Du cochon, pas de langue de bois!
"Délicieux sur les viandes rôties et les gibiers, parfait sur les fromages et les charcuteries, ce grand vin de tradition vendangé sur les prestigieux terroirs du Languedoc ensoleillera vos repas de fête. À consommer avec modération." Finalement, je me demande si ce n'est pas de ce genre de textes de contre-étiquettes dont rêvent les syndicats viticoles qui règnent, souvent médiocrement, sur les AOC françaises. L'idée, en tout cas, est là: se banaliser, se fondre dans la masse, s'habiller couleur muraille (ou plutôt couleur rayons de grande surface) pour in fine se ringardiser.
Les coups de gueule, c'est comme ça, ça vous prend comme une envie de pisser, sans préméditation. Et hop, vous sautez sur votre clavier, quitte à le regretter plus tard (si, si…) et, en 140 signes, sur Twitter, vous lâchez votre fiel. Bon, sauf que là, tant pis pour le côté lapidaire, je vais m'étendre un peu plus afin de tâcher d'être explicite. Parce que comme tous les bons coups de gueule spontanés, en 140 signes ou pas, le mien me trotte dans la tête depuis un bon bout de temps.
J'étais en train hier d'écrire sur un jus que j'aime beaucoup, un corbières 2011 de la gamme intitulée L'esprit du vent de mes amis de castelmaure. Je ne vais pas trop m'étendre sur le vin en soi puisque, ceux qui me connaissent le savent, je vis une vieille et longue histoire d'amour avec ces vignerons perdus dans les montagnes, à la frontière de l'Aude et des Pyrénées-orientales, mon objectivité serait sujette à caution, ma crédibilité en prendrait un coup et qui plus est ce n'est pas le sujet de cette chronique. Ce que je peux vous en dire de cette bouteille qui sort dans les jours à venir, c'est que dès cet hiver, j'ai adoré son espèce de fraîche densité, cette intensité, ce touché mûr qui évite soigneusement la lourdeur. Préserver la fraîcheur dans les vins du Sud, sans pour autant tricher de la façon que j'évoquais la semaine dernière, c'est un sujet récurrent dans les conversations entre vignerons, journalistes, œnologues, amateurs… Je me souviens d'ailleurs avoir participé à une conférence il y a un an ou deux, en Corbières justement, dont le thème était la façon de combattre les effets du réchauffement climatique sur les vins au travers de nouveaux cépages; l'occasion notamment pour moi d'évoquer le fameux frappato sicilien qui conserve, quand il est finement vinifié comme dans le Cos 2008 d'Occhipinti, un dynamisme étincelant.
Pour autant, nous avons d'ores et déjà, dans la France méditerranéenne, des cépages bien implantés et qui (moyennant des méthodes culturales saines sur des terroirs à vigne) donnent naissance à des jus vifs et digestes. Je pense au mourvèdre, au cinsault, merveilleux contrepoint du grenache dans des vins comme l'excellent Prioundo des Clos perdus qui est un modèle du genre, je pense également à ce bon vieux carignan, la carignanasse chère à mon copain Michel Smith, correspondant de l'Amicale du Bien Vivre à Perpignan, fondateur du Parti d'en Boire et vigneron roussillonais.
Et si je pense au carignan aujourd'hui en parlant de L'esprit du vent, c'est justement parce que mon petit doigt (souvent bien informé…) me dit que dans ce corbières baptisé Cochon! il n'y a QUE du carignan. Ce carignan mûr mais frais que j'évoquais plus haut et sur lequel j'aurais voulu écrire tout le bien que j'en pensais. Mais, malheureusement, je ne peux pas, parce qu'on n'a pas le droit de dire que ce corbières est fait de carignan, parce qu'un corbières, ça n'a pas le droit de n'être fait que de carignan. Je ne vais pas vous faire le résumé des épisodes précédents que seuls les plus vieux ont connus mais quand l'AOC a été accordée en 1985 à cette vaste région viticole (40% du Languedoc), il a été décidé de promouvoir les "cépages améliorateurs", syrah et grenache, au détriment de "l'enfant du pays*" qui régnait en maître. Il faut dire qu'à l'époque la carignanasse n'avait pas bonne presse, à l'étranger en particulier: de Jancis Robinson ("qualitatively fairly disastrous" écrit-elle dans son guide des cépages) aux publications des "wine educators" alcooliers du WSET, il est au mieux snobé… Il faut dire qu'on en a parfois goûtés de sévères, qu'il n'est pas toujours aussi beau qu'en 2011, mais franchement prenez un des "améliorateurs" plantés dans des plaines dont l'unique
qualité viticole est d'être une autoroute pour machine à vendanger et vous verrez que la plupart du temps c'est davantage les mauvais gestes vignerons qu'il faut éradiquer que le "mauvais" cépage.
