Sexy ou putassier? That is the question.


Sans préméditation aucune, la chronique d'aujourd'hui est le prolongement de celle d'hier. Une nouvelle fois, je me sens un peu obligé de répondre à cet engouement anglais* pour le vin globalisé, hors-sol ou apatride, comme vous voulez.
Dans sa dernière livraison, Robert Joseph, wine thinker & négociant londonien, bretteur aussi brillant que pugnace, nous explique pourquoi les chefs comme Ferran Adrià ou Heston Blumenthal sont plus "sexys" que les vignerons. Grosso modo, mais vous lirez en détail son propos, parce qu'ils osent tout, parce que leur imagination n'a pas de limite et qu'ils mélangent tout avec n'importe quoi. À l'opposé, les vignerons sont des suiveurs, bornés, dépourvus, pour l'immense majorité d'entre eux, d'énergie créatrice, rongés par le conformisme. Bien évidemment, les péquenots français sont appelés à la barre, sommés de justifier, pauvres couillons, le manque d'originalité de leurs assemblages de merlot et de cabernet, le côté plan-plan de la pointe de viognier dans la syrah et leur peu d'intérêt pour le grüner veltliner ou le tempranillo**. Le jugement est sans appel: si les restaurants étaient tenus par des vignerons, on aurait du mal à échapper au coq au vin et à l'osso bucco (que j'aimerais!…).


Vous comprenez bien que ce déficit abyssal d'inventivité fait tache, surtout en comparaison du génie de personnages comme Heston Blumenthal (dont plus de 400 clients avaient été victimes de diarrhées et de vomissements après avoir goûté aux plats de son célébrissime Fat Duck) ou de Ferran Adrià (qui on l'a appris hier devra répondre devant la justice des raisons occultes de la fermeture d'El Bulli***). Oui, vraiment, honte à vous Jean-Louis Chave, Emmanuel Reynaud, Robert Plageoles, Anthony Barton, Philippe Alliet, Alain Graillot, Hubert de Montille, Jean-Pierre Boyer, Marc Valette, Élian Da Ros, Jacques Selosse, Yvonne Hegoburu, François Chidaine, Jean-Marc Roulot, Michel Riouspeyrous! Honte à vous et à tous les autres qui méritent comme vous d'être cloués au pilori, vous êtes les fossoyeurs de la viticulture!
Il est temps que, d'un coup de baguette magique, cesse ce maudit immobilisme qui consiste à cultiver sur un terroir donné des cépages qu'on a perdu tant de temps à comprendre, à protéger, à retrouver parfois. Du balai! Il est temps de moderniser tout cela, il est temps de débarrasser le monde du vin de son plus lourd fardeau, de son handicap majeur: les paysans! Cachons ces gens sales, frustes qui sentent aussi mauvais que leurs tracteurs! Pourquoi d'ailleurs ne pas fabriquer les grands crus de demain (classés par un système comparable à celui du Grand Prix des Hots d'Or que je décrivais récemment) dans des zones industrielles de banlieue. Ferran Adrià a sûrement des adresses, il peut peut-être même envisager une extension de l'usine qui élabore ses Texturas®, si "sexys" ses Texturas®… Au sein de ce meilleur des Mondes, on découvrira, dans la joie et la bonne humeur, des NovoBordos® sphériques, des écumes de FizzyBourgoñes®, des Crustichatô9®, des mousses de Krobières®… Ce sera génial, je vous dis, absolument putassier, mais génial!


Rassurez-vous, Robert Joseph, même si la viticulture traîne les pieds, la World Company dont vous êtes un fervent partisan gagne chaque jour des parts de marchés, grâce notamment à tout ceux qui collaborent avec elle en allant faire leurs commissions dans les hypers et les supers. Je sais un peu ce que vous allez me répondre, pour autant je ne suis ni guévariste, ni extrémiste, ni traditionaliste, juste le modeste défenseur d'une culture qui fait qu'aujourd'hui encore (et c'est un heureux anachronisme d'une certaine façon) on continue de boire du vin. Et non seulement d'en boire, mais d'en parler, de le chanter, d'en débattre. Et même de s'engueuler en en débattant.
Mais, par pitié, cessez de confondre les produits industriels (je n'en bois pas mais je ne les méprise pas) dont vous êtes le héraut avec les vins d'artisans, de paysans, de gens sensibles. Non pas qu'ils soient automatiquement meilleurs en vertu d'un hypothétique axiome du "small is beautiful", juste parce que le supplément d'âme qu'ils recèlent est précieux, qu'il est un souffle de poésie dans cet univers de comptables vétilleux. Parce que l'ivresse qu'ils procurent nous rapproche plus de Baudelaire que de Lady Gaga®. Parce qu'ils nous humanisent.



* Nation que j'apprécie tout particulièrement et, en ce 8 mai, comment ne pas remercier une fois de plus nos amis britanniques d'avoir recueilli la France libre ainsi que pour leurs sacrifices durant la seconde Guerre mondiale

** Robert, vous qui êtes un grand défenseur de Robert Parker et de ses entreprises, je vous signale au fait que The times they are A-changin', même Neal Martin dans le dernier Wine Advocate fait la leçon, sèchement, aux vignerons catalans (dont beaucoup appliquaient déjà vos recettes…) et leur explique la valeur et la primauté des cépages locaux.

