Le Jura en Espagne?
Non, non, je vous assure, je n'ai pas perdu la carte! J'ai bien retrouvé un petit bout du Jura en Espagne. En Galice, exactement, le long du Sil, cette rivière qui cache son ruban bleu canard au fond d'une vallée/tranchée spectaculaire qui n'est pas sans rappeler celle du Douro, mais en plus sauvage. Je vous ai déjà parlé de l'étonnant patrimoine viticole de cette extraordinaire région, un peu plus en amont, dans le Bierzo. Là, aujourd'hui, nous sommes cent-dix kilomètres plus à l'est, à Castro Caldelas, sur les terrasses de vignes de la Ribeira Sacra, une des DO magiques de ce pays du bout du Monde, terre de viticulture héroïque.
La rencontre jurassique s'est produite hier soir, en fait. J'avais bâti un couscous autour d'un collier, d'une poitrine, de rognons et d'une épaule d'agneau d'Aragon, aussi tendre que son prix en cette saison. J'aime ce plat qu'on peut traiter sans condescendance, un de ces nombreux plats de partage de la Méditerranée (un plat dont on ne fait par parenthèse aucun cas ici à Barcelone). Au niveau du vin, le souper avait été voulu bigarré: un excellent riesling geisberg 2008 de Kientzler, un grand corbières rosé 2009 des Clos perdus pour fêter l'arrivée du bouillon marga puis cet inconnu, ce rouge lumineux chargé de tous les mystères, chrétiens ou païens de la Galice, qu'on m'avait instamment recommandé de carafer à l'avance.
De fait, le carafage est indispensable. Parce que ce vin de 2008 qui était d'une certaine façon un essai, qui n'a connu que la cuve jamais la barrique, a été marqué par la réduction; à l'ouverture, c'est une évidence, il faudrait être couillon pour le boire ainsi, deux-trois heures plus tard, le nez se débarrasse de la majeure partie de ses notes "chien mouillé" et devient nettement plus attrayant, avec, c'est assez surprenant, un vague parfum de marijuana verte. La bouche, elle est immédiatement un intense bonheur, pleine d'un fruit croquant, mûr mais vif, avec beaucoup de centre, de pureté aromatique.
J'y repense avec émotion ce matin tandis que je petit-déjeune avec gourmandise de l'émission d'Alain Kruger, On ne parle pas la bouche pleine! sur France Culture, consacrée à la défense et l'illustration du cochon telle que la conçoit brillamment l'historien Alain Pastoureau. À défaut d'une échine de porc qui lui aurait également donné bonne mine, ce vin dont l'originalité n'est pas la moindre des qualités était hier soir très à son aise sur le couscous, impérial sur la goutte de sang des rognons, grandiose sur l'épaule confite. Bref, un rouge délicieux comme on aimerait en rencontrer plus souvent en Espagne, à l'inverse des "phénomènes de foire" des années 2000.
J'y repense avec émotion ce matin tandis que je petit-déjeune avec gourmandise de l'émission d'Alain Kruger, On ne parle pas la bouche pleine! sur France Culture, consacrée à la défense et l'illustration du cochon telle que la conçoit brillamment l'historien Alain Pastoureau. À défaut d'une échine de porc qui lui aurait également donné bonne mine, ce vin dont l'originalité n'est pas la moindre des qualités était hier soir très à son aise sur le couscous, impérial sur la goutte de sang des rognons, grandiose sur l'épaule confite. Bref, un rouge délicieux comme on aimerait en rencontrer plus souvent en Espagne, à l'inverse des "phénomènes de foire" des années 2000.
