La réduction, c'est pas souvent une affaire…


Vous vous dites, ça y est, le type, comme tout le monde, comme ceux qu'il décrivait pas plus tard qu'hier, a déjà tourné la page. Une clou chasse l'autre, enterré le charlisme, la société de Consommation reprend vite ses droits, cap sur les soldes!
Pour ne rien vous cacher, j'y pensais hier, sur la Diagonal de Barcelone, me frayant un chemin entre les badauds lourdement chargés de sacs bariolés alors que j'allais me joindre à la maigre manifestation des expatriés devant l'Institut français, trois ou quatre cents personnes tout au plus à avoir résisté à l'appel de Zara et Mango.


Et si, après tout, c'étaient eux, les badauds, qui avaient raison (bon, Zara, Mango, les soldes, moi…). La vie doit continuer, ce serait un trop beau cadeau à faire aux nazis religieux que de sombrer. Repensons toujours, face à une violence tellement plus meurtrière (quantitativement), au courage des Anglais, des Londoniens face aux bombardements quotidiens de la dernière guerre mondiale. Moins de pathos, de sentiments surjoués, plus d'action: res non verba, on y revient immanquablement.


Pourtant, en ce début janvier estival à Barcelone, où l'on a plus envie de plage que chandails, si c'est bien de réduction que je veux vous parler, ce n'est pas de celle qui va faire fureur pour quelques semaines, durant cette période bénie où tout le monde va faire de "bonnes affaires". Là, on cause pinard! Parce qu'on a beau faire les malins, jouer aux connaisseurs, être même pour certains (rares…) de grands pros, le vin a toujours le dernier mot.
Tiens, justement, l'autre soir, a la casa, je me suis fait avoir comme un bleu. Le vin, je l'ai pris en pleine poire! En plein blaire, en tout cas. Ce n'est pas qu'il puait, au contraire, c'était serré, crispé, on sentait que le type avait un truc à dire mais que ça n'arrivait pas à sortir. Pas évident, au nez, d'en tirer du plaisir, il était bloqué, il était (prononçons le mot idoine) réduit.


La réduction, beaucoup d'entre vous connaissent ce mot et ce qu'il recouvre, mais prenons quelques secondes afin de l'expliquer succinctement aux autres, car le vin c'est aussi de la chimie.. Pour simplifier, dans certaines conditions parfois amplifiées par le cépage, le contenant, le type de vinification, la présence des lies, un excès de SO2… certains jus trop* protégés de l'oxygène développent ce que l'on appelle des arômes de réduction. Ces arômes, dit réducteurs, peuvent présenter un caractère plus ou moins désagréable. Au pire, on s'en va vers des nez qui évoquent le poireau, l'oignon ou chou-fleur qu'on fait bouillir, voire la serpillère, le marcel de terrassier un jour d'été vers 18 heures ou même l'œuf pourri. Parfois, on se contente de notes qui peuvent faire penser au bourgeon de cassis (dans des syrah** de cuve en particulier), ou de côtés plus animaux, le vieux cuir, la fourrure si l'on reste poli, le ventre de lièvre, le gibier si l'on aime le hard.
 

"C'est grave, docteur?" Non, pas forcément, la réduction généralement, ce n'est pas une affaire. Encore faut-il être sûr d'avoir affaire à un vin réduit, parce que des façons de puer, il en existe bien d'autres, certaines irréversibles, des contaminations comme par exemple les fameuses brettanomyces, ces levures indésirables qui, à forte dose, dénaturent le jus. De pires encore que j'évoquais ici à propos d'un truc sicilien.
La réduction, en général c'est simple: le vin ne sent pas très bon, quelque chose qui vous évoque les tendances sus-citées, vous le prenez en bouche, vous le mâchez, l'aérez et vous vous rendez compte par rétro-olfaction que derrière la mauvaise odeur se cache un fruit intense. Pas de doute, il est réduit. Dans ce cas, la Faculté est formelle, il faut sortir le remède-miracle.


