Phantasmes.
Je ne vais pas entrer dans les détails, c'est tellement compliqué ce qui se passe dans notre tête. Par quel mystérieux mécanisme en vient-on à s'évader à la simple évocation de taches tumultueuses sur un canapé IKEA, d'une robe jaune retroussée sur les pierres blanches de la garrigue, des craquements d'un vieux plancher toulousain sous les talons fins d'une paire de louboutins, de ce regard cristallin, d'une pureté presque détachée, alors que la débauche nous cerne? Le ressort du phantasme, fascinant et énigmatique… Un peu comme cette image sans fard (il ne crée que des images sans fard) de mon copain Ulrich Lebeuf, image que je reproduis grossièrement ci-dessus mais qu'il vous faut aller voir sur son site ou, mieux, début juillet, au cours des Rencontres d'Arles durant lesquelles son travail sera une nouvelle fois célébré, en l'occurrence à la galerie Le Magasin de Jouets. Mais j'en reviens à cette photo, à cette jambe qui sort d'une porte, cliché qui suggère plus qu'il ne montre, saisi au vif sur un tournage de film porno; cette image qu'on peut croire plate de prime abord révèle une montagne de contrastes, cette pudeur apparente dans un lieu où la pudeur, théoriquement, est vaincue. C'est dans ce paradoxe, à mon sens, que s'engouffre le phantasme. La série est d'ailleurs intitulée Antonyme de la pudeur.
Le phantasme ne concerne évidemment pas que le sexe, même si cette "activité" y tient une place de choix. D'autres objets peuvent concentrer nos pulsions et, par leur simple évocation, j'y reviens, faire résonner dans notre tête les trois coups du petit théâtre de nos désirs. Là, précisément, je pense à deux bouteilles de vin.
La première, je ne suis pas passé à l'acte, mais presque. J'ai tourné autour. Je la frôle souvent, je la caresse. J'ai même frayé avec d'autres qui lui ressemblaient tellement. Comme quoi, le fétichisme… C'est un vin australien. Oui, australien. Du pinot noir, qui plus est, du pinot qu'un frapadingue à la gueule d'acteur américain de cinéma indépendant fait pousser tout au sud du continent, à Leongatha, au sud-est de l'état de Victoria, à centre trente kilomètres de Melbourne, dans le South Gippsland, là, où même durant l'été les vents glacés de l'Antarctique peuvent donner la chair de poule au raisin.
Enfin, je raconte ça, mais, moi, à Leongatha, je n'y ai jamais fichu les pieds. En revanche, j'ai un témoin direct, ma fiancée, qui y est allée plusieurs fois. En 2006, elle y a même travaillé six mois, partageant le quotidien de ce sorcier des antipodes qu'est Phillip Jones. Pour tout avouer, j'ai déjà entamé le passage à l'acte sur ce coup-là; j'ai siroté plusieurs pinots de Bass Phillip, du Premium, du Crown Prince et même une syrah de la Mornington Peninsula, Wild One, qu'il fait superviser par son bras droit, la passionnante Shashi. À chaque fois, un immense émotion, cette sensation de voir sa langue fouiller l'intimité du fruit, une texture, un grain de peau d'une incroyable finesse, quelque chose de vivant, d'extrêmement intense et très distingué à la fois. Je n'ai d'ailleurs jamais compris comment ce vin, sorte de "Romanée-Conti du Nouveau-Monde", n'avait pas, en dehors de l'Australie et de l'Asie, une notoriété plus importante. Mais, si Bass Phillip reste un phantasme, c'est que mes lèvres n'ont pas encore goûté la cuvée supérieure, baptisée Reserve. Cette bouteille bizarre, juste marquée d'un petit rectangle rouge et d'un symbole rouge sibyllin. Un jour…
La première, je ne suis pas passé à l'acte, mais presque. J'ai tourné autour. Je la frôle souvent, je la caresse. J'ai même frayé avec d'autres qui lui ressemblaient tellement. Comme quoi, le fétichisme… C'est un vin australien. Oui, australien. Du pinot noir, qui plus est, du pinot qu'un frapadingue à la gueule d'acteur américain de cinéma indépendant fait pousser tout au sud du continent, à Leongatha, au sud-est de l'état de Victoria, à centre trente kilomètres de Melbourne, dans le South Gippsland, là, où même durant l'été les vents glacés de l'Antarctique peuvent donner la chair de poule au raisin.