Du coup, dans les Corbières, indistinctement, on a le carignan honteux. D'où d'ailleurs cette cuvée Cochon! qui le compare (sans le nommer) au porc, animal précieux et si souvent honni, à propos duquel je vous recommande pour la seconde fois d'écouter la récente émission d'Alain Pastoureau sur France Culture. Mais, ne serait-il pas temps de rectifier un peu le tir? Ce pourrait être le rôle de syndicats viticoles qui trouveraient en menant cet utile combat l'occasion de redorer leurs blasons en regagnant une crédibilité souvent écornée. L'INAO y trouverait aussi peut-être du grain à moudre. Bref, on pourrait un peu dépoussiérer, moderniser tout ça!
Alors, je sais qu'on va me dire que si l'on veut faire du pur carignan en Corbières, on n'a qu'à le déclasser en Vin de Pays. Oui, mais n'est-ce pas un peu paradoxal pour un cépage aussi emblématique, capable de produire des vins qui ont l'accent de leur terre et au goût du jour**? N'est-ce pas un peu stupide alors que dans d'autres régions (le Priorat par exemple) on prétend vendre à prix d'or des bouteilles de cariñena dont on se fait du coup les "inventeurs"? Il me semble que l'on y perdrait en langue de bois et y gagnerait en authenticité. On lirait de vraies informations sur les contre-étiquettes. Et moi, je pourrais écrire la vérité…
* même s'il est très très implanté et depuis des siècles en Corbières, le carignan n'est pas réellement un enfant du pays puisqu'on estime qu'il arrive d'Espagne, d'Aragon ou se trouve notamment la DO Cariñena, éponyme du cépage.
** car il ne s'agit pas de jouer les apprentis sorciers en bricolant du riesling, du gerwürztraminer, du cabernet ou du pinot sous le soleil du Sud.
Les syndicats viticoles... Syndicats ca-cats, mais pas Carignan gnan-gnan.
RépondreSupprimer(J'ai tout compris?)
Tiens faudra un de ces jours que Pépé Cad te raconte comment et pourquoi son arrière grand père (Professeur Georges Boyer) a sauvé les vignes grecques du phyloxera. (oui je sais y a pas un rapport évident a priori mais sur le fond de ton article, oui. on en reparlera ailleurs, devant quelques boutanches et un morceau de cochon (qui s'en dédit))
Du cochon, du vin et des belles histoires… Vivement la Lozère! Il faut vraiment que je vienne; pour ceux qui ne connaissent pas, c'est là: http://www.prouheze.com/restaurant.htm
SupprimerBonjour,
RépondreSupprimerMoi aussi j'ai compris et pourtant je n'ai pas le talent de Mémé Cad pour déguster et apprécier, si je résume : ils ont honte de leurs origines comme si on enlevait les faux rebonds à un ballon ovale, il serait donc très rond...oh misère.
Deuxième point, si je suis toujours dans la mêlée, il ne suffit pas d'avoir des espaces, d'y planter de la vigne et notamment du Carigan pour faire un bon vin. comme dans l'ovale, tu peux faire deux mètres et 150 plombes,ou courir le 100m en moins de 10, quand tu n'as pas de talent, tu n'es pas invité. Si je pousse un peu plus loin, avec le talent il faut du courage, minimum syndical pour faire du rugby et jouer aux vignerons, hors la plupart en manque et s'appuie sur des techniques économiques et sur un discours peu agressif. Bref, tu te retrouves vigneron comme si tu étais dirigeant à la FFR avec la pintade sur le blazer....Merci Vincent de tous ces éclairages qui éveillent en moi une solidarité avec ces vrais vignerons dont tu nous traces les contours et me permettent d'essayer de boire différemment.
Jean-Louis, pour résumer, le carignan est indissociable du rugby classique.
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