Ce remède, c'est bien sûr la carafe. Le modèle ci-dessus (dont je vous ai déjà maintes fois parlé) me plaît beaucoup: baptisé New Norm, dessiné par l'architecte scandinave Peter Ørsig, il permet de faire faire rapidement un aller-retour bouteille/carafe qui règle le problème dans bien des cas. Mais n'importe quelle grande carafe maniée par un poignet déterminé fait l'affaire. Et sinon une bouteille vide dans laquelle vous transvasez (sans en foutre partout!) l'objet du délit, autant de fois qu'il le faudra.
Tout cela est évidemment un peu brutal et pour vous faire passer pour un punk chez les vieux de la vieille. L'idéal serait de prévoir, il y a des bouteilles dont on sait à l'avance qu'elles vont nous offrir un beau nez de réduit: décantez-les le midi pour le soir. Je le fais pour des vins que j'adore comme le saumur du Clos Cristal, qui hésite souvent à l'ouverture entre le monstrueux de Carentan et l'aisselle de Pakistanais accro au curry pour ensuite dégager des arômes de cabernet-franc de belle pureté. Idem pour les premiers prunelards de la famille Plageoles, plus animaux; le 2010 m'a un jour rappelé un beau lièvre de cinq kilos tué à l'étoile de Merco sur le chemin Toulze et mis à mortifier une petite semaine; trois heures plus tard, je m'en suis régalé.


Si on peut, je le répète, il faut prévoir. Car la brutalité ne fonctionne pas toujours. Ainsi avec ce rouge de Galice, ce ribeiro de l'autre soir. Le jour-même, il a obstinément refusé de s'ouvrir. Peut-être, plutôt que de la violence, réclamait-il de la considération, davantage de patience et de respect? Le lendemain, en revanche, il était exquis. Comme souvent les vins de Luis Anxo Rodríguez Vázquez, un des grands vignerons de ce Far West espagnol où se passent tant de belles choses, principalement en rouge. Un ribeiro délié, ouvert, prêt à converser, cachant un si beau discours derrière ce côté réducteur qui l'avait protégé, nous invitant comme toujours à dépasser les apparences.
Si une bouteille d'A Torna dos Pasás rouge vous tombe sous la main, n'hésitez pas. Et prenez-en soin. Vous ferez alors une vraie bonne affaire, même si je crains fort que les quelques bouteilles produites par Luis Anxo Rodríguez Vázquez ne soit jamais soldées, que vous ne bénéficiez jamais d'aucune réduction. Que voulez vous, un vin réduit n'est pas nécessairement un vin au rabais…




* Cette sur-protection peut évidemment être voulue, choisie, mise en œuvre par le vinificateur qui ainsi mettra en bouteille un jus plus résistant à l'air, donc à l'oxydation, phénomène chimique dont le vin guérit bien moins souvent que de la réduction!
** La syrah est un des cépages dit réducteurs, comme par exemple la mencía galicienne, le prunelard gaillacois ou le mourvèdre levantin, c'est-à-dire qu'ils ont plus que d'autres tendance à produire des vins réduits.


Commentaires

  1. Quelques commentaires :
    Attention aux descripteurs utilisés pour la réduction! Il y a parfois confusion entre réduction et Brett à cause de cette facette animale. La réduction tend effectivement plus sur le cuir, je dirais même la viande, un peu faisandée, alors qu'avec les Brett on est plus dans l'écurie! Ne pas confondre.
    Idem pour la notion de curry, qui usuellement est un descripteur utilisé pour les vins jaunes et qui provient d'un phénomène oxydatif sous l'action de levures spécifiques. Dans le cas du Pakistanais et de sa transpiration, je parlerais plutôt d'un excès d'oignon et d'ail frits! Les molécules responsables de la réduction n'ont pas un épicé.
    Il est possible de dire qu'il existe deux types de réduction. L'une qui provient du cépage ou de l'embouteillage-jeunesse, et pour laquelle le carafage résoudra le problème, avec le temps qu'il faudra certes. L'autre peut être définie de réduction définitive, car rien ne pourra résoudre le problème. La raison? Le seuil de perception des molécules responsables de ces odeurs est si bas que si un vin en est trop "contaminé", il ne sera pas possible de suffisamment s'en débarrasser pour ne plus les sentir. Dans ce cas il est même possible de rencontrer des vins à la fois réduit et oxydé! Ils gardent les notes de réduction mais prennent un caractère oxydé dû à l'âge ou à un mauvais stockage. Ce phénomène est impossible sur des vins jeunes.
    NicoJ

