fonctionne comme ça.
On me rétorquera qu'il existe une solution, transporter tous ces plats du restaurant vers un lieu neutre, ou, de façon horizontale, les critiques, dans le silence, jugeraient des qualités propres de chacun des mets proposés par les différents cuistots. 
Pourquoi pas? Certes, cela n'effacerait pas la notion de goût personnel, tellement différent entre une personne éduquée au Caca-Nutella et un autre poussé aux légumes du jardin mais ce serait un bon début. Et surtout, il faudrait bander les yeux de tous les dégustateurs afin que les chichis d'assiettes** (qui constituent désormais le principal d'un plat de restaurant chic) ne les influencent pas.
J'avoue, sérieusement, que l'expérience me tenterait terriblement. Comment l'organiser? Je ne sais pas mais ce serait drôle, on introduirait des "pirates" dans la dégustation, la cuisine d'une mamie de village, un bistrot ouvrier au milieu des trois étoiles. À l'aveugle! 
Ce que j'écris là est chimérique. Il est évident que les stars des casseroles (et leurs souteneurs de la malbouffe) ont tout à perdre dans ce genre d'épreuve. N'empêche qu'en ces temps de branlette gastronomique où le milieu de la bouffe de restaurants est devenu aussi stupide, aussi vain que celui du football ou de la fringue, ça délasse. Et remet les choses à leur juste place.



* Finalement, le seul élément objectif dans un restaurant, c'est la qualité de la matière première, l'origine du produit, les fournisseurs, sujet fondamental que l'on évacue très vite chez Michelin ou dans le Mondogastro où l'opacité métronomique règne. Un peu comme si l'on se foutait des raisins qu'un vigneron met dans son vin
** Cf. en la matière le ridicule achevé des décors de trains électriques du Bocuse d'Or.


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