Mais que vient faire le Jura dans tout ça, vous demandez-vous? Le Jura. Eh bien, tout simplement, ce vin est composé à 85% de trousseau. Merenzao dit-on en Galice, bastardo, aussi, ce qui sonne plus portugais. Et il ne s'agit pas du caprice d'un vigneron voyageur désireux de surfer sur la mode actuelle des vins du Jura: la trace de l'arrivée du trousseau dans l'extrême-ouest de la Péninsule ibérique se perd dans la Nuit des Temps*. Caprice, Capricho de Merenzao, c'est pourtant le nom de cette cuvée rare (1482 cols!) produite par Ponte da Boga, domaine dont je vous parlais récemment ici. Une bouteille que m'a apporté la semaine dernière celui-là même qui a fait ce caprice de vouloir isoler ce jus remarquable, Dominique Roujou de Boubée (photo ci-dessus), le flying (mais délicat) winemaker espagnol, qui officie notamment à Ponte de Boga, la Galice étant le pays de cœur de cet élève de la Faculté de Bordeaux. Depuis le millésime 2008, l'élevage de cette cuvée a évolué, toujours en la tenant à l'abri du bois neuf (c'est important de le préciser, vous le savez en Espagne) mais en tentant de lutter en douceur contre la tendance réductive de notre ami hispano-franc-comtois. J'ai en cave une bouteille du tout nouveau 2010 en cave, je ne vous cache pas que le tire-bouchon me démange…
* les moines sont cependant largement soupçonnés d'être, tout comme pour l'albariño, à l'origine de l'introduction du trousseau en Galice. Qu'ils en soit remerciés!
Tu me vois ravi Vincent que le vin t'ai plu. Je ne t'avais pas menti sur la réduction, carafage intense obligé. En encore, ce 2008 de Ponte da Boga (100% Merenzao, c'est le 2009 qui est "seulement" un 85%) a subi plusieurs soutirages pendant ces 10 mois d'élevage en cuve. Nous avions appris la leçon après un 2007 élevé 10 mois en cuve sans soutirage, et fermé comme un sarcophage après la mise en bouteille (Peut être reste t-il encore quelques bouteilles à Monvinic? ils en avaient acheté un petit peu à l'époque, si tu as l'occasion, n'hésite pas, mais carafage obligatoire). C'est là que nous avions réalisé que le Merenzao est extrêmement réducteur, plus encore que la Mencía. Effectivement, avec le 2009, nous avons commencé à élever ce vin en barriques usagées pour mieux "l'ouvrir" et lutter contre la réduction, sans marquer. Et avec le 2010, nous poursuivons ce chemin, qui semble le bon.
RépondreSupprimerEn commençant à travailler en Ribeira Sacra, j'ai été amusé de trouver ce Merenzao (ou encore Bastardo, María Ordoña, ...), qui n'est effectivement rien de moins que notre bon vieux Trousseau jurassien. Et j'ai été encore plus amusé de constater que ce cépage était présent bien avant la phylloxera, sous le nom de Carnaz. Il est tout à fait probable que sa présence en Galice soit due aux moines de Cluny. Récemment, une étude scientifique menée par la Station de Viticulture et d'œnologie de Galice (http://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/j.1744-7348.2012.00548.x/abstract) semblait révéler que les variétés galiciennes avaient plus de parenté avec les variétés françaises (comme Pinot noir ou Syrah) qu'avec les variétés traditionnelles du plateau ibérique ou du sud de l'Espagne. A suivre ...
En tout cas, on est bien d'accord, vive la Ribeira Sacra qui nous permet d'élaborer et de boire ces vins si originaux
Dominique Roujou de Boubée
Arrête, je vais ouvrir le 2010 au petit déjeuner!
SupprimerC'est étonnant!!! Et ça donne envie...
RépondreSupprimerIl faudra que j'en monte une bouteille lors de notre prochain passage (le plus vite possible!!!) par la Bourgogne et, donc, la Ferme de La Ruchotte. Pour les malheureux qui ne connaissent pas encore, c'est ici: http://ideesliquidesetsolides.blogspot.com.es/2012/03/quand-la-vie-est-belle-comme-dans-un.html
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