Enfin, je raconte ça, mais, moi, à Leongatha, je n'y ai jamais fichu les pieds. En revanche, j'ai un témoin direct, ma fiancée, qui y est allée plusieurs fois. En 2006, elle y a même travaillé six mois, partageant le quotidien de ce sorcier des antipodes qu'est Phillip Jones. Pour tout avouer, j'ai déjà entamé le passage à l'acte sur ce coup-là; j'ai siroté plusieurs pinots de Bass Phillip, du Premium, du Crown Prince et même une syrah de la Mornington Peninsula, Wild One, qu'il fait superviser par son bras droit, la passionnante Shashi. À chaque fois, un immense émotion, cette sensation de voir sa langue fouiller l'intimité du fruit, une texture, un grain de peau d'une incroyable finesse, quelque chose de vivant, d'extrêmement intense et très distingué à la fois. Je n'ai d'ailleurs jamais compris comment ce vin, sorte de "Romanée-Conti du Nouveau-Monde", n'avait pas, en dehors de l'Australie et de l'Asie, une notoriété plus importante. Mais, si Bass Phillip reste un phantasme, c'est que mes lèvres n'ont pas encore goûté la cuvée supérieure, baptisée Reserve. Cette bouteille bizarre, juste marquée d'un petit rectangle rouge et d'un symbole rouge sibyllin. Un jour…
En revanche, concernant Vinupetra, je suis totalement puceau. Nous sommes dans le registre du phantasme absolu. Je n'ai croisé ce vin de Sicile que par écrits ou écrans interposés. Je l'aime comme on aime des vedettes de la télé, par procuration, comme un couillon. J'ai notamment été interpellé par ce qu'en dit le marchand de vin suisse Jacques Perrin. Ce monsieur tient par ailleurs chronique sur Internet à l'adresse des Mille plateaux, chronique vinicole (notamment), brillante, qui a peu à voir avec les miam-miam, les lol et les ya-bon-canon de la "Bloglouglou". Dans son billet Salvo Foti, magicien de l'Etna, il écrit:
"Penseriez-vous qu’il n’y ait plus rien à découvrir, ni dans le vin ni ailleurs ? que depuis Mozart la musique n’a cessé de s’affadir ? que Bret Easton Ellis n'est pas l'ancêtre des brettanomyces mais un auteur majeur de notre époque ? Votre collection de DRC est-elle unique au monde ? A défaut d’ouvrir une nouvelle voie au Cho-Oyu, vous avez fait toutes les verticales imaginables de tous les crus de la planète, du plus grand au plus modeste ? […]
La première fois que j’ai goûté son Vinupetra, j’ai éprouvé un choc, un bonheur nouveau, légèrement et délicieusement extatique, comme si j’entrais dans une dimension rare. Il y a heureusement encore des vins qu’on ne connaît pas, initiatiques, forts, telluriques. Des vins qui changent votre vie, élargissent la perspective, illustrent d’autres territoires du goût, inédits !"
La première fois que j’ai goûté son Vinupetra, j’ai éprouvé un choc, un bonheur nouveau, légèrement et délicieusement extatique, comme si j’entrais dans une dimension rare. Il y a heureusement encore des vins qu’on ne connaît pas, initiatiques, forts, telluriques. Des vins qui changent votre vie, élargissent la perspective, illustrent d’autres territoires du goût, inédits !"
Je reste évidemment suspendu, dans le vide, à ces quelques mots. Oui, j'ai envie, oui, je désire. Je désire au sens de Deleuze, pas pour posséder une chose, une bouteille de plus, ni même un goût de plus. "Des vins qui changent votre vie, élargissent la perspective, illustrent d’autres territoires du goût, inédits !" Je désire ce Vinupetra, ce vin iconique qui naît aux limites de l'extrême, à treize cents mètres d'altitude, là où la vigne lutte contre la lave à peine refroidie, je le désire comme une pièce du puzzle, de cet incroyable univers liquide, multidimensionnel qu'est le vin. Pour tenter de percer ses éternels mystères dont on croit approcher et qui toujours s'évanouissent. Nous ramenant si souvent, le phantasme réalisé, à une belle humilité, génératrice d'autres soifs, d'autres désirs, d'autres phantasmes.
La complexité vient-elle par le détail ou par les grandes lignes ? (rechcon 70 est un début de commencement de réponse)
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