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    1. Bonjour,

      pour ma part je pensai que les odeurs de cuir, animales, giboyeuses, etaient des aromes tertiaires dus au vieillissement, notamment pour le Pinot Noir et certains Bordeaux. Je suis confus,

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    2. Anonymous, il faut signer, please! (mais comme ce n'est pas polémique et hors-cadre, on publie…)
      Il n'y a pas à être confus, mais il me semble que quand on trouve ça dans un vin de deux ans, c'est qu'il y a effectivement une autre cause.
      J'en profite pour répondre à NicoJ, il me semble qu'on ne confond pas justement. Le seul débat, c'est sur le cuir, de quel cuir parle-t-on? Il y a effectivement, comme pour la fourrure ou le gibier sus-cités des "versions nobles" de ces arômes, et d'autres qui le sont moins. Des qualités de cuir, quoi, entre le sac Hermès et le vieux cartable espagnol.

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    3. Anonymous s'excuse d'etre reste anonyme. Par ailleurs, je vous remercie d'avoir enrichi mon arsenal metaphorique. '' Le marcel de terrassier un jour d'été vers 18 heures '', qui ne sera pas facile a traduire en anglais (puisque je vis a Londres), est tres impressionnant. On croirait du Catherine Millet.

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    4. On peut utiliser tout un tas de descripteurs, mais au bout du compte, au-delà de la poésie (à laquelle je suis adepte), il y a un nombre relativement restreint de molécules responsables des notes animales, et leur concentration semble plus importante dans la définition de la qualité des notes animales que leur nature chimique. Donc selon moi le débat porte plus sur l'intensité des notes animales qui induisent la qualité perçue. Si un vin est complètement réduit c'est affreux comme s'il est dénaturé par les Brett. Cependant une concentration très faible, que ce soit en composés soufrés (thiols responsables des notes de réduction) ou en phénols (effet des Brett), plaît généralement bien aux dégustateurs, même si les oenologues les rejettent.
      Pour les notes animales dues au vieillissement, le phénomène est plus complexe.
      NicoJ

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  2. J'ai goûté ce vin il y a peu.

    Ainsi :

    Espagne : Ribeiro (Galice) – A Torna Dos Pasas (Luis A Rodriguez Vazques) 2011

    (Brancellao, Ferrol, Caino Longo, Caino Redondo)

    Fraîcheur accentuée pour un vin qui sent à la fois la syrah et le pinot. On imagine une syrah de Mentrida (en oubliant le caïno, déjà rencontré dans ce mode sur Rias Baixas chez Zárate, qui produit aussi un rouge à base de cépage Espadeiro).

    Pas de réduction à déplorer ...

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  3. La réduction n'est pas toujours évidente à distinguer d'autres défauts.
    Voici l'astuce que nous employons lors de nos dégustations de suivi en cuve pour être sûr qu'un vin est réduit : il suffit d'ajouter une gouttiche de sulfate de cuivre. Si le vin revit, alors on sait qu'un soutirage s'impose.
    On peut aussi tremper un fil de cuivre dénudé pendant quelques secondes, l'effet est le même.
    La réduction, en cuve comme en bouteille, est généralement réversible avec l'aération.
    Mais NicoJ a raison, si la réduction est trop prononcée (vinification et/ou élevage mal maîtrisé), alors les composés responsables du réduit forment des chaînes moléculaires longues indestructibles.

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    1. Quand effectivement elle est "entrée" dans le vin, c'est qu'on est allé trop loin.
      Je fil de cuivre, bien sûr, c'est un bon truc, Régis, mais c'est un papier qui s'adresse à des buveurs "normaux", et je les vois mal massacrer le fil de la lampe du salon pour vérifier…

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