*** un différend judiciaire oppose depuis des années les ayant-droits de Miquel Horta qui était le mécène d'El Bulli à Ferran Adrià et à son associé, accusés d'avoir profité de la sénilité et de la maladie de ce monsieur pour le spolier en 2005. Au termes de longs débats de procédure, les magistrats espagnols viennent de fixer la date du procès, du 29 au 31 octobre 2012.

Commentaires

  1. Vincent, comme toujours, j'adore ta facon de repondre a mes pensées anglo-saxonnes. En effet, je dois préciser: je ne veux pas que les Chave, Boyer, Selosse etc change leurs chemin. Je parle des petis producteurs a Bordeaux et ailleurs qui touchent difficilement €1/litre. Ils ne sont ni des industriels, ni des artisans, Ce sont des petis ouvriers mal-payés at peu-appréciés.
    50% du vin francais et produit par les cooperatives dont on parle pas souvent.

    La plupart des consommateurs ne voient et ne boivent jamais des vins de Chave etc. Ils boivent du Bordeaux AOC a €3 dans les grandes surfaces.

    Pour préciser, je ne suis pas un negociant (je suis partenaire des producteurs) et je suis un défenseur de Parker parfois mais pas un 'grand' défenseur. Je prefere nettement le gout de Neal Martin. mais si on n'avait pas eu Parker, on n'aurait peut-etre pas Martin.

    Amicalement
    Robert

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    1. Cher Robert,
      je ne suis pas immobiliste (pour reprendre les termes de ma chronique d'hier) et je suis sûr que tu le sais. Oui, dans certaines catégories de vin, industriels, pourquoi pas innover. Sans pour autant perdre son âme…
      Mais ce n'est pas le propos, ton article évoquait la "cuisine 3 étoiles", ce n'est donc pas avec le vin des "ouvriers" (j'avais jadis nommé une cuvée "le vin ouvrier"), des "sans-grades", des "petits" qu'il était question de la comparer, non?
      Pour ce qui est de Robert Parker, "grand" défenseur, si, j'insiste, même si tu te revendiques libre-penseur. Quant à Neal Martin, je suis avec amusement son atterrissage en Espagne (une chronique est prévue), mais franchement, d'un point de vue liquide, comme l'avait joliment dit ce hussard de Jacques Chirac à Margaret Thatcher, "ça m'en touche une sans faire bouger l'autre".

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  2. Jonathan Nossiter8 mai 2012 à 14:37

    Bravo Vincent Pousson! Ce ne sont pas les industriels cyniques à l'arrivée qui posent le plus grand menace à notre survie culturelle, mais des arrivistes malins comme ce gars-là que vous dénoncez avec panache! On est pas forcément tous condamné à un sort Houellebecquieno hypermarchéesque pomofactice...tant que des vignerons et paysans éclairé et légitimement progressiste nous protègent.

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  3. Ballet notes... Adam's family... Gisèle clappe dehors ; c'est dire si je me suis paumée en cours de route

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  4. Bel envoi, Vincent; C'est un peu dans ce registre qu'on est le meilleurs, non ? ;-)

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    1. Teigneux.
      Cela dit, j'aurai plus cité un Mitjaville qu'un Barton, mais bon.

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  5. Réponses
    1. N'est-ce pas? Je voulais quelque chose qui soit plus putassier que sexy, je crois que j'ai trouvé…

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    2. J'aime ta façon de toujours être sur le fil...

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  6. Bravo et merci Vincent pour ce billet . Mais, Ah la la .... Qui de tout les petits malins qui vocifèrent a l'autre bout de la planète sur les Bordeaux a 3 ronds six Sous investirait le moindre Kopeck dans 40 Hectares dans l'entre deux mers ou en A.O.C. Bordeaux a une portée de flèche de Libourne. Qui de ces grands deviseurs, noteurs, "bonpointeurs" s'en va une fois l'an discuter avec ces vignerons la ... J'en connais bien peu voir pas.
    Par ces rangs de vignes bordelais point de paillettes, impossible de faire ne serait ce qu'un peu d'écume avec l'eau de la bassine . Voulez vous des adresses de bordeaux portés au pinacle par Untel ou Untel qui sont retournés dans l'oubli faute de faire reluire le nombril d'un distributeur de chiffres ..... Combien de grands vins classés qui mériterait que l'on dise pis que pendre sur leur "élaboration" son passés sous silence par le simple statut de leur propriétaire . Amusez vous avec les grands ... mais fermez la avec le reste .

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  7. Vincent, Les grands esprits se rencontrent: ce weekend, pour "la 2ème rencontre des cépages modestes", Robert Plageoles, parlant de ces vins "bodybuildé", parlait de vins pornographiques.

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    1. Nous y sommes! Et c'est bien normal que je sois d'accord avec mon Maître de Vin…
      http://ideesliquidesetsolides.blogspot.com.es/2012/08/le-vigneron-dont-je-bois-les-paroles.html

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