Ringard 3.0


Le tuning, c'est l'avenir du vin! Vous savez au moins ce que c'est que le tuning? On prend une bagnole de préférence un peu moche et on dépense au moins autant que son prix pour en faire un truc encore plus moche. Je vous conseille la Renault 19 ou la 309, à défaut, une Citröen Visa. En Espagne où cet art fait fureur, on lui consacre même des émissions de télé, la Seat Ibiza reste une valeur sûre, une bonne base comme on dit.
C'est peut-être en songeant à ces bolides jaune nacré, violet métalisé ou vert pomme irisé qui égaient les routes de la Péninsule qu'un bodeguero vient de lancer sous un tonnerre d'applaudissements le Wine 3.0. Le principe en est fort simple, vous prenez un vin de base (style Seat Ibiza), du verdejo en l'occurrence, cépage blanc de l'ouest, et vous le customisez. Comment? Via internet et ce site www.elaboratuvinoonlineherrerobodega.com que je vous conseille vivement d'aller consulter pour votre édification. On vous y laisse entendre qu'en appuyant sur des boutons virtuels et en faisant glisser des curseurs du même tonneau, vous allez, tel l'œnologue-apprenti-sorcier qui semble tant faire rêver ici, créer de toutes pièces un vin "unique" qui ne sera que le fruit de votre imagination et de votre goût. Ce n'est évidemment pas tout à fait comme ça que ça se passe, puisqu'on va, comme dans les tests des magazines féminins, tenter de faire coller vos réponses à un profil préfabriqué, baptisé Aire, Tierra ou Agua (sic). Ensuite, bien sûr, on vous conduit à la boutique online, seul endroit où il vous est possible d'acheter cette mer…, pardon, cette merveille.


Je sais, c'est un gadget, c'est fait pour vendre du vin à des jeunes. Ça correspond d'ailleurs tout à fait à l'image qu'on donne des jeunes, notamment à la télévision espagnole, garçons-coiffeurs écervelés et shampouineuses pétasses qui s'engueulent en direct pour des histoires aussi stupides qu'eux pendant que, sur la chaîne d'en face, des experts médiatiques cacochymes, journalistes hors d'âge, débattent des heures durant des sujets sérieux qu'ils ont traités avec tant de légèreté depuis trente ans. Je digresse, pardon, mais le contexte importe, je crois. Un vin pour les jeunes, donc, des jeunes auxquels on explique ainsi que le vin, ça se construit dans une usine, comme le corned-beef de Tintin en Amérique. Évidemment, l'abruti de fils de pub qui a créé la com' géniale de ce produit génial, nous propose, avec toute l'originalité qu'on attend de lui et de la culture come-pastillas* dans laquelle il baigne, de vivre avec ce produit una experiencia única. Ah, cette fameuse "expérience" au goût américain que j'aime tant, fourre-tout conceptuel des publicitaires ibériques lobotomisés qui y collent en vrac de l'alcool, des parcs d'attraction, des sodas, des voitures, des destinations touristiques, voire même, et c'est souvent le pire, des repas astronomiques…


Eh bien moi, même si je sais qu'elle existe, cette vision du vin presse-boutons me fait vomir. Ce Wine 3.0, je le trouve effectivement aussi distingué, aussi chic qu'une Seat ibiza customisée. Je conchie ce monde du vin-Coca-Cola. Écrivant cela, je sais que je vais m'attirer les foudres des chantres du wine à l'anglo-saxonne (ce n'est pas la première fois…) dont les sens continuent imperturbablement d'être affolés, époustouflés, par les splendid arômes techno-pop des jus industriels. À leur décharge, il faut bien reconnaître que la plupart de ces "critiques", repeints ou pas en vert, sont maqués avec les (gros) distributeurs de ces vins qu'on qualifie de "grand-public" afin d'éviter de dire "vulgaire".
Car là, il ne s'agit pas d'un tinto de verano en Tetrabrik. Wine 3.0 est bien d'un vin d'appellation contrôlée, de la DO Rueda. Alors, je veux bien admettre qu'il faille parfois de légères inflexions dans la façon de faire le vin, parce qu'insensiblement les goûts changent, pour essayer… Mais de là à perdre ainsi son âme, à traiter le vin comme un soda, il y a une marge. Encore une fois, tenue par des bricolos, des épiciers et des hommes d'affaires, la viticulture de terroir espagnole tourne le dos à l'image vigneronne italienne ou française, parfois écornée certes, cette image du paysan qui fait un vin à son idée, selon ses convictions et son goût, en respectant une terre et une culture. Je trouve ça non seulement stupide, mais aussi ringard.


* "bouffeurs de pastilles" en argot espagnol, se dit en général d'élégants bipèdes mâles qui font vrombir les Seat Ibiza qui illustrent cet article, musique à fond, le regard vide après avoir avalé une poignée de comprimés de drogues de synthèse avec de la bière industrielle et/ou du gin-tonic, ce gin-tonic dont on fait aujourd'hui ici des "masterclasses".


Commentaires

  1. Les bagnoles d'origine dans leurs coloris noir, blanc, gris - surtout gris, dans toutes les nuances-, forment, équipées de leur moulin-diesel-made-in-france, un parc-auto bien rassurant face à leurs congénères "tunées" et bariolées venues d'ailleurs, qu'on croise somme toute assez rarement sur la route ; dommage. Puis on n'est pas des américains, nous. La preuve: on fait du vin d'origine contrôlée, chaque année, jusqu'en Bourgogne et même plus loin par là-haut, figurez vous

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